Il y a des nombres qui pèsent plus lourd que des mots.
Certains s’impriment dans la mémoire comme des brûlures.
D’autres reviennent, sans explication, jusqu’à occuper chaque recoin d’un cerveau.
On les croit aléatoires. On les répète machinalement.
Puis un jour, on comprend qu’ils indiquaient quelque chose.
Un lieu.
Un nom.
Une date.
Jour J.
Certains s’impriment dans la mémoire comme des brûlures.
D’autres reviennent, sans explication, jusqu’à occuper chaque recoin d’un cerveau.
On les croit aléatoires. On les répète machinalement.
Puis un jour, on comprend qu’ils indiquaient quelque chose.
Un lieu.
Un nom.
Une date.
Jour J.
Rémi travaillait dans un centre de supervision technique. La salle était froide, éclairée par la lumière bleue des écrans. Il préférait ça : les chiffres, les courbes, les systèmes. Rien d’ambigu. Rien de vivant. En remplissant sa tasse de café, il crut entendre une voix. Une suite de chiffres, glissée comme un murmure entre les murs de la salle de pause : « 4.6.2.8.3. » Il haussa les épaules. Mauvais réveil, sûrement. Mais l’après-midi, dans le silence d’un couloir, la même suite, soufflée à l’oreille. Puis une autre. Et encore une autre. Toujours des séries de cinq chiffres. Jamais les mêmes. Il les nota. Juste pour vérifier. Le soir, la radio annonçait de la pluie sur le Sud-Ouest. Puis, au milieu du bulletin météo, un blanc. Une voix basse, lointaine : « 3.1.4.5.9.2… » La journaliste reprit aussitôt, comme si rien ne s’était produit.
Les jours suivants, les chiffres s’intensifièrent. Rémi les entendait au réveil, dans la rue, en s’endormant. Il commença à les noter partout : sur des Post-it, sur le frigo, ses bras, les murs. Il installa une application de dictée vocale. Un matin, il y trouva un enregistrement : sa propre voix, monotone, chuchotant des suites infinies. Calme. Hypnotique. Il consulta un ORL. Rien. Audition parfaite. Puis un psychiatre. Pourquoi un psychiatre ? Il avait juste besoin qu’on lui dise que c’était normal. Qu’on entend parfois des choses. Mais on ne lui dit rien. Il décrivit les chiffres, la régularité, la sensation dans la gorge. Le médecin hocha la tête, nota, sans lever les yeux. Rien d’anormal, dit-il.
Alors quoi ? Il allait “bien” ?
Avec cette vibration dans les os, cette mécanique dans la tête ? Il ressortit sans ordonnance. Rémi pensa devenir fou, un instant. Puis se ravisa. La folie, c’est le bruit. Or tout, ici, était d’une précision clinique. Chaque chiffre tombait comme un couperet. Un collègue s’approcha, l’air inquiet : « Un gosse dans le métro récitait une suite. Genre 6.7.2.1.0. Juste ça. Comme un automate. Les jeunes sont bizarres. » Rémi se figea. Il avait entendu cette même suite deux jours plus tôt. Peu après, une collègue lui glissa à l’oreille : « J’ai rêvé de nombres, de chiffres. Encore et encore. Je pense que je devrais prendre des vacances. » Il ne répondit pas, mais lui aussi avais besoin de vacances, pensa t-il. Une émission de radio cracha un grésillement. Puis : « 0.3.5.8.1 » avant de se couper. Il enregistra. Repassa la bande. Ce n’était pas un bug. Le phénomène s’étendait. Il le sentait.
Un inconnu dans la rue s’arrêta devant lui. Le regard vide. Et murmura : « 9.7.4.6.3 » Puis s’éloigna sans un mot. Les chiffres revenaient. Comme s’ils le cherchaient. Rémi devint compulsif. Il alignait les séquences, les comparait, les encodait. Il remplissait des feuilles entières, qu’il collait aux murs. Les combinaisons devenaient plus longues, plus denses. Parfois, elles résonnaient dans son crâne, comme si sa pensée était traversée de l’intérieur. Il tentait de rire, parfois. D’un rire sec, pour se rassurer : « Encore un nombre… Super. J’aurais préféré une promo sur les capsules de café. »Mais l’ironie fondait comme un sucre dans l’acide. La peur, elle, revenait. Crue. Nerveuse. Et bientôt, les sons devinrent des choses. Physiques. Intrusives. Des acouphènes nets, violents, comme des ongles sur de la tôle. Une douleur aiguë, sans point d’origine. Pas dans les oreilles. Pas dans le crâne. Dans le corps tout entier. Il se boucha les oreilles. Rien ne changea. Le bruit passait ailleurs. Par sa gorge. Par ses os. Une vibration sourde, insistante. Comme si sa chair résonnait. Il arracha son téléphone du chargeur. Il sonnait. Encore. Toujours à la même heure : 3h33. Il débrancha sa box internet. Elle clignota. Se ralluma seule. Comme si elle ne dépendait plus de rien. Il dévissa l’ampoule du plafond. Une réaction absurde, la panique. Et l’écran de son ordinateur… s’alluma. Sans courant. La lumière de sa montre connectée afficha une suite : 1.1.2.3.5.8. Sans interruption. Partout.
Il croisa un ancien camarade. Sans saluer, celui-ci dit simplement: « Tu vois, toi aussi ? Le compte à rebours ? » Puis il s’éloigna, comme s’il n’avait jamais été là. Le monde autour devenait instable. La ville paraissait figée. Les gens, vides. Même les bruits avaient changé. L’eau ne coulait plus comme avant. Les horloges semblaient hésiter. Et puis, le silence. Total. Pas un souffle, pas une onde. Même les machines étaient muettes. Un creux absolu. Rémi attendit. Le cœur battant. Un frisson glacé dans la colonne. Une petite voix, posée, calme, sans timbre identifiable, s’imposa dans son crâne: « Dernière séquence : 0.1.1.2.3.5.8.13.21.34 » Fibonacci. La suite du vivant, de la croissance, du divin. Il sourit. Il comprit. Mais ce sourire n’avait rien d’apaisé. Il portait la lucidité nue, celle qui brûle derrière les yeux. C’était le sourire de quelqu’un qui accepte — sans pouvoir refuser. Le jour J était arrivé. Comme un somnambule, il ouvrit la fenêtre. Cinq étages. L’air était doux. Tout était calme. Il sauta.
Quand les secours arrivèrent, son appartement était tapissé de feuilles, de post-it, de murs couverts d’encre. Un seul message. Répété sans fin.
Les jours suivants, les chiffres s’intensifièrent. Rémi les entendait au réveil, dans la rue, en s’endormant. Il commença à les noter partout : sur des Post-it, sur le frigo, ses bras, les murs. Il installa une application de dictée vocale. Un matin, il y trouva un enregistrement : sa propre voix, monotone, chuchotant des suites infinies. Calme. Hypnotique. Il consulta un ORL. Rien. Audition parfaite. Puis un psychiatre. Pourquoi un psychiatre ? Il avait juste besoin qu’on lui dise que c’était normal. Qu’on entend parfois des choses. Mais on ne lui dit rien. Il décrivit les chiffres, la régularité, la sensation dans la gorge. Le médecin hocha la tête, nota, sans lever les yeux. Rien d’anormal, dit-il.
Alors quoi ? Il allait “bien” ?
Avec cette vibration dans les os, cette mécanique dans la tête ? Il ressortit sans ordonnance. Rémi pensa devenir fou, un instant. Puis se ravisa. La folie, c’est le bruit. Or tout, ici, était d’une précision clinique. Chaque chiffre tombait comme un couperet. Un collègue s’approcha, l’air inquiet : « Un gosse dans le métro récitait une suite. Genre 6.7.2.1.0. Juste ça. Comme un automate. Les jeunes sont bizarres. » Rémi se figea. Il avait entendu cette même suite deux jours plus tôt. Peu après, une collègue lui glissa à l’oreille : « J’ai rêvé de nombres, de chiffres. Encore et encore. Je pense que je devrais prendre des vacances. » Il ne répondit pas, mais lui aussi avais besoin de vacances, pensa t-il. Une émission de radio cracha un grésillement. Puis : « 0.3.5.8.1 » avant de se couper. Il enregistra. Repassa la bande. Ce n’était pas un bug. Le phénomène s’étendait. Il le sentait.
Un inconnu dans la rue s’arrêta devant lui. Le regard vide. Et murmura : « 9.7.4.6.3 » Puis s’éloigna sans un mot. Les chiffres revenaient. Comme s’ils le cherchaient. Rémi devint compulsif. Il alignait les séquences, les comparait, les encodait. Il remplissait des feuilles entières, qu’il collait aux murs. Les combinaisons devenaient plus longues, plus denses. Parfois, elles résonnaient dans son crâne, comme si sa pensée était traversée de l’intérieur. Il tentait de rire, parfois. D’un rire sec, pour se rassurer : « Encore un nombre… Super. J’aurais préféré une promo sur les capsules de café. »Mais l’ironie fondait comme un sucre dans l’acide. La peur, elle, revenait. Crue. Nerveuse. Et bientôt, les sons devinrent des choses. Physiques. Intrusives. Des acouphènes nets, violents, comme des ongles sur de la tôle. Une douleur aiguë, sans point d’origine. Pas dans les oreilles. Pas dans le crâne. Dans le corps tout entier. Il se boucha les oreilles. Rien ne changea. Le bruit passait ailleurs. Par sa gorge. Par ses os. Une vibration sourde, insistante. Comme si sa chair résonnait. Il arracha son téléphone du chargeur. Il sonnait. Encore. Toujours à la même heure : 3h33. Il débrancha sa box internet. Elle clignota. Se ralluma seule. Comme si elle ne dépendait plus de rien. Il dévissa l’ampoule du plafond. Une réaction absurde, la panique. Et l’écran de son ordinateur… s’alluma. Sans courant. La lumière de sa montre connectée afficha une suite : 1.1.2.3.5.8. Sans interruption. Partout.
Il croisa un ancien camarade. Sans saluer, celui-ci dit simplement: « Tu vois, toi aussi ? Le compte à rebours ? » Puis il s’éloigna, comme s’il n’avait jamais été là. Le monde autour devenait instable. La ville paraissait figée. Les gens, vides. Même les bruits avaient changé. L’eau ne coulait plus comme avant. Les horloges semblaient hésiter. Et puis, le silence. Total. Pas un souffle, pas une onde. Même les machines étaient muettes. Un creux absolu. Rémi attendit. Le cœur battant. Un frisson glacé dans la colonne. Une petite voix, posée, calme, sans timbre identifiable, s’imposa dans son crâne: « Dernière séquence : 0.1.1.2.3.5.8.13.21.34 » Fibonacci. La suite du vivant, de la croissance, du divin. Il sourit. Il comprit. Mais ce sourire n’avait rien d’apaisé. Il portait la lucidité nue, celle qui brûle derrière les yeux. C’était le sourire de quelqu’un qui accepte — sans pouvoir refuser. Le jour J était arrivé. Comme un somnambule, il ouvrit la fenêtre. Cinq étages. L’air était doux. Tout était calme. Il sauta.
Quand les secours arrivèrent, son appartement était tapissé de feuilles, de post-it, de murs couverts d’encre. Un seul message. Répété sans fin.