Game over

Le 11/08/2003
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par Arkanya
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Thèmes / Obscur / Psychopathologique
Arkanya règle quelques comptes avec une nouvelle psychologique plutôt euh freudienne qui dérape joliment et offre pas mal de scènes sympas, perturbées, disjonctées et autres.
Je suis assise en face de toi, une fois de plus, pour une énième explication. Est-ce qu’il faut recommencer encore et encore ? Est-ce qu’on ne pourrait pas arrêter une bonne fois pour toutes ? On choisit ses amis, on ne choisit pas sa famille, tu connais l’adage. Toi tu m’imposes tellement bien ta famille que je n’ai plus d’amis, quels amis, quelle vie ? Qui peut encore supporter, regarder en face le terne de ma vie et faire semblant de s’y intéresser ?
- Tu as encore mis tes chaussures pourries, tu ne prends vraiment pas soin de toi, pas étonnant que tu sois toute seule.
Je te (crache au visage) regarde en serrant les dents.
- Arrête de ronger tes ongles ! Comment veux-tu paraître féminine avec des mains pareilles ? Et ne pince pas les lèvres comme ça, tu devrais sourire davantage, les gens viendraient plus vers toi.
Pour quoi faire ? Ils viennent vers moi suffisamment sans que je les y encourage. Il leur faut toujours quelque chose, ils ont besoin que je les regarde, que je leur parle, que je les fasse exister rien que de mon attention. Vous êtes charmante, mademoiselle. Ta gueule, connard. Vous auriez l’heure ? A quoi me servirait-elle, les heures sont toutes les mêmes. Vous auriez une cigarette ? Non. Pourriez vous excuser ! Je ne m’excuse pas, je te hais, salope, dégage quand je passe si tu ne veux pas être bousculée. Ils me poursuivent jusque chez moi, ils veulent me vendre des tapis, des calendriers, rempailler mes chaises, pisser dans mes toilettes. Qu’ils aillent en enfer, tous, et qu’ils me laissent dans le mien, dans le nôtre.
-Tu ne viens ici que pour laver ton linge.
Exact, tu vois que tu n’es pas si conne.
-Tu ne m’aimes pas.
Je ne sais pas ce que ça veut dire, je ne comprends pas, je ne comprends pas, je ne comprends pas. Une voix qui vibre ? Un regard qui émeut ? Une envie brûlante de dévorer la chair aimée, de croquer dedans pour en arracher un lambeau sacré, et rire de toutes ses dents rougies ? Quoi ? C’est quoi ? Un mythe improbable pour garder l’être humain dans l’espoir utopique d’une vie meilleure ? La plus grande arnaque de toute l’histoire de l’humanité…
-Parle un peu, c’est toujours pareil avec vous. Je vous ai donné les plus belles années de ma vie, c’est comme ça qu’on est remercié !
J’ai envie, je veux… (je te mets une claque, une claque d’une telle violence que l’empreinte de mes doigts est marquée sur ta joue comme au fer rouge, tu ne l’as pas vue venir, tu me regardes hébétée et je m’en vais en claquant la porte très fort, les murs en tremblent, je ne reviendrai plus jamais) j’allume une cigarette - non, tu ne vas pas fumer ici - j’écrase ma cigarette, je me sers un verre de vin. Je ne suis pas eux, je suis moi, je suis Une, je ne suis pas partie d’un tout, putain de bordel, je veux exister, je veux que tu saches qui je suis, je te hais. Je me pince la cuisse sous la table pour avoir mal, pour que ma peau souffre comme je souffre à l’intérieur. Je tourne mes doigts sur ma peau, fort, très fort, mais je ne sens plus rien que la chaleur au bout d’un moment.
-Tu n’as rien fait pour moi,
écho de nuits gâchées, images de couloirs blancs et aseptisés, de banquettes défoncées, à attendre et angoisser, souvenirs confus, nombreux, trop nombreux d’attentes coupables et impuissantes, de courses inquiètes, fausser compagnie, mettre les invités dehors, poser sa vie pour un moment, la jeter par terre, la reprendre plus tard, démantelée, disloquée, mais restée là à attendre malgré tout, pour accourir vers toi, vers tes menaces, vers ton chantage de merde
-je ferais mieux de partir, je vais mourir vous vous en foutez
(je te frappe jusqu’à ce que ta tête se déforme) oui je m’en fous, meurs, crève, crève, CREVE, pars, laisse moi exister, laisse moi vivre mes échecs et ne m’impose plus les tiens arrête de vivre en moi meurs meurs meurs
Je ne veux pas penser à ça. Je me hais de vouloir ça. Et pourtant. J’y perdrai le temps de mon deuil, puis je revivrai.
Je suis méchante. Mes pensées sont ignobles, ces désirs sont égoïstes et horribles. C’est ta faute. Tu as épuisé ce que je pouvais donner, tu as asséché mon cœur, tu l’as durci. Je ne peux plus rien ressentir je te hais je suis vide
Clac, ça ne fait pas mal.
Je presse le bouton de la télécommande, mais tu ne t’éteins pas…
Tu lèves les yeux au ciel et tu replonges dans un de tes foutus magazines
Tu ne bouges plus
Je passe derrière toi
Je vois le moustique monstrueux sur ton crâne
J’attrape le vase sur le secrétaire
Je le lève haut au dessus de ta tête
Je je je je je je je
J’existe
Je ressens
J’agis
Je fêlure
Je je je je je
Je te hais
Je tape fort
Je démence
Je te regarde tomber lourdement de ta chaise

(silence)

Peut-être que je t’aime, sinon pourquoi cet étau de douleur à voir ce corps connu par cœur tordu sur le sol ? Je m’en fous, j’aime souffrir. J’aime être malheureuse, c’est le seul moyen que je connaisse pour que les autres s’occupent de moi. C’est ma seule excuse à l’état de mélancolie dans lequel je suis plongée en permanence, à l’intérieur, sous la façade, prêt à m’envelopper dans une enveloppe huileuse d’inaction léthargique.
Ils ont toujours des bidons d’essence dans les livres, c’est idiot. Je répands du Whisky sur tes vêtements, c’est la seule idée que je sois capable d’avoir là tout de suite. Je pleure, évidemment que je pleure. Il doit me rester un fond d’humanité sous la rancœur finalement.

Je suis assise à côté de toi. Je caresse tes cheveux, ils ont toujours été tellement fins. Une fourmi se faufile sous la porte d’entrée, je la saisis entre mes doigts, un peu trop fort pour qu’elle ne pas l’avoir écrasée, je l’essuie sur ma joue. La douceur de tes mains, que j’ai recherchée dans tous les contacts, dans le brouillard de toutes ces soirées embuées de substances enivrantes, dans tous les coïts emprunts de violence et de perversion. Je n’aurais pas dû.
Je n’atteindrai jamais la sérénité que je supposais de ton absence.
Quelle était cette femme illusoire, méchante et haineuse qui enveloppait ma maman ? Où étais-tu donc cachée si bien que je ne savais pas où te chercher ? J’aimerais que tu puisses me bercer comme on berce un chat qui saigne des…

C’est toi qui le voulais, tu voulais mourir, sinon pourquoi avoir aussi souvent essayé ?
Le silence. Tout n’est plus que silence, dehors et en moi. Plus rien ne bouge, arrêt total, tout est mort et enterré. Dans mon ventre les mouches sont figées en plein vol, comme suspendues par du fil de pêche. Le voulais-tu vraiment ?

Est-ce qu’on peut vivre sans ce que l’on hait ? Est-ce que la victime peux vivre sans l’assassin ? La liberté me semble bien difficile subitement. Je pensais que quand tu ne serais plus là, je deviendrais automatiquement quelqu’un d’autre. Raté.

Pourquoi me faut-il tuer les deux, celle que je hais et celle que mes cellules appellent en hurlant?
Une allumette, il suffit d’une seule.

Décide-toi, réagis un peu, ce que tu peux être énervante à la fin.
J’hésite, est-ce que je pourrai supporter l’image de ta peau qui se ratatine et noircit ? Combien de bribes de nuits qui sursautent comme un…
Assume toi un peu, ne reste pas là à perdre ton temps, craque cette allumette ou va-t-en.
Je craque l’allumette. Etincelle, petite flamme bleue qui consume le bois lentement. Je me brûle les doigts. Pas réussi.

Tu n’as même pas l’air morte. J’ai l’impression que tu vas te relever, finir ta tasse de café au lait en aspirant l’air entre tes dents -sais-tu combien ce tic m’énerve ?- te relever et râler, pester et te plaindre, tu ne sais pas faire grand-chose d’autre je crois. Il faudrait que je tende la main, que je la pose sur les veines de ton cou pour savoir si ton cœur bat. Et si tu es morte ? Je deviendrai folle d’avoir eu à toucher un cadavre, je ne peux pas toucher la mort, pas moyen. Ma souris est morte la semaine dernière, j’ai jeté la cage avec.
Tu es vraiment ridicule, ce n’est pourtant pas compliqué.
Putain, mais tu vas sortir de ma tête espèce de salope ? Je t’ai tuée, je t’ai tuée, je t’ai tuée, tu es morte, casse toi. C’est donc ça qui va se passer ? Je vais te porter en moi comme ça ? Je vais engrosser un psychanalyste pour que tu dégages ?
A la vie à la mort, il te faudra plus qu’une allumette. Tu as tué ta maman, pas ta mère.
La ferme. Je craque l’allumette et la jette sur ton (ancien) corps, un souffle et tes vêtements s’embrasent. Je pars sans me retourner. Je, c’est je, pas nous, salope, je te tuerai encore, c’est pas grave.



Tu es venue, tu m’as rejointe encore. J’ai oublié où j’habitais, c’est bête. On est bien dans cette église, tout le confort. Ça résonne comme dans une benne. Je cohabite avec le seigneur, il est plutôt partageur. La nuit il me parle, et il te parle aussi je crois, quand je dors. Son fils me regarde de là-bas, tu vois ? Tu as crié plus que la dernière fois. Tu as hurlé que tu n’étais pas ma mère, mais on ne me la fait pas, je t’ai bien reconnue.
Bon, tu es bien morte maintenant n’est-ce pas ? C’est la sixième fois que je te tue, c’est fini, hein, dis maman…