Il fait doux aujourd’hui à Louchats. Une souris sort de sous un placard de la cuisine et se dirige vers la porte d’entrée. Au passage, elle lève son chapeau en un salut amical.
- Alors ? demandé-je à Raminagrobis qui paresse en feuilletant un magazine montrant des minettes à poil.
Tout en grimaçant un sourire carnassier, le pépère saute gracieusement du canapé et se met à trottiner dans la même direction que le rongeur. Il revient quelques minutes plus tard, franchit le seuil de l’entrée en sens inverse en laissant des traces de pattes terreuses et dépose à mes pieds le cadavre ensanglanté de la bestiole qui sent encore le chaud, la vie. Je le félicite chaleureusement.
- Bravo, mon gros, tu as réussi à en attraper une du premier coup. Tu es meilleur que moi, va !
Bombant le torse, la queue dressée en panache, Raminagrobis s’en retourne fièrement vers le sofa sur lequel il saute avec souplesse, éparpillant les derniers grammes de terre et d’herbe encore accrochés à ses poils.
- Frimeur, va ! lui dis-je gentiment. Ne t’inquiète pas pour le ménage, le sofa est autonettoyant.
Et, de fait, le canapé s’entrouvre en hurlant, révélant une bouche sombre et dentelée de laquelle s’échappent des gargouillements. Il se gonfle comme une baudruche et, d’un coup de sa langue énorme, ramasse toutes les saletés et les avale, ainsi que mon chat. Celui-ci pousse un long miaulement, son regard étonné vrillé dans le mien. La bouche se referme, le sofa se dégonfle, devient minuscule et finit par disparaître.
Je vais dans le cellier où je me saisis d’une petite pelle et d’une balayette avec lesquelles je ramasse la dépouille de la souris, restée sur le plancher du séjour. Avant que j’aie pu le jeter dans le jardin, le petit corps se transforme. C’est maintenant la charogne malodorante de Raminagrobis lui-même, déchiquetée, rongée par les vers. Je laisse tomber la pelle en plastique. La tête du chat crevé est prise dans la mâchoire d’un rat énorme et puant, aussi grand que moi. Ses yeux noirs et vicieux sondent jusqu’aux tréfonds de mon cerveau, y déversant des pensées obscènes, morbides.
Asphyxiantes.
Le monstre avance d’un pas vers moi, puis son image se trouble, devient floue. Il se transforme lentement en un nuage de sable rouge, épais, tourbillonnant, au milieu duquel son regard noir continue de me fixer. Je me rends compte que nous sommes dehors, dans le désert. Les volutes de sable s’élèvent, dessinant la forme d’un sphinx au regard rougeoyant et maléfique. Je voudrais crier, je m’étouffe dans une quinte de toux, des larmes coulent de mes yeux et inondent mon visage sur lequel je plaque mes mains. Elles sont pleines d’un sable qui s’insinue sous mes paupières.
L’instant suivant, je ne suis plus à Louchats ni dans le désert, mais dans la salle capitulaire de la Cour Mably. Des rats courent sur le sol et les parois en une nappe grouillante, mouvante. Ils grignotent des tableaux de Jean-Jacques Henner, accrochés aux murs, dans lesquels des femmes rousses sortent du bain. Dans l’exposition, seule l’affichette de Raminagrobis est intacte. Je m’approche pour la décrocher et m’aperçois que ce ne sont pas des rats qui grouillent ici, mais des milliers de chats, minuscules. Alors que je tends la main pour saisir le cadre, ils se jettent sur moi. Leurs petites dents et leurs griffes pointues me déchirent la peau. Quand je me mets à hurler, l’un d’entre eux me rentre dans la bouche jusqu’à la gorge, suivi d’un autre. Je tente de les sortir de mon gosier en tirant sur leurs queues, qui se détachent et me restent dans les mains. Les appendices se tortillent, m’échappent et se jettent sur mon visage comme des serpents velus.
Complètement nu, courant à perdre haleine sur le boulevard George V au milieu de la circulation, je crache mes poumons dans les vapeurs de gaz d’échappements. Le bitume de la chaussée a l’air d’être en excellent état, les véhicules roulent sans problème mais, sous mes pas, il n’y a que du sable et plus j’avance, plus je m’enfonce. De chaque côté, des voitures me dépassent ou me croisent, la foule se presse sur les trottoirs. Chacun regarde droit devant lui, personne ne me prête la moindre attention, ne cherche à m’aider ni à me retenir.
Arrivant de tous les côtés, des chats courent autour de moi, silencieux et souples. Ils me regardent de leurs yeux dorés, me montrent leurs dents dès que je ralentis le rythme de ma course.
Ils crient dans ma tête :
- Cours
- Vite
- Ne te retourne pas
Je ne peux pas résister à l’envie de regarder derrière moi.
- Ne te retourne pas
Je regarde derrière moi. Immédiatement, je m’enfonce entièrement dans la chaussée, avalé par le sable qui pénètre dans mes yeux, mes oreilles, mes narines et ma bouche.
J’étouffe.
[Extrait de La Constellation du Chat, roman policier et fantastique du même auteur, à paraître prochainement chez les Éditions Edern, Bruxelles.]
- Alors ? demandé-je à Raminagrobis qui paresse en feuilletant un magazine montrant des minettes à poil.
Tout en grimaçant un sourire carnassier, le pépère saute gracieusement du canapé et se met à trottiner dans la même direction que le rongeur. Il revient quelques minutes plus tard, franchit le seuil de l’entrée en sens inverse en laissant des traces de pattes terreuses et dépose à mes pieds le cadavre ensanglanté de la bestiole qui sent encore le chaud, la vie. Je le félicite chaleureusement.
- Bravo, mon gros, tu as réussi à en attraper une du premier coup. Tu es meilleur que moi, va !
Bombant le torse, la queue dressée en panache, Raminagrobis s’en retourne fièrement vers le sofa sur lequel il saute avec souplesse, éparpillant les derniers grammes de terre et d’herbe encore accrochés à ses poils.
- Frimeur, va ! lui dis-je gentiment. Ne t’inquiète pas pour le ménage, le sofa est autonettoyant.
Et, de fait, le canapé s’entrouvre en hurlant, révélant une bouche sombre et dentelée de laquelle s’échappent des gargouillements. Il se gonfle comme une baudruche et, d’un coup de sa langue énorme, ramasse toutes les saletés et les avale, ainsi que mon chat. Celui-ci pousse un long miaulement, son regard étonné vrillé dans le mien. La bouche se referme, le sofa se dégonfle, devient minuscule et finit par disparaître.
Je vais dans le cellier où je me saisis d’une petite pelle et d’une balayette avec lesquelles je ramasse la dépouille de la souris, restée sur le plancher du séjour. Avant que j’aie pu le jeter dans le jardin, le petit corps se transforme. C’est maintenant la charogne malodorante de Raminagrobis lui-même, déchiquetée, rongée par les vers. Je laisse tomber la pelle en plastique. La tête du chat crevé est prise dans la mâchoire d’un rat énorme et puant, aussi grand que moi. Ses yeux noirs et vicieux sondent jusqu’aux tréfonds de mon cerveau, y déversant des pensées obscènes, morbides.
Asphyxiantes.
Le monstre avance d’un pas vers moi, puis son image se trouble, devient floue. Il se transforme lentement en un nuage de sable rouge, épais, tourbillonnant, au milieu duquel son regard noir continue de me fixer. Je me rends compte que nous sommes dehors, dans le désert. Les volutes de sable s’élèvent, dessinant la forme d’un sphinx au regard rougeoyant et maléfique. Je voudrais crier, je m’étouffe dans une quinte de toux, des larmes coulent de mes yeux et inondent mon visage sur lequel je plaque mes mains. Elles sont pleines d’un sable qui s’insinue sous mes paupières.
L’instant suivant, je ne suis plus à Louchats ni dans le désert, mais dans la salle capitulaire de la Cour Mably. Des rats courent sur le sol et les parois en une nappe grouillante, mouvante. Ils grignotent des tableaux de Jean-Jacques Henner, accrochés aux murs, dans lesquels des femmes rousses sortent du bain. Dans l’exposition, seule l’affichette de Raminagrobis est intacte. Je m’approche pour la décrocher et m’aperçois que ce ne sont pas des rats qui grouillent ici, mais des milliers de chats, minuscules. Alors que je tends la main pour saisir le cadre, ils se jettent sur moi. Leurs petites dents et leurs griffes pointues me déchirent la peau. Quand je me mets à hurler, l’un d’entre eux me rentre dans la bouche jusqu’à la gorge, suivi d’un autre. Je tente de les sortir de mon gosier en tirant sur leurs queues, qui se détachent et me restent dans les mains. Les appendices se tortillent, m’échappent et se jettent sur mon visage comme des serpents velus.
Complètement nu, courant à perdre haleine sur le boulevard George V au milieu de la circulation, je crache mes poumons dans les vapeurs de gaz d’échappements. Le bitume de la chaussée a l’air d’être en excellent état, les véhicules roulent sans problème mais, sous mes pas, il n’y a que du sable et plus j’avance, plus je m’enfonce. De chaque côté, des voitures me dépassent ou me croisent, la foule se presse sur les trottoirs. Chacun regarde droit devant lui, personne ne me prête la moindre attention, ne cherche à m’aider ni à me retenir.
Arrivant de tous les côtés, des chats courent autour de moi, silencieux et souples. Ils me regardent de leurs yeux dorés, me montrent leurs dents dès que je ralentis le rythme de ma course.
Ils crient dans ma tête :
- Cours
- Vite
- Ne te retourne pas
Je ne peux pas résister à l’envie de regarder derrière moi.
- Ne te retourne pas
Je regarde derrière moi. Immédiatement, je m’enfonce entièrement dans la chaussée, avalé par le sable qui pénètre dans mes yeux, mes oreilles, mes narines et ma bouche.
J’étouffe.
[Extrait de La Constellation du Chat, roman policier et fantastique du même auteur, à paraître prochainement chez les Éditions Edern, Bruxelles.]