Paranoïa Square 2

Le 18/07/2003
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par Arkanya
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Rubriques / Paranoïa Square
De la psychopathologie déconnante, voilà qui colle de près à l'idéal zonard. Jouissif en tous cas...
Samedi 16 novembre 2002
Le facteur n’est toujours pas passé. Il l’a touché mon chèque de solde cet enfoiré, c’est sûr.
Ça fait quelques mois que je le surveille celui-là. C’est pas bon quand un mec qui sort de nulle part comme ça connaît votre nom et votre adresse, c’est louche.
Depuis que je ne suis plus obligé de me lever à l’aube pour aller bosser chez ces gros cons de CONDOM, je me lève à l’aube pour attendre le passage de cet espion. Je ne sais pas pour le compte de qui il travaille, mais il est très fort. Tiens, les publicités que je reçois dans ma boîte correspondent quand même étrangement à mes centres d’intérêt je trouve. Alimentation, prêt-à-porter, ameublement… Dès que je pense à mes vacances qui approchent, je vois fleurir des promotions sur les glacières, les tentes et les maillots de bain. Je commence à avoir froid, on me parle pulls et bois de chauffage. C’est ce qui m’a mis la puce à l’oreille.
J’ai tendu un fil qui va de la porte d’entrée à ma fenêtre, et chaque fois que quelqu’un entre, une sonnette accrochée à ma tringle à rideaux retentit. L’inconvénient c’est que ça ne marche pas si la fenêtre est fermée, et la nuit il fait moins quinze, d’ailleurs, je suis sûr qu’ils y sont pour quelque chose. Il faut être logique, où va l’argent que l’on paie pour le chauffage ? Dans leur poche. Comment me faire dépenser plus d’argent ? En me faisant consommer plus de chauffage. C’est vicieux. Rien à faire, ils ne m’auront pas, j’ai un stock de couvertures suffisant pour contrer leurs stratagèmes les plus subtils. Et puis quand le froid est trop mordant, je me lacère la peau de petites coupures que j’arrose de Téquila, de sel et de citron. Ça fait un peu mal, mais à côté le froid ne parait plus si terrible.
Aujourd’hui la sonnette a dingdongué trente-sept fois. J’ai inscrit toutes les heures sur le papier peint. Parfois, l’agent secret parvient à aller assez vite pour que je ne le voie pas, mais je les ai presque tous identifiés. C’est quand même bizarre, ce nombre impair, ça veut dire qu’il y en a un qui n’est pas ressorti. J’ai fouillé toute la cage d’escalier, l’air de rien, en faisant celui qui cherche ses lentilles. Rien à faire, ce salaud a une planque en or. Maintenant je fais bien gaffe de regarder où je marche, des fois qu’il dissémine des miettes de tomate dans les couloirs.


Dimanche 17 novembre 2002

Le facteur est pas passé.


Lundi 18 novembre 2002

Le facteur est pas passé.


Mardi 19 novembre 2002

Le facteur est pas passé.


Mercredi 20 novembre 2002

Le facteur est pas passé.
C’est marrant, ça me rappelle une comptine, lundi, le facteur na na na na, mardi… non, je dois pas penser, je dois pas penser, c’est pas marrant. C’est sûr, c’est eux, ils essaient de me mettre des idées dans la tête de force.


Jeudi 21 novembre 2002

10h38 le facteur entre. 10h41 le facteur sort. Trois minutes entières. Trois longues minutes pour soi-disant distribuer du courrier dans neuf boîtes. Ils me prennent pour un amateur, c’est pas possible ! Bon, apparemment, il a dû désamorcer le piège à souris que j’avais dissimulé par terre, ce qui expliquerait le temps qu’il a passé à l’intérieur.
Je suis descendu en longeant les murs dans mon jogging de camouflage gris. J’avais pris soin de mettre des gants Mappa sur mes mains et mes pieds, et une capote sur la langue, pour me protéger de leurs infections bactériologiques. Au troisième palier, une clé a tourné dans une serrure. Deux étages au-dessus, des voix retentissaient. Je n’avais plus le choix, je me suis rué dans les marches, et alors que j’avais presque atteint le rez-de-chaussée, mon pied a glissé sur un papier de Carambar qu’ils avaient savamment posé pour que je le rencontre. Voyant le sol se rapprocher dangereusement, j’ai fait de grands mouvements de bras mais le plan était ficelé et j’ai fini ma course la tête dans la poubelle qui était comme par hasard restée ouverte. Comme les voix se rapprochaient, j’entrai tout entier et rabattis le couvercle. Mais il savaient que j’étais là, sinon pourquoi cette vieille bique du quatrième et le vieux fumeur de cigares du dernier se seraient-ils arrêtés comme ça pendant vingt minutes à parler de choses sans intérêt aucun même pour eux ? Et vas-y que maintenant les éboueurs passent le matin, avant ils passaient le soir, c’était plus pratique, et que j’te donne du la boulangère qui fait de l’œil au boucher, et du ma p’tite dernière a accouché d’sa p’tite dernière, qu’est toute moche et toute fripée et qui ressemble pas du tout à son père.
Les effluves d’ordures ménagères en tout genre dissimulaient mon odeur de mâle, mais j’avais quelques difficultés à respirer. Quelque chose courut sur ma jambe, je l’attrapai et l’avalai sans croquer. Je le sens encore bouger dans mon estomac, c’est bizarre, ça fait quatre heures, il devrait être mort. J’ai avalé la bombe de Baygon Vert, il bougeait encore, après celle de Baygon Jaune, ça l’a un peu étourdi, comme quoi ça doit en être un qui fait “schkrr, schkrr”.
Bon, à part ça, la boîte aux lettres était vide. Demain je me remets à mon poste.