Couleurs

Le 23/09/2003
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par Kirunaa
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Thèmes / Obscur / Psychopathologique
Considérations chromatiques sur fond d'art, d'histoire et de techniques de communication pour un texte qui n'est tout de même pas exempt d'une certaine forme de pathologie.
Avez vous déjà remarqué à quel point les couleurs sont importantes pour l’humanité en général ? L’œil humain, merveilleuse machine à la complexité inouïe, composé de lentilles adaptables, de diaphragmes, d’un écran ultra-haute résolution, le tout associé au plus impressionnant multi processeur jamais imaginé… Grâce à ces outils perfectionnés, ou peut être à cause d’eux, l’homme a développé l’art. Et notamment l’art des couleurs. Dans les plus anciennes cavernes connues pour avoir abrité nos ancêtres, on retrouve des fresques somptueuses aux couleurs éclatantes. Les bijoux, les vêtements, les tatouages, et aujourd’hui les couleurs de cheveux, maquillage… tout l’art humain est basé sur la maîtrise des couleurs.
Cependant, si nombre d’entre elles sont accommodées depuis des temps immémoriaux, il en est une, plus éclatante que les autres, dont la parfaite maîtrise est d’une complexité plus ardue encore. Le jaune , l’ocre, le rouge et surtout le noir sont depuis bien longtemps parfaitement communes. Essentiellement composées à partie de minéraux, terres, et pigments aisés à se procurer dans la nature. Le blanc, déjà plus complexe à obtenir, spécialement en teinturerie, n’était déjà plus un secret lors de la dernière glaciation, il y a 35 000 ans. Il suffisait aux femmes de garder leurs urines quelques jours. Celle-ce se dégradait alors naturellement en ammoniaque qui, idéalement concentré, décolorait le cuir et permettait d’obtenir une blancheur quasi immaculée.
Le vert, couleur naturelle par excellence, ne présentait qu’un intérêt quelconque, et est issu par exemple du fer3.

Seule une couleur, resplendissante, propriété essentielle de la planète qui est la notre, reste encore aujourd’hui le but des quêtes les plus folles. Le Bleu. Le magnifique, inimitable et superbe Bleu. Peut-être seulement révélé dans la petite église St Stephan de Mayence. Le Bleu., inimitable et parfait, à la conquête duquel je suis partie. Seule le Bleu mérite toutes mes attentions. Je reste des heures à observer le ciel. Mes vêtement sont tous bleus, quels qu’ils soient. Mon appartement est Bleu, mes cheveux sont bleus, ma vaisselle est bleue, ma voiture est bleue, les seuls préservatifs que j’utilise sont les Benetton special Blue, car ce sont les seuls à avoir une couleur suffisamment profonde pour rendre attirant cet odieux objet rouge qu’est la verge masculine. Mais tous ceux-ci ne sont que des instruments externes, des accessoires. La vraie quête se doit d’être intérieure. Je ne me nourris presque plus car aucun aliment n’est entièrement bleu. À part le riz, que je colore grâce au somptueux bleu de méthylène. Ceci me permet de pisser bleu. Ca veut donc dire que mon intérieur est maintenant bleu. Tant que le traitement continuera.
Mais c’est pas assez, ca va pas assez vite. Je veux plus de bleu, plus. Je veux la peau aussi indigo que celle de ces merveilleuses créatures que sont les Stroumpfs. Je veux les yeux des Fremens. Je veux le sang de l’orphie. Et pour ca j’ai enfin trouvé la solution. Car mon corps, enfin, recèle les pigments sacrés. Je l’ai découvert en me tapant la tête à la porte d’un placard. La peau, ainsi traitée, se colore alors d’une divine teinte outremer. Alors je me suis frappée. Contre les murs. Encore, et encore, et encore… jusqu'à ce que mon corps entier soit recouvert des divines ecchymoses. Bleue. Enfin. Totalement et indélébilement bleue… je peux enfin me reposer… couchée sur le sol, là où je suis tombée…

Des cris me sortent de ma torpeur. On frappe à ma porte. Des voix me vrillent le cerveau. « Elle doit être là, je pense qu’il y a eu une bagarre, on a entendu des coups et des chutes chez elle pendant des heures ! »

Des coups violents frappent la porte. Elle cède. L’Entité divine m’apparaît alors, nimbée d’éclairs bleus à la teinte parfaite. « Enfin, vous venez me chercher », lui dis-je…

Mais elle m’a trahie. L’Entité m’a trahie. Me soulevant de terre sur un lit blanchâtre, elle m’a conduite dans un camion de la couleur du démon. Aussi rouge que le sang que j’avais purgé de mon corps.
Mais je ne resterai pas.