Le vétérinaire 2

Le 19/06/2003
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par nihil
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Dossiers / Le vétérinaire
Comment faire du léger avec du lourd. Un texte horriblement gore, et en même temps paradoxalement plutôt tranquille, drôle sans plus, juste de quoi sourire de temps à autre, bref encore une innovation inutile : le texte lourd-léger.
Putain, faut être con.
Chuis lamentable, je me fais honte. Il était mignon ce chien avec ses bouclettes de partout, adorable, mais il a fallu que ce con avale une aiguille à coudre qui traînait sur une table basse. Avec du fil encore passé dans le chas. Bon une aiguille c’est déjà pas génial, mais ça peut toujours s’évacuer, mais il paraît qu’avec du fil, ça s’entortille de partout et l’aiguille ainsi ancrée fait des lésions de partout à l’intérieur. Bon admettons.
J’ai bien été embêté moi avec cette petite bête, l’air en pleine forme, assise sur la table d’opération. Bon ça pouvait pas être si compliqué que ça, suffisait de trouver l’aiguille. Il faut commencer par endormir l’animal, ça ce serait pas compliqué si y avait que le masque. Tu mets le masque sur le museau du chien, tu ouvres la vanne d’isoflurane et tu attends bien tranquillement. Ouais sauf que le patient a forcément une réaction de panique quand il se sent glisser dans l’inconscience. La semaine dernière, une espèce de monstre type doberman avait pété une durite à ce moment-là et avait sauté de la table en me collant une putain de balafre dans l’avant-bras. Complètement dans les vapes, il s’était pété le museau par terre et s’était collé contre un mur en vacillant mortel. Après laisse tomber pour l’approcher à moins de deux mètres, même pas la peine.
Donc je me suis un peu renseigné et ait appris qu’une petite piqûre de calmant avant l’introduction… ou plutôt l’induction je veux dire, de l’anesthésie, pouvait être utile. Donc bon je me suis retrouvé devant mon avaleur d’aiguille avec un flacon de kétamine, en train d’essayer de remplir une seringue sans trop de bulles d’air. Je m’étais complètement embrouillé dans le calcul de la dose, j’ai décidé d’en injecter pas mal, si ça peut m’éviter un coup de griffe… Vingt millilitres, ça devrait le faire. La vue de l’aiguille d’injection me fait limite tourner de l’œil, mais le but du jeu, c’est que ce soit lui qui tombe raide, faut pas confondre.
Je me suis approché de la table avec ma seringue à moitié pleine d’air, mais cet idiot de chien m’a regardé droit dans les yeux et j’ai craqué, je me suis retourné, le cœur battant. J’y suis pour rien moi, j’aime les animaux. Celui-là était si adorable, comment j’allais pouvoir le piquer avec ce truc énorme ?
J’ai soupiré fort, très fort et me suis décidé à y aller en regardant le plafond. OK, je ne savais même pas où injecter, et en fixant le plafond ça compliquait encore la manœuvre, mais sur la notice c’était indiqué voies intramusculaire, intrapéritonéale, sous-cutanée, intraveineuse etc… Pour moi ça veut dire qu’on peut piquer partout. Je sentais la peluche de la bestiole sous ma main, il ne se rebellait même pas et ça me fendait le cœur. J’ai essayé de ne pas penser et ai planté mon aiguille d’une main tremblante en poussant sur le piston. Ca a fait kaï kaï, j’ai complètement dérapé et du produit a giclé de partout, ça va, on dirait de l’eau. Le chien avait fait un bond de coté et sautait maintenant de la table. Merde, ça recommençait. Et celui-ci n’avait pas l’air d’être très shooté. Il s’est coincé entre deux meubles, aussi mort de trouille que moi. Mais j’étais sur d’avoir injecté un peu de truc.
Deux minutes plus tard sa tête se balançait de droite à gauche et ses pattes fléchissaient. Gagné ! J’étais heureux, tout allait bien se passer cette fois. J’ai avancé ma main dans le recoin ou s’était planqué le caniche et je l’ai tiré. J’ai eu un instant peur qu’il soit mort, ça faisait exactement pareil, mais non, il respirait.
Je me suis demandé si je ne pouvais pas l’opérer comme ça, sans le masque à isoflurane, mais je me suis dit qu’il valait mieux assurer et faire comme c’était indiqué. Merde, c’était sensé tenir comment sur le museau au juste, ce truc ? Suffit ptêt de le poser, simplement.

Bon, allons-y.
J’avais disposé tous les instruments de chirurgie que j’avais trouvés dans la salle d’opération sur un plateau en métal à coté de moi, j’avais vu ça dans les films, terrible. Il m’a paru tout à fait logique de tondre le ventre de l’animal, j’avais une petite tondeuse à cheveux prête et je me suis exécuté comme un chef, à part une foutue petite blessure dans un coin.
Désinfecter ? Oui, de la bétadine, ça j’avais. Je me sentais comme un pro, tout se passait bien. Bon j’en ai un peu foutu partout en essayant de verser, j’aurais du mettre une blouse, j’en avais plein mon jean, mais c’était mineur comme problème.

On passait à la partie compliquée.
J’avais des scalpels, mais fallait avant adapter la lame stérile au manche et franchement vu le tranchant je risquais d’y perdre quelques phalanges. Fallait se résigner à y aller aux ciseaux. Le cœur au bord des lèvres, pouvant à peine regarder, j’ai coupé la peau avec plein de petits dérapages de partout sur les bords de l’incision principale. Jamais été doué pour le découpage moi. Marrant, ça ne saignait pas, ou quasiment pas, et je me suis senti un peu mieux. J’allais peut-être pouvoir m’en sortir finalement. Sauf que les boyaux ne sont pas sortis comme je m’y attendais avec angoisse. Dessous y avait une espèce de deuxième peau rosâtre. J’ai haussé les épaules, et parti dans le même élan, j’ai découpé cette couche aussi, prêt à en enlever autant qu’il en faudrait. Mais non, les tripes étaient juste dessous. Je m’étais préparé à cette vision d’horreur, et ça c’est bien passé, ça ressemblait à ce que j’imaginais. J’ai soufflé deux minutes, les yeux au plafond.

Allez. J’allais m’en sortir et sauver cette pauvre bête, contrairement aux dizaines d’autres qui pourrissaient dans leur sac-poubelle, enterrés dans le jardin.
L’aiguille pouvait être n’importe où dans ce foutu tas de boyasse malpropre. Je me suis dit mmh faudrait tout sortir et tâter du doigt jusqu’à ce que je la sente. Ca promettait de bons moments. J’ai à nouveau jeté un œil à l’intérieur et ouhlà j’ai eut un mouvement de recul involontaire en constatant que les intestins bougeaient tous seuls comme un foutu tas de serpents immondes. J’ai cru que j’allais vomir et je suis allé me taper deux litres d’eau fraiche au robinet, et ça a passé.
Bon, les yeux au plafond. J’ai collé mes mains direct dans le trou et wop putain, c’était vraiment gerbant. Je me suis mis à claquer des dents en sortant en mode aveugle cette saloperie de tuyau mou, centimètre par centimètre. Je sentais rien du tout à part des putains de chute de liquide puant sur mes gants de latex. Une odeur terrible est montée et ce coup-ci j’ai couru retapisser l’intérieur du lavabo.
Quel con, j’avais trop tiré sur l’estomac, ça avait lâché. Au diable l’aiguille, ce foutu corniaud s’en accommoderait bien, fallait que je répare mes conneries maintenant. En bavant de la bile, j’ai renversé le tiroir des sutures et en ai pris une au hasard.
J’y connais rien moi en suture ! Putain, je vais te lui faire un putain de point de croix qu’il va pas comprendre sa douleur.
Ouhla ça se mettait à pisser le sang là-dedans, quelle connerie j’avais encore faite ? J’en ai eu d’un coup ras-le-bol, mais un ras-le-bol intégral, j’ai décidé de tout refermer de mon mieux et faudrait que le clebs s’en contente. J’ai commencé à enfiler de grandes aiguillées de fil à l’endroit approximatif où l’estomac était déchiré, en pleurant de rage. J’étais nul, un putain de vrai crétin.
Des vagues noires commençaient à passer devant mes yeux.
J’avais du sang jusqu’aux coudes en essayant de retaper ce foutu estomac, mais putain j’avais cousu le bord de ce putain de sac crevé avec la paroi interne de l’abdomen ! Aaargh putain.
Mes genoux ont fléchi et ma respiration s’est raccourcie. Ouhla, là y avait un truc anormal.
Juste eu le temps de voir le masque d’isoflurane, posé sur la table, à dix centimètres du museau de la bête. Cette saloperie me vaporisait deux litres minute de gaz anesthésiant dans la pièce ! Mais j’avais plus les moyens d’avancer et de couper l’arrivée, me suis mis à genoux doucement, les membres en fonte, et me suis allongé.

C’est une espèce de longue plainte qui m’avait réveillé, un truc de cauchemar que j’essayais de sortir de ma tête en la secouant de droite et de gauche, en vain.
Tout l’isoflurane avait fini par s’évaporer. Y avait une foutue traînée de sang monstrueuse qui partait de la table, vers le recoin. Là-bas le chien éventré gémissait interminablement en léchant les bords trempés de bile et de sang de son immense blessure. Etalé partout, traînant ses tripes derrière lui, il s’était reveillé à peu près en même temps que moi. Quand j’ai essayé de me relever, le cerveau vidé et les jambes en coton, il m’a regardé avec cet air de… de terreur et de souffrance… Je suis reparti faire un tour dans les bras de l’inconsience.

Je pleure comme un malheureux en enterrant le sac-poubelle dans le jardin. Il était si adorable ce pauvre chien. Je m’en voulais si terriblement et j’avais honte. Et qu’est-ce que j’allais dire à sa maîtresse hein ? Comme à toutes les autres : accident d’anesthésie.
J’aurais du rester avocat, franchement, c’était pénible mais au moins je ne me bousillais pas moi-même la santé. Faut décidément que j’appelle mon oncle, il paraît que le diplôme d’expert-comptable est encore plus facile à contrefaire que celui de vétérinaire.