Nevrotica 5

Le 27/05/2003
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par Tulia
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Rubriques / Nevrotica
Toujours le même sillon tracé et retracé bien profond par Tulia, la dégénerescence de la narratrice dans les tréfonds de la névrose mélancolique (au premier sens du terme, voir dico) la plus plus sordide et la plus ordinaire. Une rubrique qui commence à devenir effrayante de cohérence.
Ca fait une heure que je suis avachie dans mon canapé et que je regarde la télé éteinte. J’allume ma onzième clope et je verse le fond de la bouteille de Malibu que j’ai entamé tout à l’heure dans mon verre. Il est 20h15, je le sais parce que c’est marqué sur le magnétoscope. Je me souviens que je me suis levée ce matin à 7h30 mais impossible de me souvenir de ce que j’ai bien pu faire entre les deux. Est-ce que je suis allée bosser ? Est-ce que j’ai finalement préféré ne pas y aller au dernier moment ? Je sais même pas quel jour on est. Si ça se trouve, on est samedi ou dimanche. J’en sais rien. Je me rends plus compte de rien. J’imagine que c’est à cause de tout ce que je m’envoie comme alcool. J’ai envie de fumer un joint mais j’ai la flemme de rouler.
J’ai mal aux poumons et au ventre. Je saigne encore. C’est pas normal, ça fait pas ça d’habitude, faudrait que je pense à consulter un gynéco un de ces quatre.
Je crois me souvenir que le frigo est vide mais j’ai même plus envie de foutre les pieds à la cuisine. Avec un peu de chance, la chatte a pas du bouffé depuis à peu près autant de temps que moi, c’est sûrement pour ça qu’elle miaule en permanence devant la porte de la cuisine. Avant, je lui jetais toujours un truc dans la gueule quand elle faisait ça : chausson, paquet de clopes, briquet, télécommande… mais là, j’ai même pas envie de faire le moindre mouvement autre que celui qui amène ma clope ou mon verre jusqu’à ma bouche.

Ma mère a encore essayé de m’appeler aujourd’hui mais je réponds plus au téléphone. Va quand même falloir que je me décide à la rappeler pour lui faire croire que tout va bien si je veux pas la voir débarquer chez moi, même si je réponds pas non plus à l’interphone, elle a la clé de l’appart. Je me demande bien pourquoi l’homme est une des seules espèces du règne animal à garder un contact avec sa famille tout au long de sa vie. Y a rien qui me saoule plus que de devoir donner de mes nouvelles ou rendre des comptes à des gens qui ont une tendance naturelle à me gonfler, catégorie dans laquelle je foutrais aisément tous les membres de ma famille. Même mes amis commencent à me prendre la tête, pourtant on peut pas dire que j’ai des contacts super fréquents avec eux.

J’arrive pas à me souvenir de ce qui a tout fait changer d’un coup chez moi. Avant j’avais des envies, des passions, j’aimais sortir, voir du monde, changer d’air de temps en temps… Aujourd’hui, la seule perspective de devoir franchir le seuil de ma porte d’entrée pour une quelconque raison que ce soit me révulse au plus haut point. Avant, j’aimais bien parler avec des gens même si je me suis toujours exprimée de façon agressive. Aujourd’hui, le concept même de communication me donne envie de vomir. Pourtant ça m’arrive de repenser à tous les gens que j’ai cotoyé à différentes périodes de ma vie et j’en garde un particulièrement bon souvenir pour certains mais là, j’ai plus envie, ni de rien ni de personne.

J’ouvre plus les volets chez moi. Même la lumière, je la supporte plus. J’ai coupé les fusibles de tous les plafonniers pour être sûre de pas m’éblouir en appuyant machinalement sur un interrupteur quand il m’arrive de me balader dans l’appart.
Je mets presque plus de musique non plus et quand j’en mets, c’est toujours la même chose, le même disque que je fais tourner en boucle parce que j’ai la flemme de changer celui qui est dans la chaine hi-fi.

Je sais même plus depuis combien de temps ça dure. Un jour ? Une semaine ? Six mois ? Finalement ça a pas la moindre importance. Combien de temps ça va encore durer ? J’en sais rien non plus. J’espère juste que je vais bientôt crever. Même de me flinguer, j’en ai pas le courage.