Initiative

Le 19/10/2003
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par Arkanya, Petit Prince
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Thèmes / Polémique / Politique
Un article ambitieux sous forme de nouvelle de politique-fiction, bien construit, intelligent, qui propose rien de moins qu'un nouveau modèle de société. Un texte profondément utopiste, confiant en la nature humaine et plutôt optimiste hinhinhin. Pas mal foutu, mais c'est pas mon trip, et encore moins celui de la Zone en principe.
"…pas cinq ans devant nous. Nous avons tout au plus un an pour faire nos preuves. Et encore !… Il faut mettre à profit les quelques mois d'état de grâce pour frapper fort. Et à ce propos…"
Elle dégage, Julia… Cette fille est un véritable concentré d'énergie. Et charismatique en diable. Certains avaient objecté que sa candidature relevait du cliché. Une femme… jeune, brillante… et jolie de surcroît. Petite fille d'immigré en plus ! Italien, certes, mais immigré quand même. Evidemment que ça relevait du cliché, mais il est évident aussi que ce n'est pas sur ces seuls critères qu'elle a été propulsée sur le devant de la scène.
Je l’ai à peine bousculée, elle n’a même pas l’air de s’en être rendu compte. Elle est déjà après quelqu’un d’autre, à parler très vite des dizaines de choses que nous allons accomplir, autant avec ses mains qu’avec sa voix hypnotique. Il n’y a qu’entre les draps que ça s’arrête. Après l’amour, elle repose son corps humide et chaud tout contre moi et elle reste immobile à me regarder comme si elle voulait me réinventer. C’est encore dans ces moments-là qu’elle me parle le plus, rien qu’avec ses sourcils qui se froncent durement ou le coin de ses lèvres qui esquisse une approbation. Elle peut être aussi publique que le veut sa nouvelle fonction, cette Julia-là n’est qu’à moi.
Peu à peu les éclats de voix deviennent murmures, puis silence, chacun prend place autour de l’immense table ovale, dans la grande salle de réunion de notre Q.G., là où nous avons passé l'essentiel de nos soirées et parfois de nos nuits blanches, ces dernières semaines. Nous avons tous les traits tirés, la nuit a été courte. Une sacrée nuit ! D'aucuns n'hésitaient pas à appeler ça "le grand soir". Je crois que le fait le plus marquant est venu des manifestations spontanées qui ont éclaté un peu partout dans le monde. Je n'en reviens toujours pas. Toute la planète, ou presque, avait les yeux rivés sur le résultat des élections présidentielles françaises. Quand le résultat est tombé hier soir, une rumeur assourdissante a commencé à s’élever dehors, les gens sont sortis de chez eux pour emplir les rues de cris et de sons de klaxon. C’est le pays entier qui se mobilise enfin, les citoyens semblent pour une fois aussi concernés par les élections présidentielles que par un match de football ou un concert, et c’est déjà pour nous un semblant de victoire. Il n’y a qu’à voir le taux de participation incroyable : 89 % ! Et Julia Tonelli élue avec 66 % des suffrages exprimés.
Pendant que Madame la Présidente énumère l’ordre du jour de son conseil de guerre, je me laisse aller à divaguer. Mes pensées me ramènent à cette soirée d'été, quelques trois ans plus tôt... Autour d’un barbecue mourant, nous avions épuisé aussi bien le stock de brochettes que celui des plaisanteries, et étions quelques increvables qui repoussaient la fin des réjouissances autour d’une dernière bière. Fidèles à l’habitude, nous refaisions le monde, ressassant les sempiternels mêmes lieux communs...
- Le vrai problème, c'est le manque de conscience politique du citoyen de base…
- Tu parles ! Le citoyen de base, tant qu'il peut bouffer, payer les traites de sa bagnole, s'abrutir devant la télé et rêver qu'un jour il sera millionnaire en achetant des saloperies à gratter ou à tirer, il n'y a pas vraiment de raison qu'il se bouge…
- Ça peut se comprendre. Je ne dis pas que ce n'est pas critiquable, mais ça peut se comprendre. De toutes façons, que ce soit la gauche ou la droite, le pékin de base se fait toujours mettre bien profond. C'est le mépris le plus total. Moi, ça fait un bail que je ne suis plus sur les listes électorales.
- Super ! Et tu te permets de la ramener ? Si tu n'es pas content, tu as ta liberté d'expression. Le droit de vote en fait partie. Des gens sont morts pour obtenir ce droit.
- Voilà que ça le reprend avec son couplet moraliste. Qui est mort ? Les insurgés de 1848 ? La belle affaire ! En plus, je te rappelle que si le suffrage universel a été crée en 1848 - et oui ! moi aussi je connais mes classiques Camarade ! - il était purement masculin. Une belle bande de machos, oui. Pour ce que ça a donné ensuite... Et puis je te vois venir, mon lapin. Tu vas encore nous sortir ton discours sur l'abstention qui fait le lit des dictatures, on le connaît par cœur ton argumentaire.
- Possible, mais tu ne l'as toujours pas intégré et compris, de toute évidence. Mais dans l'état où tu es, je t'épargnerai une énième redite, abruti ! Et j'admets également que tu es très fort en histoire…avec une mémoire bien sélective!… Et pour toi alors, le Front Populaire, les congés payés, la semaine à 40 heures, c'était du flan ?! Et puis arrête de squatter le joint…
- Moi, il me semble qu'on a perdu de vue quelques fondamentaux…
- …
- Si on reprend la constitution de 1789, la déclaration des droits de l'homme, si vous préférez, l'essentiel est dit, non ? On pourrait croire à un idéal de démocratie. Qu'est-ce qu'il en reste ? Comment a-t-on pu déraper à ce point ?
- Déjà, à force de prendre les gens pour des cons, ils finissent par le devenir… ou du moins à se comporter comme tels. La déresponsabilisation entraîne toujours plus d'irresponsabilité ; c'est une sorte de spirale infernale. La base est complètement coupée du pouvoir. Peut-être que la tendance s'inverserait si le peuple était consulté plus souvent.
- Des référendums ? Et tu crois vraiment que les gens sont prêts à se gâcher le dimanche pour aller voter ? Sur des choix fermés en plus…
- Les dimanche, pas forcément. Mais si tu leur laisses la possibilité de s'exprimer à tout moment ? On a la technologie idoine pour le faire. Et puis les choix, on peut toujours les ouvrir, ne serait-ce qu'en laissant une case du style "la question est mal posée" ou encore "aucun des choix proposés ne me convient".
- Tu veux parler du net. Tout le monde n'est pas équipé, loin s'en faut.
- On pourrait très bien placer des bornes de vote électroniques un peu partout. Dans les lieux publics, dans les entreprises, même dans les bistrots, tiens… Et la carte d'électeur serait une carte à puce avec code confidentiel, comme la carte bancaire.
- Ça s'apparenterait drôlement à une démocratie directe ton truc. Dommage pour les députés…
- Ils auraient peut-être encore un rôle à jouer, mais d'une manière différente… enfin, je sais pas trop là… faudrait réfléchir.
- Ton histoire de net, là, ça me donne une idée. Ce qui serait marrant, ce serait de créer une société parallèle sur le Web… une démocratie directe utilisant le référendum électronique et fondée sur une constitution simple, les droits de l'homme. On pourrait faire un super jeu de rôle en s'appuyant sur ces principes et on verrait ce que ça donnerait. Rien n'empêcherait de compléter au fur et à mesure, mais toujours en respectant les fondamentaux…
- …
- J'en roule un autre ?



-… avons un labo qui fonctionne. Il s'agit de transposer intelligemment le modèle virtuel dans le monde réel. Il y a évidemment des étapes que nous devons définir… Qu'est-ce qu'il a à sourire comme un niais, celui-là ?
Je sursaute, des bribes de voix fantômes flottent encore dans mon esprit. Julia me regarde d'un air sévère. Comme un gosse pris en faute, je ressens un pincement à l’estomac.
- Euh… non… rien… je vous écoute…
Je me sers un café pour me donner une contenance et souris en m'excusant :
- J'ai encore un peu la tête dans le seau.
- Nous l'avons tous, je crois. Donc, la pierre angulaire de notre projet, gage de notre réussite, va être la refonte de la constitution. Et…

Quelques jours après, j'avais reçu un mail de la part de Gilles.
"Suite à notre débat hautement philosophique de l'autre soir (au fait, tu fais très bien les gambas au barbecue et ta chartreuse n'est pas mal non plus), je me suis amusé à bricoler une maquette avec quelques bouts de freeware et un peu de jus de neurones. Va voir à l'adresse suivante et dis-moi ce que tu en penses."
J'avais cliqué sur le lien, et immédiatement j'avais été enthousiasmé. Pour une maquette bricolée, il avait sacrément bien bossé le Gillou. L'essentiel y était, en tous cas. Plus qu'une maquette, il s'agissait là d'un prototype qui évoluerait au fil des besoins. Une semaine plus tard nous nous retrouvions une trentaine à tester notre nouveau jeu - le copain d'un copain nous hébergeant gracieusement sur l'un de ses serveurs - et déjà les premiers référendums avaient lieu. L'ambiance était à la rigolade, chacun consultant les autres pour tout et n'importe quoi. Surtout n'importe quoi…
Au début, nous mîmes beaucoup d’ardeur à se créer chacun sa petite vie, sa maison virtuelle complètement fantasque, une profession abracadabrante, au point que Gillou commençait à se tirer les cheveux en nous qualifiant de gosses attardés. Et il n’avait pas tort, au bout d’un mois on se serait cru dans un village de Schtroumphs ou sur l’île aux enfants, aussi nous en vînmes tous à essayer de prendre l’expérience un peu plus au sérieux. Une communauté naissait et commençait à correspondre à son intitulé : initiative-citoyenne.com.
Puis, le bouche-à-oreille électronique aidant, les choses s'accélérèrent et elle se mit à croître et embellir. Des villes et des villages virtuels se bâtissaient et chacun jouait un rôle social, certains reprenant ce qu'ils faisaient dans la vie réelle, d'autres improvisant totalement un rôle de composition, compensant bien souvent un regret existant quant à leur parcours professionnel. C'est ainsi qu’un jour nous rejoignit Bob, un boulanger du Vaucluse qui chassait l’ennui de ses matins brumeux en nous fournissant en pain virtuel pendant que sa pâte (la vraie) était en train de lever. Etienne, un architecte breton, imaginait des constructions parfois délirantes et Manu exilé aux Etats-Unis se chargeait de modéliser ses œuvres en 3D. Deux médecins proposèrent de donner des consultations en visioconférence. Un économiste, sorte de Bernard Marris, se faisait un plaisir de régulièrement décortiquer le modèle économique et de l'expliquer en termes simples, et donna naissance avec quelques autres à la première revue virtuelle. Notre société parallèle avait désormais son propre fonctionnement et nous ne pouvions que nous réjouir de la voir accueillir des juristes, des employés communaux (qui ouvrirent pas mal de voies d'investigation sur la façon de penser l'urbanisme), des enseignants, un garagiste (qui vendait et entretenait des véhicules "propres", utilisant l'électricité ou l'air comprimé), des agriculteurs (bios, évidemment…), des artistes, dont un groupe de rock qui déposait régulièrement ses dernières créations sur le site... Au bout d'un an, nous avions un panel assez représentatif.
L'organisation de soirées dans le monde réel devint rapidement rituelle et resserrait encore les liens qui se nouaient peu à peu sur le site. Quelques couples se formèrent. C’est à l'occasion d’une de ces rencontres que Julia et moi devînmes amants, après avoir été virtuellement voisins pendant des mois. Mon vrai déménagement fut bien plus pénible que l’autre, davantage de distance à réduire... et quelques obstacles à franchir. Il me fallait délaisser ma province pour "monter" à Paris, m'éloigner de mes amis, de ma famille, et puis trouver un nouveau job…et bien sûr apprendre à vivre à deux…
Elle me proposa gentiment de nous faire construire virtuellement une maison à l’identique de celle que je quittais un peu à contrecoeur, avec le même petit jardin tellement sympa en été. Nous allâmes jusqu'à adopter un chien virtuel. Dans le réel, nous n'en avions ni l'envie, ni vraiment le temps, d'autant qu'une partie importante de celui-ci était consacrée à la vie du site. Julia passait souvent ses soirées sur le chat, elle participait assidûment aux débats d’un groupe de juristes qui s'était attelé à la tâche ardue de revisiter le code civil. Personnellement, ça ne me parlait pas beaucoup, mais de mon côté, j’apportais ma contribution à d'autres groupes de réflexion. Julia avait fait un peu de droit au cours de sa formation universitaire (sociologie et sciences politiques) et semblait baigner dans son jus. Chaque fois qu'une loi paraissait suspecte, elle était soumise au référendum populaire. Le groupe de travail prenait la peine et le temps d'expliquer aux profanes, dont je faisais partie, de quoi il retournait et, la plupart du temps, la loi en question devenait obsolète. De nouvelles lois avaient été également créées, mais très peu au regard de toutes celles qui avaient été supprimées. Au final, nous nous retrouvions avec une législation très allégée et personne ne s'en plaignait.
Notre société se développait et se complexifiait sur un mode totalement empirique, mais le bon sens l'emportait systématiquement et en dépit de quelques impasses, son développement pouvait être qualifié d'harmonieux.
Des groupes de travail se créaient assez spontanément pour réfléchir sur un thème spécifique et investiguer autant que possible des voies novatrices. L'écologie revenait souvent sur la sellette, mais également l'éducation, l'organisation du commerce, l'urbanisme, la solidarité…
Parfois cela débouchait sur un projet qui était aussitôt soumis au référendum, avant d'être mis en œuvre, si telle était la volonté du cyber-peuple.


-… Je pense que chacun ici mesure l'immensité de notre tâche. La réalisation de certains projets qui prenait quelques semaines dans le virtuel va probablement demander plusieurs années. Il y aura des impacts budgétaires énormes. Les caisses de l'Etat ne sont pas vides à proprement parler, mais…


Julia met le doigt sur un point essentiel : le temps risque de jouer contre nous. Le temps… et l'argent… le nerf de la guerre… Outre les aspects financiers, il faudra également compter avec l'inertie des mentalités. Dans notre communauté virtuelle, ne vivaient que des convaincus. Deux ans après sa création, elle comptait plus de deux mille âmes, dont une bonne moitié très assidue. D’autres paramètres aussi sont à prendre en considération que nous n’avions pas eu besoin de faire exister virtuellement, à commencer par le chômage ou la criminalité. Finalement, notre utopie résidait surtout dans le fait de ne pas considérer les turpitudes de la race humaine, il n’existait ni danger ni vice, nous avions créé une sorte d’Arcadie moderne.

Un jour, la presse a commencé à parler de nous : un article dans le Monde Diplomatique, suivi d'un reportage de Daniel Mermet sur France Inter. Notre site a soudainement pris une autre dimension. Notre hébergeur dut dédoubler le serveur pour absorber les flux générés par des inscriptions massives. Des associations alter-mondialistes commencèrent à se référer à notre modèle de société.
C'est à cette époque que notre site eût à subir quelques attaques. Bien évidemment du flood - mais les diffamateurs se fatiguèrent très vite face à la patience de leurs interlocuteurs, certains finissant même par participer de façon constructive - mais également des attaques plus pernicieuses, par le biais de polémiques tentant de déstabiliser notre système. Finalement, ce fut une bonne chose, car la démocratie tint bon, le modèle était solide.
Curieusement, dans le même temps notre hébergeur eût affaire aux polyvalents du fisc, lesquels firent chou blanc, l'affaire était bien tenue. Les menaces se firent alors plus précises. "On" demanda expressément à notre hébergeur de fermer le site, sous peine de représailles commerciales. En clair, s'il n'obtempérait pas, il perdrait une grande partie de ses contrats d'hébergement avec les sites commerciaux qui le faisaient vivre. Au travers de notre réseau de relations, il fut assez facile de trouver un autre hébergeur, mais cet épisode nous avait alerté sur un point important : nous devenions gênants.
Devant l’ampleur du phénomène, une idée s’est vite imposée à plusieurs d’entre nous. Si nous gênions à ce point, c'était parce que notre petit monde virtuel démontrait de façon évidente qu'il n'y avait pas de fatalité et qu'il était possible de vivre sur un autre référentiel de valeurs. Alors, pourquoi ne pas essayer d'appliquer notre modèle de société dans la vie réelle ? Pourquoi ne pas créer un parti politique et essayer d'agir sur l'évolution de la société ? Bien sûr, il y avait des inconnues, l'échelle n'était pas la même et il était difficile d'extrapoler les interactions avec le modèle socio-économique dominant. Néanmoins, l'idée était plus que séduisante et le fait que notre modèle continue de fonctionner et évoluer malgré le nombre croissant de cyber-citoyens constituait un argument de poids. Nous ne désespérions pas non plus de susciter un regain d'intérêt à la vie politique chez les habituels abstentionnistes.
Les résultats ont dépassé nos espérances. Nous avons suscité bien plus qu'un simple regain d'intérêt, nous avons réveillé un formidable espoir. Notre mouvement est devenu le catalyseur de toutes les frustrations, de toutes les colères muettes.
Pourtant, cela ne s'est pas passé sans heurts. Les premiers meetings du PIC (le Parti d'Initiative Citoyenne) ont tourné à la catastrophe. Des agitateurs professionnels firent tout pour cela, tant et si bien qu'après quelques semaines d'existence, notre parti faillit s'auto-dissoudre. Nous ne trouvions plus de lieu susceptible d'accueillir nos réunions. Les mairies refusaient. Mais le soutien et l'expérience d'associations "amies" aidèrent fortement à organiser et structurer le parti, y compris en matière de service d'ordre. Nous n'étions plus dans le virtuel et il fallait nous faire un peu les dents dans la jungle du monde politique. L'Austerlitz de cette reconquête de la parole citoyenne fut sûrement atteint lorsqu'un de nos militants attrapa sauvagement un grand guignol masqué, lequel s'avéra être un élu de la majorité, le maire de Marcy-sur-Oise en personne, celui-là même qui nous avait cordialement reçus quelques jours plus tôt, pour mettre à notre disposition la salle des fêtes de sa ville. Cette atteinte manifeste à la liberté d'expression servit notre cause au-delà de nos espérances. La presse s'empara de l'affaire et par contrecoup, les adhésions se multiplièrent, donnant chaque jour plus de crédibilité et de légitimité à notre mouvement.
A partir du moment où nous avions conquis notre droit de cité, les choses allèrent très vite et à peine un an plus tard, il ne paraissait pas utopiste de présenter un candidat aux élections présidentielles toutes proches. Julia avait acquis une telle popularité de par son investissement et sa bonne humeur communicative que la question fut à peine soulevée. La quête aux cinq cents signatures fût assez épique, les pressions sur les élus étant particulièrement fortes de la part des partis traditionnels, mais il ne s’agissait plus d’une seule personne, c’était une communauté entière qui défendait son utopie.

Et nous voici à la tête du pays…
Avec le soutien des alter-mondialistes, notre projet pourrait prendre racine ailleurs dans le monde. Les manifestations spontanées qui ont eu lieu hier le démontrent.
Nous avons déjà été contactés par des internautes étrangers qui souhaitent créer des communautés virtuelles sur des bases similaires aux nôtres. L'élection de Julia pourrait nous emmener bien plus loin que nous ne l'imaginions.

- …outils essentiels. Le référendum électronique en fait partie, bien sûr. Où en es-tu à ce propos ? Hého ! Tu le dis si je te saoule !
Silence dans la salle… Tous les visages se sont tournés vers moi. Je souris. Elle ne me laisse pas droit à l’erreur, j’aime ça.
- Ça fait un moment que tu nous saoules tous et j'espère que tu nous saouleras encore longtemps Madame la Présidente.
Tout le monde se marre et ma petite vanne me permet de raccrocher les wagons.
- Concernant le vote électronique, le cahier des charges est prêt et j'ai bricolé une maquette sur la base d'un lecteur de cartes à puce connecté à un PC. Au niveau de la réalisation, il n'y a rien de bien sorcier. Ce sont plutôt les aspects logistiques qui me préoccupent. La création et la diffusion des cartes et le déploiement des bornes de vote. En gros, c'est un projet d'une année.
- Si on ne peut pas faire plus vite… Les premiers référendums se feront par la voie traditionnelle. Je vous propose que nous fassions une pause.

Une pause… tu parles ! Depuis des semaines, nous vivons sous pression. Ce n'est pas d'une pause dont j'ai besoin, c'est d'une cure de sommeil. Et puis j'ai envie de me retrouver un peu seul avec elle… J'ai peur qu'on se fasse bouffer par tout ça… Je sens une boule d'angoisse à l'estomac. Putain, d'un coup j'ai la trouille !… Nous prenons à peine la mesure de ce qui nous attend.

Je les observe tous. Ils ont les traits tirés, mais leurs yeux pétillent. Ont-ils la trouille eux aussi ? Probablement… Pourtant, malgré la fatigue, une détermination sereine se lit sur leurs visages. J'ai soudain une grande bouffée d'amour pour eux. Nous nous sommes parfois sévèrement accrochés durant ces dernières semaines, mais jamais nous n'avons perdu de vue nos objectifs. Nous avons enfin le sentiment de faire quelque chose d'utile de notre vie. Pour nos gosses, pour nous, pour tous ces gens qui se mettent à espérer et qui nous font confiance…
Je suis partagé entre cette exaltation et l'envie de tout plaquer, de baisser les bras devant la montagne qui se dresse devant nous, entre un élan de fraternité pour mes compagnons et l’impression que je vais avoir du mal à les supporter un jour de plus. Il est évident que je n'ai plus les idées très nettes et qu'il faut que je me repose un peu. Mais au fond de moi, je garde à l'esprit que nous vivons une aventure formidable. Je n'imagine pas encore clairement de quoi demain sera fait, mais de toutes façons, j'y serai…