Voici une pièce courte.
Courte, mais longue dans la tête.
On y parle de dentifrice. Mais sérieusement. Beaucoup trop sérieusement. À un degré de gravité normalement réservé aux diagnostics médicaux ou aux décisions politiques en temps de guerre.
Ici, pourtant, c’est juste : Po et Mo, au rayon hygiène. Deux personnes normales, un couple banal, soudain pris d’un vertige devant les tubes. Il faut choisir. Mais comment choisir ? À quoi se fier ? Texture ? Fraîcheur ? Engagement éthique du gel ? Compatibilité gingivale ? Ils pèsent. Ils doutent. Ils tombent.
Et dans cette chute — une chute molle, mousseuse — le réel bascule.
Le choix devient rite. Le dentifrice devient idée.
Et l’idée devient rêve.
Et le rêve devient… complètement con.
Car oui, cette pièce va nulle part. Et elle y va avec sérieux.
Elle ne dénonce rien. Elle n’élève rien. Elle ne critique, ne sublime, n’analyse ni le monde, ni l’intime, ni la société.
Elle vous montre seulement deux êtres humains en train de projeter du sens là où il n’y en a pas.
Et ça, c’est peut-être encore pire.
Au cœur du rêve — car il y a rêve, et quel rêve — on plonge dans une épopée dentaire grotesque, une extase astrale faite de gencives géantes, de tubes cosmiques, de jugements mentholés et de pur délire mousseux.
Et pourtant Po le vit avec un sérieux monastique.
Il vit un apocalypse intérieur dans un tube de Colgate.
Et nous, spectateurs, nous sommes là, comme devant quelqu’un qui se met à pleurer devant une pub pour du fil dentaire : gênés, un peu fascinés, vaguement inquiets.
Mais qu’on se rassure : il n’y a rien à comprendre.
Il n’y a rien à faire.
Il n’y a rien à tirer de tout ça.
C’est une pièce con.
Con comme une pelle.
Un peu vide aussi.
Et c’est précisément pour ça qu’elle mousse.
            Courte, mais longue dans la tête.
On y parle de dentifrice. Mais sérieusement. Beaucoup trop sérieusement. À un degré de gravité normalement réservé aux diagnostics médicaux ou aux décisions politiques en temps de guerre.
Ici, pourtant, c’est juste : Po et Mo, au rayon hygiène. Deux personnes normales, un couple banal, soudain pris d’un vertige devant les tubes. Il faut choisir. Mais comment choisir ? À quoi se fier ? Texture ? Fraîcheur ? Engagement éthique du gel ? Compatibilité gingivale ? Ils pèsent. Ils doutent. Ils tombent.
Et dans cette chute — une chute molle, mousseuse — le réel bascule.
Le choix devient rite. Le dentifrice devient idée.
Et l’idée devient rêve.
Et le rêve devient… complètement con.
Car oui, cette pièce va nulle part. Et elle y va avec sérieux.
Elle ne dénonce rien. Elle n’élève rien. Elle ne critique, ne sublime, n’analyse ni le monde, ni l’intime, ni la société.
Elle vous montre seulement deux êtres humains en train de projeter du sens là où il n’y en a pas.
Et ça, c’est peut-être encore pire.
Au cœur du rêve — car il y a rêve, et quel rêve — on plonge dans une épopée dentaire grotesque, une extase astrale faite de gencives géantes, de tubes cosmiques, de jugements mentholés et de pur délire mousseux.
Et pourtant Po le vit avec un sérieux monastique.
Il vit un apocalypse intérieur dans un tube de Colgate.
Et nous, spectateurs, nous sommes là, comme devant quelqu’un qui se met à pleurer devant une pub pour du fil dentaire : gênés, un peu fascinés, vaguement inquiets.
Mais qu’on se rassure : il n’y a rien à comprendre.
Il n’y a rien à faire.
Il n’y a rien à tirer de tout ça.
C’est une pièce con.
Con comme une pelle.
Un peu vide aussi.
Et c’est précisément pour ça qu’elle mousse.
            Personnages :
PO
MO
Scène 1
(Rayon dentifrices. Tubes alignés, lumières blafardes.
PO et MO se tiennent devant l’étagère, silencieux, contemplant le mur de dentifrices.)
PO
(à voix basse, presque un murmure)
Tu te rends compte… C’est pas… Enfin c’est… C’est la clé. Le point de bascule. Entre la vie et… le néant dentaire.
MO
Chaque tube, un univers. Chaque goût, un destin. Choisir, c’est sceller un pacte avec la bouche.
PO
(agité)
La sensibilité… elle guette. Sous la surface, prête à surgir. Un tube mal choisi, c’est inviter la douleur à la fête.
MO
(d’un ton grave)
Et la douleur, Po, c’est la fin du monde. L’effondrement des gencives, l’exil du sourire.
PO
Tu te souviens la fois où j’ai pris celui au charbon ? J’ai cru que ma bouche était devenue un cendrier. Chaque brossage, une autopsie.
MO
(soupirant)
J’ai vécu ça aussi. La brûlure sourde du menthol trop fort. Une guerre froide dans la bouche.
PO
(Montre un tube)
Et eux, là… Sensibilité extrême. C’est un serment ou un piège ?
MO
(avec mystère)
Un serment… à condition d’y croire.
PO
(la voix qui tremble)
Et si c’était une trahison ? Un goût de lames et de regrets ?
MO
On le saura jamais. La vie est un tube de dentifrice qu’on presse sans fin.
PO
(fasciné)
Imagine… un monde où le dentifrice serait la mesure de notre âme.
MO
(très sérieux)
Alors il faut choisir avec la sagesse des anciens. Ne pas céder au chant des menthes rafraîchissantes, ni à la séduction des gels transparents.
PO
Mais… Et la blancheur éclatante ? C’est la promesse d’un futur radieux ou un mensonge sucré ?
MO
Une illusion d’optique. Le vrai éclat vient de la paix dentaire.
PO
(d’un coup, presque un cri)
Alors, quoi ? Lequel ? Lequel nous sauvera ?
MO
(avec lenteur solennelle, brandissant un tube)
Celui-ci. Le discret. Le presque invisible. Celui qui caresse la gencive sans faire de bruit.
PO
(soulagé, mais inquiet)
Le choix est fait. Mais le poids… il reste.
MO
(calme, fermement)
Le poids d’un tube. Le poids d’une vie.
(Ils prennent ensemble le tube, se regardent avec la gravité de deux juges, puis s’éloignent lentement.)
PO
(murmure)
À nos dents. À notre destin.
MO
À la paix dentaire.
Scène 2
(Salle de bains, lavabo, miroir un peu flou. Deux brosses à dents et un tube de dentifrice.
PO et MO ouvrent solennellement le nouveau tube de dentifrice. Une lumière douce éclaire la scène.)
PO
(avec révérence)
Voici donc le fléau de nos nuits. Le baume choisi pour caresser nos gencives.
MO
À ce moment précis, chaque grain de pâte est une promesse. Ou une menace.
(Ils déposent le dentifrice sur leurs brosses à dents, avec une lenteur cérémoniale.
Ils commencent à se brosser les dents avec attention et précision.)
PO
Che chens la texchture. Ni trop ferme, ni trop molle. Une pâte équilibrée, un compromis de la nature.
MO
(avec concentration)
Moi, je rechens… une légère régichtance, comme une danche de microgranules chur la langue.
PO
(ferme les yeux, comme méditant)
Le goût arrive… chubtil, prechque timide. Un choupchon de menthe, mais pas de chette froideur qui achachine.
MO
(avec un petit sourire)
Oui, pas de glachons. Plutôt une careche fraîche, une brige printanière chur un champ d’herbes folles.
PO
(en rythme, brossant)
Les genchives… elles murmurent che crois. Pas de cri, pas de plainte. Une chérénité fragile, comme un lac au petit matin.
MO
(soupir)
Le foichonnement des bulles est modéré. Ni trop agrechif, ni trop timide. La juchte mesure.
PO
(avec gravité)
Ch’est comme… un ballet d’éponges dans un théâtre de mouche.
MO
(riant doucement)
Un opéra buccal. La chymphonie du tube.
PO
(regardant dans le miroir)
La bouche… plus léchère, plus vivante. Mais auchi plus conchiente. D’un poids nouveau, chelui du choix.
MO
(ferme)
Demain, nous chaurons chi che choix fut la sachesse ou la folie.
PO
(crache, se rince la bouche et dépose la brosse)
Pour ce soir, la paix règne. Et la promesse d’un sourire éternel.
MO
(pareil)
Le prélude d’un destin éclatant… Espérons !
Scène 3
(Dans le lit partagé le soir, PO ferme les yeux.
Le sommeil arrive sans se faire attendre. Il entre par les narines, s’installe dans les dents. Une pulsation se met à vibrer dans sa mâchoire gauche. Ça chatouille. Puis ça palpite. Puis ça ouvre une porte qu’il n’a jamais su refermer.
Le plafond se liquéfie. Le matelas se plie en quatre comme un origami mou et le projette dans un tunnel de salive tiède, fait de souvenirs et de publicités mentholées.
Il tombe dans une bouche. Une bouche de 800 kilomètres de diamètre. Elle mâche l’éther. Elle mastique la nuit. Les molaires claquent comme des planètes mourantes. Les incisives tournent sur elles-mêmes. Une brosse géante traverse l’horizon, telle une comète hérissée.
PO flotte.
Il n’a plus de corps.
Il est un goût. Il est une sensation.
Il est la première haleine d’un dinosaure albinos. Il est le dernier râle d’une gencive oubliée. Il est la trace résiduelle d’un chewing-gum mâché en 1997 et recraché dans un lavabo sacré.
Des sons arrivent. Mais ce ne sont pas des sons. Ce sont des textures de sons. Des saveurs auditives :
— un do majeur qui sent la banane pourrie
— un mi mineur à l’eucalyptus brûlé
— un silence plein de citron
Le ciel se déchire.
Le Grand Tube apparaît.
Il mesure au moins quarante lunes. Il plane au-dessus de tout, en rotation lente.
Il suinte une pâte dense, argentée, qui ne tombe jamais.
Elle lévite.
Elle chante.
Elle chuchote :
“PO. PO. PO. BROSSE-TOI. MAIS DE L’INTÉRIEUR.”
Alors PO comprend.
Il n’a jamais brossé l’essentiel.
Son âme est sale.
Il est plein de tartre éthéré.
Il a des caries morales.
Il s’arrache la tête.
À l’intérieur : une toute petite brosse, minuscule, vivante, qui le regarde. Elle cligne.
PO s’excuse. Il pleure de la mousse.
Un troupeau de dentiers galactiques passe au galop. Ils ne le voient pas. Il est devenu transparent, il est devenu goût pur.
Un goût de fraise chimique et de regret.
Le sol s’ouvre : un siphon.
Il est avalé.
Spirale. Tourbillon. Crissement de soie dentaire.
Il tombe dans un amphithéâtre d’émail.
Assis sur des fauteuils de gencives : des milliards de tubes. Tous fermés. Tous le regardent.
Un silence d’haleine suspendue.
Puis le juge se lève : un bâtonnet de cure-dent géant, vêtu d’une cape en serviette humide.
Il parle sans bouche :
« As-tu rincé ton inconscient ? »
PO ne sait pas quoi répondre.
Alors il vomit une fontaine de bain de bouche violet.
Les tubes se mettent à danser. Tous. Une chorégraphie sacrée.
Ils chantent en bulles. En mousses. En inversion d’alphabet.
Puis : la lumière.
Une lumière blanche, ultra-blanche, blanchissante à 48%.
PO hurle. Ses dents tombent. Chacune explose en un petit feu d’artifice triste.
Il n’a plus de bouche.
Il n’a plus de langue.
Il est devenu tube lui-même.
On le presse. Lentement.
Il sent sa propre pâte sortir de lui.
Il est son propre dentifrice.
Il est sa propre solution.
Un enfant géant le regarde, brosse à la main.
Il ouvre la bouche. C’est une autre galaxie.
PO y entre.
Il recommence.
Encore. Encore. Encore.)
Scène 4
(Chambre à coucher à l’aube. Deux oreillers. Une ambiance moite et silencieuse. Le soleil commence à pointer son nez, comme un témoin gêné. PO et MO sont couchés, les yeux ouverts. Immobiles. Le silence est total. Puis PO parle, très bas.)
PO
C’est l’heure.
MO
Oui.
(Ils se redressent lentement, comme si chaque mouvement était sacré. Puis ils se font face, à genoux sur le lit.)
PO
Tu veux commencer… ou je souffle en premier ?
MO
Non. C’est toi. Ton haleine est historiquement plus narrative.
(PO prend une inspiration profonde, puis souffle vers MO. MO ferme les yeux et hume comme un œnologue face à un grand cru.)
MO
(les yeux fermés)
Je perçois… une note de menthe échappée, un fantôme végétal. Puis… une chaleur, comme un vieux radiateur qui expire du passé. Un fond de nuit. Peut-être… un souvenir de fromage ? Très lointain. Humble. Modeste.
PO
(ému)
Il reste du dentifrice ?
MO
Il reste une trace. Pas en bouche, mais… en esprit.
PO
Alors c’est mon tour.
(MO se penche, souffle vers PO. PO ferme les yeux, recueilli. Il inspire lentement, comme un moine tibétain.)
PO
(avec intensité)
C’est… incroyable. Une attaque douce, presque sucrée. Comme si une menthe avait glissé sur une flaque tiède. Puis… un choc. Une remontée. Est-ce que tu as mangé un souvenir ? Il y a une émotion dans ton haleine. Je… je ressens une forme de nostalgie.
MO
C’est peut-être la croûte du rêve qui se détache.
PO
Oui. Et au centre… une sécheresse élégante. Une haleine qui ne dit pas tout. Qui cache. Qui refuse de s’expliquer.
MO
Elle attend midi pour parler. L’haleine du matin ne crie jamais.
(Ils se regardent. Un silence respectueux s’installe.)
PO
Alors ? Verdict ? Le dentifrice ?
MO
(murmure)
Il a agi. Pas comme un nettoyant. Comme un médium.
PO
Comme une passerelle entre la bouche et l’invisible.
MO
Comme un oracle. Une pâte blanche pleine de présages.
PO
(fixe le vide)
On ne respire plus. On prophétise.
MO
C’est l’aube. Nos bouches savent des choses qu’on ignore.
(Lentement, ils se recouchent. Le soleil les inonde. Un silence épais.)
PO
Il faudra essayer celui à la cannelle, un jour.
MO
Oui. Mais pas avant que nos gencives soient prêtes.
        PO
MO
Scène 1
(Rayon dentifrices. Tubes alignés, lumières blafardes.
PO et MO se tiennent devant l’étagère, silencieux, contemplant le mur de dentifrices.)
PO
(à voix basse, presque un murmure)
Tu te rends compte… C’est pas… Enfin c’est… C’est la clé. Le point de bascule. Entre la vie et… le néant dentaire.
MO
Chaque tube, un univers. Chaque goût, un destin. Choisir, c’est sceller un pacte avec la bouche.
PO
(agité)
La sensibilité… elle guette. Sous la surface, prête à surgir. Un tube mal choisi, c’est inviter la douleur à la fête.
MO
(d’un ton grave)
Et la douleur, Po, c’est la fin du monde. L’effondrement des gencives, l’exil du sourire.
PO
Tu te souviens la fois où j’ai pris celui au charbon ? J’ai cru que ma bouche était devenue un cendrier. Chaque brossage, une autopsie.
MO
(soupirant)
J’ai vécu ça aussi. La brûlure sourde du menthol trop fort. Une guerre froide dans la bouche.
PO
(Montre un tube)
Et eux, là… Sensibilité extrême. C’est un serment ou un piège ?
MO
(avec mystère)
Un serment… à condition d’y croire.
PO
(la voix qui tremble)
Et si c’était une trahison ? Un goût de lames et de regrets ?
MO
On le saura jamais. La vie est un tube de dentifrice qu’on presse sans fin.
PO
(fasciné)
Imagine… un monde où le dentifrice serait la mesure de notre âme.
MO
(très sérieux)
Alors il faut choisir avec la sagesse des anciens. Ne pas céder au chant des menthes rafraîchissantes, ni à la séduction des gels transparents.
PO
Mais… Et la blancheur éclatante ? C’est la promesse d’un futur radieux ou un mensonge sucré ?
MO
Une illusion d’optique. Le vrai éclat vient de la paix dentaire.
PO
(d’un coup, presque un cri)
Alors, quoi ? Lequel ? Lequel nous sauvera ?
MO
(avec lenteur solennelle, brandissant un tube)
Celui-ci. Le discret. Le presque invisible. Celui qui caresse la gencive sans faire de bruit.
PO
(soulagé, mais inquiet)
Le choix est fait. Mais le poids… il reste.
MO
(calme, fermement)
Le poids d’un tube. Le poids d’une vie.
(Ils prennent ensemble le tube, se regardent avec la gravité de deux juges, puis s’éloignent lentement.)
PO
(murmure)
À nos dents. À notre destin.
MO
À la paix dentaire.
Scène 2
(Salle de bains, lavabo, miroir un peu flou. Deux brosses à dents et un tube de dentifrice.
PO et MO ouvrent solennellement le nouveau tube de dentifrice. Une lumière douce éclaire la scène.)
PO
(avec révérence)
Voici donc le fléau de nos nuits. Le baume choisi pour caresser nos gencives.
MO
À ce moment précis, chaque grain de pâte est une promesse. Ou une menace.
(Ils déposent le dentifrice sur leurs brosses à dents, avec une lenteur cérémoniale.
Ils commencent à se brosser les dents avec attention et précision.)
PO
Che chens la texchture. Ni trop ferme, ni trop molle. Une pâte équilibrée, un compromis de la nature.
MO
(avec concentration)
Moi, je rechens… une légère régichtance, comme une danche de microgranules chur la langue.
PO
(ferme les yeux, comme méditant)
Le goût arrive… chubtil, prechque timide. Un choupchon de menthe, mais pas de chette froideur qui achachine.
MO
(avec un petit sourire)
Oui, pas de glachons. Plutôt une careche fraîche, une brige printanière chur un champ d’herbes folles.
PO
(en rythme, brossant)
Les genchives… elles murmurent che crois. Pas de cri, pas de plainte. Une chérénité fragile, comme un lac au petit matin.
MO
(soupir)
Le foichonnement des bulles est modéré. Ni trop agrechif, ni trop timide. La juchte mesure.
PO
(avec gravité)
Ch’est comme… un ballet d’éponges dans un théâtre de mouche.
MO
(riant doucement)
Un opéra buccal. La chymphonie du tube.
PO
(regardant dans le miroir)
La bouche… plus léchère, plus vivante. Mais auchi plus conchiente. D’un poids nouveau, chelui du choix.
MO
(ferme)
Demain, nous chaurons chi che choix fut la sachesse ou la folie.
PO
(crache, se rince la bouche et dépose la brosse)
Pour ce soir, la paix règne. Et la promesse d’un sourire éternel.
MO
(pareil)
Le prélude d’un destin éclatant… Espérons !
Scène 3
(Dans le lit partagé le soir, PO ferme les yeux.
Le sommeil arrive sans se faire attendre. Il entre par les narines, s’installe dans les dents. Une pulsation se met à vibrer dans sa mâchoire gauche. Ça chatouille. Puis ça palpite. Puis ça ouvre une porte qu’il n’a jamais su refermer.
Le plafond se liquéfie. Le matelas se plie en quatre comme un origami mou et le projette dans un tunnel de salive tiède, fait de souvenirs et de publicités mentholées.
Il tombe dans une bouche. Une bouche de 800 kilomètres de diamètre. Elle mâche l’éther. Elle mastique la nuit. Les molaires claquent comme des planètes mourantes. Les incisives tournent sur elles-mêmes. Une brosse géante traverse l’horizon, telle une comète hérissée.
PO flotte.
Il n’a plus de corps.
Il est un goût. Il est une sensation.
Il est la première haleine d’un dinosaure albinos. Il est le dernier râle d’une gencive oubliée. Il est la trace résiduelle d’un chewing-gum mâché en 1997 et recraché dans un lavabo sacré.
Des sons arrivent. Mais ce ne sont pas des sons. Ce sont des textures de sons. Des saveurs auditives :
— un do majeur qui sent la banane pourrie
— un mi mineur à l’eucalyptus brûlé
— un silence plein de citron
Le ciel se déchire.
Le Grand Tube apparaît.
Il mesure au moins quarante lunes. Il plane au-dessus de tout, en rotation lente.
Il suinte une pâte dense, argentée, qui ne tombe jamais.
Elle lévite.
Elle chante.
Elle chuchote :
“PO. PO. PO. BROSSE-TOI. MAIS DE L’INTÉRIEUR.”
Alors PO comprend.
Il n’a jamais brossé l’essentiel.
Son âme est sale.
Il est plein de tartre éthéré.
Il a des caries morales.
Il s’arrache la tête.
À l’intérieur : une toute petite brosse, minuscule, vivante, qui le regarde. Elle cligne.
PO s’excuse. Il pleure de la mousse.
Un troupeau de dentiers galactiques passe au galop. Ils ne le voient pas. Il est devenu transparent, il est devenu goût pur.
Un goût de fraise chimique et de regret.
Le sol s’ouvre : un siphon.
Il est avalé.
Spirale. Tourbillon. Crissement de soie dentaire.
Il tombe dans un amphithéâtre d’émail.
Assis sur des fauteuils de gencives : des milliards de tubes. Tous fermés. Tous le regardent.
Un silence d’haleine suspendue.
Puis le juge se lève : un bâtonnet de cure-dent géant, vêtu d’une cape en serviette humide.
Il parle sans bouche :
« As-tu rincé ton inconscient ? »
PO ne sait pas quoi répondre.
Alors il vomit une fontaine de bain de bouche violet.
Les tubes se mettent à danser. Tous. Une chorégraphie sacrée.
Ils chantent en bulles. En mousses. En inversion d’alphabet.
Puis : la lumière.
Une lumière blanche, ultra-blanche, blanchissante à 48%.
PO hurle. Ses dents tombent. Chacune explose en un petit feu d’artifice triste.
Il n’a plus de bouche.
Il n’a plus de langue.
Il est devenu tube lui-même.
On le presse. Lentement.
Il sent sa propre pâte sortir de lui.
Il est son propre dentifrice.
Il est sa propre solution.
Un enfant géant le regarde, brosse à la main.
Il ouvre la bouche. C’est une autre galaxie.
PO y entre.
Il recommence.
Encore. Encore. Encore.)
Scène 4
(Chambre à coucher à l’aube. Deux oreillers. Une ambiance moite et silencieuse. Le soleil commence à pointer son nez, comme un témoin gêné. PO et MO sont couchés, les yeux ouverts. Immobiles. Le silence est total. Puis PO parle, très bas.)
PO
C’est l’heure.
MO
Oui.
(Ils se redressent lentement, comme si chaque mouvement était sacré. Puis ils se font face, à genoux sur le lit.)
PO
Tu veux commencer… ou je souffle en premier ?
MO
Non. C’est toi. Ton haleine est historiquement plus narrative.
(PO prend une inspiration profonde, puis souffle vers MO. MO ferme les yeux et hume comme un œnologue face à un grand cru.)
MO
(les yeux fermés)
Je perçois… une note de menthe échappée, un fantôme végétal. Puis… une chaleur, comme un vieux radiateur qui expire du passé. Un fond de nuit. Peut-être… un souvenir de fromage ? Très lointain. Humble. Modeste.
PO
(ému)
Il reste du dentifrice ?
MO
Il reste une trace. Pas en bouche, mais… en esprit.
PO
Alors c’est mon tour.
(MO se penche, souffle vers PO. PO ferme les yeux, recueilli. Il inspire lentement, comme un moine tibétain.)
PO
(avec intensité)
C’est… incroyable. Une attaque douce, presque sucrée. Comme si une menthe avait glissé sur une flaque tiède. Puis… un choc. Une remontée. Est-ce que tu as mangé un souvenir ? Il y a une émotion dans ton haleine. Je… je ressens une forme de nostalgie.
MO
C’est peut-être la croûte du rêve qui se détache.
PO
Oui. Et au centre… une sécheresse élégante. Une haleine qui ne dit pas tout. Qui cache. Qui refuse de s’expliquer.
MO
Elle attend midi pour parler. L’haleine du matin ne crie jamais.
(Ils se regardent. Un silence respectueux s’installe.)
PO
Alors ? Verdict ? Le dentifrice ?
MO
(murmure)
Il a agi. Pas comme un nettoyant. Comme un médium.
PO
Comme une passerelle entre la bouche et l’invisible.
MO
Comme un oracle. Une pâte blanche pleine de présages.
PO
(fixe le vide)
On ne respire plus. On prophétise.
MO
C’est l’aube. Nos bouches savent des choses qu’on ignore.
(Lentement, ils se recouchent. Le soleil les inonde. Un silence épais.)
PO
Il faudra essayer celui à la cannelle, un jour.
MO
Oui. Mais pas avant que nos gencives soient prêtes.