2020, année du Covid.
Une odeur de whisky s'échappait de sous sa moustache. Il n'y avait pas de masque pour la cacher.
« Je continue à penser que vous magouillez un truc » dit-il et il se dirigea vers la porte d'un pas titubant avant que je puisse répondre.
Dans le cadre de l'enquête, je témoignai par Zoom interposé, de chez Tchekhov. Il n'y eut pas de questions pièges. Au contraire, le légiste me félicita chaleureusement d'avoir fait mon possible pour protéger le défunt des rapaces jusqu'à l'arrivée des autorités compétentes.
Posé de travers, le galure de Tchekhov boulochait sur le canapé. Et je pouvais voir de là où j'étais qu'il suivait la vidéo d'un abonné en robe cramoisie agitant des cauris pour connaître le futur. Notamment si on ne manquerait pas de faire le buzz avec la photo du cadavre d'Hitler, étonnant même les followers les plus blasés...
Une odeur de whisky s'échappait de sous sa moustache. Il n'y avait pas de masque pour la cacher.
« Je continue à penser que vous magouillez un truc » dit-il et il se dirigea vers la porte d'un pas titubant avant que je puisse répondre.
Dans le cadre de l'enquête, je témoignai par Zoom interposé, de chez Tchekhov. Il n'y eut pas de questions pièges. Au contraire, le légiste me félicita chaleureusement d'avoir fait mon possible pour protéger le défunt des rapaces jusqu'à l'arrivée des autorités compétentes.
Posé de travers, le galure de Tchekhov boulochait sur le canapé. Et je pouvais voir de là où j'étais qu'il suivait la vidéo d'un abonné en robe cramoisie agitant des cauris pour connaître le futur. Notamment si on ne manquerait pas de faire le buzz avec la photo du cadavre d'Hitler, étonnant même les followers les plus blasés...
Comme il faisait encore jour, je descendis sur la place pour trouver de quoi dîner, et remarquai les coups d'œil étranges que lançaient sur mon passage les sinistres promeneurs revenant du fin fond des Alpes. On entendait des rafales de mitrailleuse d'un obséquieux peintre raté, fan des SS et voulant se venger de notre découverte de la dépouille du dictateur... Et des explosions un peu partout.
Je suivis du regard la progression de ce cinglé dans les escaliers menant au cours d'eau du village. Et ça me rappela les rapports récents sur des cadavres vus flottant dans nos torrents en crue à l'automne dernier. Il était probable que le cœur de beaucoup de ceux qui se trouvaient encore dans la rue à ce moment-là palpitait à se servir une ample rasade d'un vin consolateur une fois rentrés chez eux.
1928
Pendant qu'elle clignait des yeux, le couchant s'immisçait sous notre coupole.
On avait sous la main les Alpes, et en guise de cerveau des neurones artificiels. Et pendant qu’un peintre du coin immortalisait ce moment, il jaunissait ce soleil, synchrone avec tous ces voitures dans le fossé.
On avait malgré tout un ennemi : mais notre source n'avait cependant pipé mot. Sa voix chevrotait, tandis qu'il parlait de nous décapiter dans un coupe-gorge. Il vivait pour l'instant dans des niches ou dans la rue, uniquement avec un sommier sur l'asphalte. Il n'aurait pas su dire depuis combien de temps, il n'avait rien mangé...
Cette nuit-là, à demi réveillés à l'aube, il avait brusquement dit, sans doute en réponse à son rêve : « Il faut qu'on trouve un sponsor, je ne veux plus me marginaliser comme tous ces cinglés qui errent dans la ville, à la recherche d'un banc pour dormir. »
Et bientôt tout un monde subvenant à ce famélique clochard, lui donna à boire et à manger. Et bien plus, il arpentait maintenant les salles des QG nationalistes et extrémistes et les tavernes, où il haranguait la foule, d'un pas conquérant, ayant rapidement monté en grade jusqu'à devenir le nouveau chef du parti Nazi...
Tout cela avait quelque chose d'inquiétant. Dans son cœur, comme dans une huitre visqueuse et verdâtre, qui flue et reflue à l’odeur et à la vue, il y avait cette haine viscérale qui œuvrait chaque jour à trouver des causes extrinsèques à son propre malheur, à sa déchéance, comme la fois où il avait été recalé à l'académie des Beaux-Arts.
Quant à nous, pour une première étape, on flairait les marmots doués d'une imagination débordante car l'on avait bien senti qu'il nous faudrait du sang neuf et du talent afin d'avorter les plans du futur tyran du Grand Reich. Et ce matin, toute une marmaille grouillait devant un séduisant toboggan en colimaçon et je me mis sans hésiter au niveau de l'un d'eux, le fils d'un cantonnier, car j'avais vu en lui d'un coup d'œil synoptique ses capacités à précipiter la chute des SS.
Mais nous étions avant tout des fêtards survoltés avec des yeux d'anaconda et rapidement son père nous sépara, ignorant ce qu'on aurait été en mesure de réaliser si j'avais pu discuter un peu avec lui… En nous regardant partir, comme un enfant qui jette un coup d'œil sous la tente d'un cirque pour assister au spectacle, il se releva ferme combattant pour toute sa vie, il en eut conscience et le sentit soudain, au moment même de son illumination...
1997
« Écoute, je vais te raconter mon rêve : nous étions emmitouflés sous une répugnante couverture et on était tous les deux nus et cachés sous un lit. L'endroit était infesté de rats. Et tous les jours, c'était le même refrain : des rejetons passaient sous notre porte de grès ocre, ergotant sur ce récépissé qui les avait orientés dans la mauvaise direction. Des néonazis venaient marchander aussi pour des histoires d'oligopoles mais ce qui les intriguait le plus c'était notre dessin... On avait fait ça en vingt minutes. On savait exactement ce que l'on devait faire. Comme si le dessin était déjà là, sur la feuille. Pas un seul coup de gomme. Reposant le papier sur la table de nuit, ils remarquèrent à ce moment-là que le temps ralentissait.
Et on voyait dans le ciel jadis limpide des nuées ardentes depuis cette chambre qui était devenue un cube. Et qui finissait par canoter sur une rivière de boue en drainant des tonnes de diamants et de lapis-lazuli ; on avait alors la confirmation que tous les événements à venir dans un futur proche ou lointain avaient été tapés sur leur machine à écrire puis dactylographiés avant de mettre les documents dans une enveloppe rectangulaire blanche. Sur laquelle était écrit, en cursive : « À ouvrir en cas de décès. Alita Bell. »
Souffrant du complexe d'Œdipe, ses enfants, s'ils souffraient eux aussi, c'était assurément à cause de leur père. Car pour Alita Bell et ses deux mômes l’ironie du sort s'était acharné sur eux, et l'avait habitué à prendre le chèque d'Adolf Hitler quand elle était au désespoir et dans une impasse financière.
Dans la salle de tests, on avait quand même examiné le dessin représentant Alita se soustrayant à ses fiançailles. J'étais assis sur ma chaise. Alita avait repris sa place à côté de moi. Dix minutes s'écoulèrent. Les yeux fermés, le génie et le onzième élu pour éradiquer le fléau de la Shoah, le jeune Octave encore gamin et que j'avais précédemment vu sur l'aire de jeux, prit le bloc et le crayon posé sur la feuille vierge côté verso, puis laissa retomber sa main. Son poing se serra et se desserra. Son autre main se leva, hésita... Puis, se mit à caricaturer le lâche et froid Führer étranglé par des bras noueux de bûcheron...
Plus loin, il restait des traces dans le sol meuble : les motos des SS avaient fait réapparaître des sillons à la lisière d'un champ. Pour l'instant, ils s'abstenaient à faire du zèle, le dictateur ayant déclaré qu'il lui fallait Alita Bell et Octave le prodige vivants. Mais quand nous sûmes que le tyran orchestra lors de cette nuit des longs couteaux l'assassinat des S.A au profit des S.S, on avait nourri nos bêtes de somme, et on les avait déplacés au fond de ces sous-sols, notre poste de commandement.
Un imbroglio déplorable était né lorsque les officiers avaient uriné sur l'un des octuples piliers de notre repaire, et malmené le gardien sans qu'ils réussissent à entrer...
1939
Tôt ou tard, ce chien - aidé par d'autres peut-être - renversera les poubelles pour dévorer ce qui se trouve dessous. Et tôt ou tard, dans les déserts où les ermites s’exilent, on leur appliquera des cataplasmes sur leurs peaux décharnés et ils deviendront des hyènes. Cette bouillie médicinale, noirâtre, qu'un esprit observateur pourrait canoniser, fascinait toujours les savants aux connaissances médicales encyclopédiques.
Pour ces chercheurs, leurs ongles étaient de nacre mais ils brossaient, malgré tout, les poils de ces chiens de la casse. Officiellement, ils devaient infiltrer le réseau des nazis, attendre le feu vert pour démarrer la grande révolte, l'affrontement final ; leurs livres indiquaient qu'ils étaient nihilistes...
Parmi les débris des placards, des bidets ébréchés, des commodes, des chaises cassées, de mystérieux missiles étaient là, les rebelles que l'on était, s'opiniâtraient à scruter les intention d'Hitler avant de les lancer. Sur de grandes échasses invisibles, on avait tenté d'assassiner le dictateur allemand mais aussitôt des élections s'étaient succédées. Et Adolf Hitler était arrivé au pouvoir démocratiquement.
Robbie et Edwin, les deux enfants d'Alita Bell, s'étaient alliés à Octave. Ils s'exerçaient au mieux à pratiquer le kung-fu et essayaient de tirer des leçons du passé.
1945.
Ce qui devait arriver arriva : je m'étais consumé comme un vieil homme au moment où Alita me parlait et me louait la rigueur de ses protocoles du genre singulier et expérimentaux, du genre à s'alcooliser en lézardant au soleil... Je savais que le monde était un théâtre trompeur où l'impensable subjuguait même la digitalisation et les époques plus favorisées que la nôtre se défaussant de l'épouvante que la fuite d'Hitler avait partiellement lavé lors de notre prise de conscience.
Je suivis du regard la progression de ce cinglé dans les escaliers menant au cours d'eau du village. Et ça me rappela les rapports récents sur des cadavres vus flottant dans nos torrents en crue à l'automne dernier. Il était probable que le cœur de beaucoup de ceux qui se trouvaient encore dans la rue à ce moment-là palpitait à se servir une ample rasade d'un vin consolateur une fois rentrés chez eux.
1928
Pendant qu'elle clignait des yeux, le couchant s'immisçait sous notre coupole.
On avait sous la main les Alpes, et en guise de cerveau des neurones artificiels. Et pendant qu’un peintre du coin immortalisait ce moment, il jaunissait ce soleil, synchrone avec tous ces voitures dans le fossé.
On avait malgré tout un ennemi : mais notre source n'avait cependant pipé mot. Sa voix chevrotait, tandis qu'il parlait de nous décapiter dans un coupe-gorge. Il vivait pour l'instant dans des niches ou dans la rue, uniquement avec un sommier sur l'asphalte. Il n'aurait pas su dire depuis combien de temps, il n'avait rien mangé...
Cette nuit-là, à demi réveillés à l'aube, il avait brusquement dit, sans doute en réponse à son rêve : « Il faut qu'on trouve un sponsor, je ne veux plus me marginaliser comme tous ces cinglés qui errent dans la ville, à la recherche d'un banc pour dormir. »
Et bientôt tout un monde subvenant à ce famélique clochard, lui donna à boire et à manger. Et bien plus, il arpentait maintenant les salles des QG nationalistes et extrémistes et les tavernes, où il haranguait la foule, d'un pas conquérant, ayant rapidement monté en grade jusqu'à devenir le nouveau chef du parti Nazi...
Tout cela avait quelque chose d'inquiétant. Dans son cœur, comme dans une huitre visqueuse et verdâtre, qui flue et reflue à l’odeur et à la vue, il y avait cette haine viscérale qui œuvrait chaque jour à trouver des causes extrinsèques à son propre malheur, à sa déchéance, comme la fois où il avait été recalé à l'académie des Beaux-Arts.
Quant à nous, pour une première étape, on flairait les marmots doués d'une imagination débordante car l'on avait bien senti qu'il nous faudrait du sang neuf et du talent afin d'avorter les plans du futur tyran du Grand Reich. Et ce matin, toute une marmaille grouillait devant un séduisant toboggan en colimaçon et je me mis sans hésiter au niveau de l'un d'eux, le fils d'un cantonnier, car j'avais vu en lui d'un coup d'œil synoptique ses capacités à précipiter la chute des SS.
Mais nous étions avant tout des fêtards survoltés avec des yeux d'anaconda et rapidement son père nous sépara, ignorant ce qu'on aurait été en mesure de réaliser si j'avais pu discuter un peu avec lui… En nous regardant partir, comme un enfant qui jette un coup d'œil sous la tente d'un cirque pour assister au spectacle, il se releva ferme combattant pour toute sa vie, il en eut conscience et le sentit soudain, au moment même de son illumination...
1997
« Écoute, je vais te raconter mon rêve : nous étions emmitouflés sous une répugnante couverture et on était tous les deux nus et cachés sous un lit. L'endroit était infesté de rats. Et tous les jours, c'était le même refrain : des rejetons passaient sous notre porte de grès ocre, ergotant sur ce récépissé qui les avait orientés dans la mauvaise direction. Des néonazis venaient marchander aussi pour des histoires d'oligopoles mais ce qui les intriguait le plus c'était notre dessin... On avait fait ça en vingt minutes. On savait exactement ce que l'on devait faire. Comme si le dessin était déjà là, sur la feuille. Pas un seul coup de gomme. Reposant le papier sur la table de nuit, ils remarquèrent à ce moment-là que le temps ralentissait.
Et on voyait dans le ciel jadis limpide des nuées ardentes depuis cette chambre qui était devenue un cube. Et qui finissait par canoter sur une rivière de boue en drainant des tonnes de diamants et de lapis-lazuli ; on avait alors la confirmation que tous les événements à venir dans un futur proche ou lointain avaient été tapés sur leur machine à écrire puis dactylographiés avant de mettre les documents dans une enveloppe rectangulaire blanche. Sur laquelle était écrit, en cursive : « À ouvrir en cas de décès. Alita Bell. »
Souffrant du complexe d'Œdipe, ses enfants, s'ils souffraient eux aussi, c'était assurément à cause de leur père. Car pour Alita Bell et ses deux mômes l’ironie du sort s'était acharné sur eux, et l'avait habitué à prendre le chèque d'Adolf Hitler quand elle était au désespoir et dans une impasse financière.
Dans la salle de tests, on avait quand même examiné le dessin représentant Alita se soustrayant à ses fiançailles. J'étais assis sur ma chaise. Alita avait repris sa place à côté de moi. Dix minutes s'écoulèrent. Les yeux fermés, le génie et le onzième élu pour éradiquer le fléau de la Shoah, le jeune Octave encore gamin et que j'avais précédemment vu sur l'aire de jeux, prit le bloc et le crayon posé sur la feuille vierge côté verso, puis laissa retomber sa main. Son poing se serra et se desserra. Son autre main se leva, hésita... Puis, se mit à caricaturer le lâche et froid Führer étranglé par des bras noueux de bûcheron...
Plus loin, il restait des traces dans le sol meuble : les motos des SS avaient fait réapparaître des sillons à la lisière d'un champ. Pour l'instant, ils s'abstenaient à faire du zèle, le dictateur ayant déclaré qu'il lui fallait Alita Bell et Octave le prodige vivants. Mais quand nous sûmes que le tyran orchestra lors de cette nuit des longs couteaux l'assassinat des S.A au profit des S.S, on avait nourri nos bêtes de somme, et on les avait déplacés au fond de ces sous-sols, notre poste de commandement.
Un imbroglio déplorable était né lorsque les officiers avaient uriné sur l'un des octuples piliers de notre repaire, et malmené le gardien sans qu'ils réussissent à entrer...
1939
Tôt ou tard, ce chien - aidé par d'autres peut-être - renversera les poubelles pour dévorer ce qui se trouve dessous. Et tôt ou tard, dans les déserts où les ermites s’exilent, on leur appliquera des cataplasmes sur leurs peaux décharnés et ils deviendront des hyènes. Cette bouillie médicinale, noirâtre, qu'un esprit observateur pourrait canoniser, fascinait toujours les savants aux connaissances médicales encyclopédiques.
Pour ces chercheurs, leurs ongles étaient de nacre mais ils brossaient, malgré tout, les poils de ces chiens de la casse. Officiellement, ils devaient infiltrer le réseau des nazis, attendre le feu vert pour démarrer la grande révolte, l'affrontement final ; leurs livres indiquaient qu'ils étaient nihilistes...
Parmi les débris des placards, des bidets ébréchés, des commodes, des chaises cassées, de mystérieux missiles étaient là, les rebelles que l'on était, s'opiniâtraient à scruter les intention d'Hitler avant de les lancer. Sur de grandes échasses invisibles, on avait tenté d'assassiner le dictateur allemand mais aussitôt des élections s'étaient succédées. Et Adolf Hitler était arrivé au pouvoir démocratiquement.
Robbie et Edwin, les deux enfants d'Alita Bell, s'étaient alliés à Octave. Ils s'exerçaient au mieux à pratiquer le kung-fu et essayaient de tirer des leçons du passé.
1945.
Ce qui devait arriver arriva : je m'étais consumé comme un vieil homme au moment où Alita me parlait et me louait la rigueur de ses protocoles du genre singulier et expérimentaux, du genre à s'alcooliser en lézardant au soleil... Je savais que le monde était un théâtre trompeur où l'impensable subjuguait même la digitalisation et les époques plus favorisées que la nôtre se défaussant de l'épouvante que la fuite d'Hitler avait partiellement lavé lors de notre prise de conscience.