Pénitence

Le 25/09/2003
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par Aka
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Thèmes / Obscur / Triste
Aka continue à nous en mettre plein la gueule avec son style efficace et implacable, remettant en cause les conventions du bonheur et sa recherche dans l'isolement et la fuite. A lire.
Arrêt sur image. Cinq personnes, sourires radieux aux lèvres. Des amis apparemment, complices jusque dans l’éclat de leurs yeux. L’ameublement succinct de la pièce suggère qu’ils sont sûrement dans une location de vacances. Illustration parfaite pour la définition du mot « bonheur ».
Battements de paupières. Reprise du souffle. Arrêt sur image. Vieille photo d’un couple et de leur bébé. Sérénité, futur assuré.
Sifflage de verre, allumage de cigarette. Arrêt sur image. Remise de diplôme, regards emplis de fierté.
Pourquoi te fais-tu autant de mal ?
Arrêt sur image. Un enfant caresse un cheval. Arrêt sur image. Une fête d’anniversaire. Arrêt sur image. Un couple en train de s’embrasser. Bonheur. Bonheur. Bonheur. Bonheur. Bonheur. Bonheur. Bonheur.
Envoie du verre contre le mur. Silence. Il n’y a plus d’images depuis bien longtemps. Le vide a été fait, pire, il a été assumé.
Paye et assume, c’est ce que tu voulais non ?
Mais j’ai tellement mal, tu le comprends ça !
Bougre de petite idiote, tu réclamais le droit à la solitude, tu prônais l’inutilité de tout sentiment. Faire le vide, hein ? Ne rien avoir jamais plus à perdre, c’était la sérénité acquise avec certitude, c’est bien ça ?
Une erreur de jugement ça arrive à tout le monde. Je voulais seulement me protéger, me convaincre que toute cette théorie était la meilleure chose à faire. On a tous nos sautes d’humeur, nos remèdes contre le mal. C’est humain. Je suis humaine.
Tu es humaine par ton imperfection. Tu continues à te manipuler toi-même tout en hurlant à la face du monde que tu luttes dans tes actes contre une quelconque intervention extérieure. C’est bien ce que tu leur as dis à tous pour justifier le fait de les avoir rayés de ta vie ?
Ils ne me comprenaient pas ! Je leur faisais du mal, ils me regardaient sombrer sans pouvoir faire quoi que ce soit ! J’allais les détruire autant que je me détruisais, autant que je me détruis encore aujourd’hui.
C’est tellement mignon : tu leurs faisais du mal donc tu les as achevés. Alléluia ! La prêtresse de l’euthanasie est parmi nous ! Regarde à quel point tu te mens.
Mais j’avais peur putain ! Je savais que si je remontais, l’un d’entre eux serait là pour me couler à nouveau. Je n’ai jamais eu de chance avec les autres, j’y peux rien…
Et les entailles sur tes bras ? C’est la malchance qui dirige ton couteau à chaque fois peut-être…
NE PARLE PAS DE CA !
C’est elle qui t’inflige toutes ces punitions, qui t’embrume l’esprit d’alcool, qui te punit à longueur de temps de quelque chose dont tu n’as même pas conscience ?
ARRETE !
La vérité, c’est que tu aimes ça, souffrir. Une illustration de la souffrance, c’est ça que tu veux être. Toi et ta vie de solitude, ton corps couvert des coupures que tu te plais à t’infliger de manière si extatique…
MAIS FERME TA GUEULE !
Silence.
Allumage de la télé : tiens, son film préféré. Le sourire lui monte aux lèvres. Pourquoi ne pas déboucher sa meilleure bouteille de vin afin de fêter ce grand moment ? Un grand moment oui, deux heures loin de l’ennui et des souvenirs. Deux heures de remplissage de matière grise pour ne plus penser au passé. Seul les bons moments comme celui-ci comptent maintenant.
Il lui fallait se souvenir à jamais de cette merveilleuse soirée qui s’annonçait. Un ajout aux images qu’elle se plaisait tant à contempler incessamment. Une marque indélébile…