La fin

Le 12/10/2003
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par Kirunaa
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Thèmes / Obscur / Triste
Tableau d'une mort en milieu médical, un texte calme, une interprétation comme une autre dans laquelle l'agonisant est spectateur de sa propre fin.
J’ouvre les yeux. Je me réveille fatigué. Mon corps est toujours là, mais uniquement comme une conscience lointaine. Aucune douleur. Je pense que j’ai déjà eu ma dose de morphine. Ils ont dû l’augmenter, car ces derniers jours le dosage n’était plus assez fort.. Tout est noir autour de moi, il doit être tard. Les drogues m’ont fait depuis longtemps perdre toute notion du temps. Les sons me parviennent étouffés. Les conversations des infirmières dans le couloir, les bips, chuintements, raclements, sifflements des machines qui répandent dans mes veines les produits qui me maintiennent encore en vie et réduisent un tant soit peu la douleur. Cette douleur avec laquelle je vis depuis des semaines. Une impression générale de mal être, de souffrance localisée dans mes bras, rendus raides par les trocarts des perfusions, dans mes poumons, que chaque bouffée d’air insufflée par le respirateur irrite et déchire, dans mon ventre, rongé, lentement désagrégé par la maladie. Je sais que mon cœur est devenu mon pire ennemi. A chacun de ses battements, il répand le poison mortel plus loin dans toutes mes cellules. Quel ironie pour un oncologue de mourir par l’ennemi qu’il a toujours combattu. Je suis pas à pas l’évolution du traitement , en déduisant mon état. Je sais maintenant que ma fin est très proche.
Soudain, une lumière aveuglante m’éblouie. Le soleil rentre à flots par la fenêtre. Ce n’était donc pas la nuit ? J’observe intensément la chambre autour de moi. Les murs d’un jaune pastel, les rideaux et leur motif montagnard représentant un berger et ses moutons, la télévision, muette mais toujours allumée. Je perçois aussi parfaitement tous les sons qui m’entourent, du rythme calme du respirateur au vrombissement de la tondeuse dans les jardins. Une mouche sur la fenêtre. Je ressens parfaitement tout mon corps. Je le perçois. La douleur est partie. Je me sens bien. Les aiguilles ne me gênent plus, je respire tranquillement… Ah ! non tiens, je ne respire plus. Ce n’est pas grave, cela ne me dérange pas. Pas plus que l’alarme de l’électrocardiographe. J’en prends note, sans plus. Comme je me sens bien !
Les infirmières se ruent dans ma chambres, s’affairent autour de moi, crient. Je les regarde par dessus mon masque. Je vois mon cadavre se refléter dans les lunettes de celle qui se tient juste à mon chevet, penchée sur moi. « Ne vous inquiétez pas, nous allons vous en sortir. »
M’en sortir… mais je suis condamné depuis des mois ! Je souffrais inutilement, je vous suppliais de me laisser mourir ! Et enfin l’heure est arrivée.
Dans ses lunettes, les yeux de mon cadavre me sourient.
Enfin.