Serial-killer

Le 27/10/2003
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par Lapinchien
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Thèmes / Obscur / Polar
Une trame plus orientée nouvelle qu'essai, plus basée sur l'action que sur la réflexion que dans les derniers de LC, une inspiration assez nette venant des films policiers type Seven et une fin pas très compréhensible. J'accroche nettement moins que d'habitude.
Voilà… Dans cinq minutes çà sera la fin de tout… J’ai enfin retrouvé l’auteur de tous ces crimes atroces… Je me suis garé pas très loin de sa villa en contrebas sur la falaise… La foudre illumine la façade comme pour m’indiquer sa planque…Il est chez lui, je le sais… Par sa fenêtre j’aperçois sa silhouette derrière le halo verdâtre de son ordinateur… Maintenant, j’écrase ma cigarette et je m’apprête à empoigner le 9mm qui se trouve dans ma boîte à gants… Je visse mon chapeau, j’ajuste mon imper pour affronter les torrents de pluie qui déferlent au dehors… Sur la banquette arrière de ma vieille Ford Capri gît le corps sans vie de mon ami et collègue, l’inspecteur Jack Berger… Il a rendu l’âme alors que je le transportais à l’hôpital… Ce salaud de pervers va payer… Je m’en vais l’exécuter sans lui laisser la moindre chance de s’en sortir…
2 mois plus tôt… Ce maudit coup de fil de Berger me plaçait au cœur de l’investigation… J’en devenais le personnage principal…

« Derby », Me lançaIt-il avec l’incroyable détachement qui le caractérisait, « Aboule-toi vite à Quantico ! Les flics de TownRock, une petite bourgade de bouseux du trou du cul du Nevada ont dégotté un tronc humain dans le désert, à moitié rongé… Pas la moindre trace des autres membres, mais il se peut que les charognards en aient fait un festin…Impossible d’identifier à quel plouc, ce bout de corps a appartenu… Aucun lien n’a pu être établi avec les personnes manquant à l’appel dans les parages… J’ai besoin de ton expertise fissa…Ah J’oubliais… Une surprise comme tu les aimes t’attend dans le frigo… Je te laisse sur ta faim juste pour que tu te magnes le fion … »

Il venait de me raccrocher au nez… Je n’avais même pas pu en placer une. Il savait que çà me mettait hors de moi et que je ferais tout pour être dans les plus brefs délais en face de lui pour lui faire un sermon…

Après 6 heures de route, je retrouvais Jack à Quantico dans les dédales du 5eme niveau sous-terrain… Comme à son habitude, il traînait un mug rempli à raz-bord de jus de chaussette infâme et fumant ainsi qu’un paquet de Dunkin’Donuts multicolores… C’était la clef maîtresse de son attirail et il la gardait en toute occasion… même lors de l’autopsie qui allait suivre…

« Cesse donc de trépigner !», Mâchouilla Jack entre deux gorgées alors que nous entrions dans la chambre froide où le légiste avait commencé sa sale besogne, « Voilà la petite surprise dont je t’ai parlé… »

Entre deux vertèbres émanant de fractures ouvertes béantes de ce qui semblait être le dos de ce bout de bidoche inqualifiable, j’entraperçus de petites taches noires qui lorsque je m’en rapprochai se révélèrent être les multiples caractères d’un texte tatoué sur la chair… il était encore déchiffrable malgré l’état avancé de la décomposition du tronc…

« La vie est un principe universel quoi qu’en disent les plus obtus des théologiens… Pas la peine de la chercher à des millions d’années lumière de notre nombril… Elle est insoupçonnée à notre portée… Arthémus est un brillant politique… Sans doute m’aurait-il taxé d’animiste ? Il a des convictions auxquelles il se voue corps et âme… Les démocrates le remarquent lorsqu’il bat à plat de couture un éléphant libéral solidement implanté dans le Texas… Et ce, à la seule force de ses discours novateurs et sans concession inspirant le respect et la confiance à un électorat local somnolant depuis des lustres… Arthémus prend du galon au sein de son parti… Il accède à des informations qui le révoltent… Il engage alors un combat qu’il va perdre… un combat contre une entité vivante qui lutte pour sa survie… c’est le parti Démocrate lui même… Une idée fédératrice au départ qui a trouvé sa raison d’être : sa pérennité … En ce bas monde, l’instinct de survie s’applique a bien des organismes différents de ceux qui dérivent de la chimie organique… Les choses sont simples et se déclinent irrémédiablement : Le vivant n’accède pas aux raisons pour lesquelles il vit… Peu importent les desseins et les objectifs qui ont inspiré ses créateurs… Le vivant s’accroche jusqu'à son dernier souffle et fait tout pour ne pas disparaître… Oui, les choses sont simples… Quel est l’oxygène, quelle est la nourriture, le terreau du parti Démocrate ? C’est bien évidemment la pauvreté… Seul des électeurs démunis vont voter pour que le parti Démocrate puisse vivre… Arthémus en son antre lui a extirpé ce secret… Les politiques que le parti applique vont à terme générer plus de pauvreté pour asseoir son existence… Arthémus engage alors une lutte à mort contre l’entité Démocrate… Elle va l’éliminer pour qu’il ne dévoile rien à la presse. »


« Ce tronc appartiendrait donc à un certain Arthémus de TownRock, un haut ponte du parti Démocrate ? », Demandais-je éberlué à Jack , « J’ai jamais entendu parler de lui et toi ? »

« Je ne prendrais pas tout ce baratin au premier degré si j’étais toi… », Rétorquait-il alors que l’épouvantable odeur ne lui faisait en rien renoncer à son entreprise d’engloutissement total de toute sa boîte de sucreries chamarrés, « C’est un indice physique, une pièce à conviction qu’on va de suite mettre dans le formol, bien plus qu’un message qu’il faudrait prendre au mot… Tu crois vraiment que le meurtrier prendrais la peine de nous aider dans notre enquête ? C’est tout au plus une fausse piste… »

J’acquiesçais, il avait sûrement raison…Le légiste poursuivit son œuvre d’exploration… Au bout de deux heures son rapport venait corroborer celui de la police scientifique… Pas la moindre empreinte, pas le moindre poil, pas la moindre trace de coups, pas d’hémorragies internes, les seules blessures identifiés provenaient des morsures des coyotes et des asticots qui avaient creusés de multiples galeries nourricières… tout semblait normal coté toxicologique…rien, il n’y avait définitivement rien à en tirer… A part peu être un constat horrible : les membres semblaient avoir été arrachés et déchiquetés par une force herculéenne…

Les recherches ADN n’apportèrent guère plus…Personne ne réclama le corps… Et après avoir même recensé le petit nombre d’Arthémus élus du parti Démocrate sur tout le territoire, tous avaient pu être formellement certifiés vivants et en bonne santé… La piste du tatouage ne donna rien non plus : l’encre était commune, la calligraphie conventionnelle… Nous nous embourbions…Je perdais mon temps à faire le tour des motels à recueillir des témoignages soporifiques… Jack coordonnait les analyses qui s’avérèrent stériles sur le lieu où le tronc avait été retrouvé…

L’enquête était sur le point de s’orienter vers les extrémistes libéraux, des analyses de style poussées furent commandées quand soudain un deuxième tronc fût découvert à New York… Jack et moi y accourûmes mais nous y avions été devancés… Pourtant, nous prenions soin de faire les choses dans la plus grande discrétion jusqu’alors… les journaux ne s’étaient fait l’écho que de disparitions sporadiques pour le premier meurtre, il ne pouvait donc s’agir que du ou des mêmes assassins à New York!

Un clodo avait trouvé le tronc dans les égouts… Il avait de suite contacté « 911 »… pas le service téléphonique d’urgence, non,… le standard du show télévisé sensationnaliste… C’est devenu une habitude dans la mégalopole… tout est bon pour se faire du fric. Une équipe TV s’était même déplacé avant la police scientifique pour filmer le message tatoué sur le tronc… Les amandes et la prison ne leur font plus peur…

C’est donc depuis ma chambre de motel infectée de cafards de TownRock qu’en prime time, j’avais pu apprendre la chose… Un tronc n’appartenant à personne… Pas d’autres membres…Un message tatoué sur le dos qui était même dévoilé en exclu à la TV…

« Robert Evergreen est un de ces rares self-made-men ayant bâti leurs empires sur l’Internet à avoir survécu au déclin brutal de la nouvelle économie… Les idées qu’il développait dans un bouquin qui jamais ne vit jour en effrayèrent plus d’un… Il soutenait qu’avec ce réseau mondial nous entrions dans une nouvelle ère : celle du déclin des frontières géographiques, inutiles, archaïques, inhérentes à l’histoire de la communication et du pouvoir, …celle aussi de l’avènement des états éparses imbriqués les uns dans les autres, des états non connexes qu’il s’amusait à représenter comme les multiples gouttelettes d’huile d’une émulsion non miscible… Haït des conservateurs, exécré des alter-mondialistes… personne ne sait vraiment qui a bien pu lui en vouloir au point d’en ordonner la mort… Pour Evergreen, il n’y avait rien de plus incompréhensible que le sentiment patriotique. Pourquoi n’envisager d’avenir commun qu’avec ceux qui vivent dans notre voisinage ? Pourquoi envisager un avenir commun avec notre voisinage d’ailleurs ? Parce que nos voisins parlent la même langue que nous ? Parce qu’on ne peut concevoir le développement et la création d’infrastructures de proximité que sous l’égide d’un état centralisé, borné à sa volonté impérialiste, aux ambitions électoralistes de ceux qui sont déjà au pouvoir ? Evergreen avait passé la seconde…il rêvait de privatiser l’état et non plus ses bastions… Imaginez un monde où l’on choisit son pays comme on choisit sa lessive sans attachement atavique, sans tenir compte de son point de chute… Un monde ou l’on s’abonne aux règles de vie auxquelles on croit… sans compromis avec les autres… Sans ces élections de façade qui ne servent que les intérêts de néo-monarques hypocrites… Des entreprises… Les états n’y seraient que de simples entreprises soumises à des lois globales régulant leur concurrence et à un impôt généralisé contribuant au financement de structures et d’équipements collectifs… N’importe qui selon la vision d’Evergreen pourrait créer un état et en devenir le leader…tout simplement en remplissant un dossier adressé à la chambre de commerce… La représentation serait un mal qui trouverait enfin une cure… Les chefs d’état en panne d’initiative y seraient des entrepreneurs acculés à innover ou péricliter… Les citoyens fâchés avec les urnes car se sachant trompés, contraints à l’a peu près soit, y seraient des consommateurs au sens noble du terme, y retrouveraient le goût de l’action. Enfin ! »

Nous avions frôlé l’émeute, ce coup-là… Heureusement le bureau fédéral des enquêtes nous avait affrété un jet privé d’urgence et nous avions pu intervenir en direct à la TV new-yorkaise pour jouer le jeu de la désinformation et apaiser les esprits… Les media s’inclinèrent curieusement… « Un ange bienveillant » avait fait pression sur eux pour qu’ils changent leur appréciation de l’affaire et qu’ils la partagent avec le public…

« Nous voilà dans un beau merdier ! », Perturbai-je le silence intronisé dans le microcosme des rares petits chanceux à être encore plus dans le flou artistique que tous ceux qui avaient furtivement entendu l’affaire à la télé, je veux parler bien entendu de la police locale hyper brillante sur ce coup, « Agents spéciaux Berger et Derby, F.B.I ! Nous prenons les rennes sur le champ ! Que le responsable des opérations jusqu’à présent me fasse un topo… Que tous les autres me foutent le camp !»

« C’est un putain de Serial Killer ! », Entonnai-je en aparté à Jack qui par on sait quel miracle avait déjà pu se procurer un mug aux motifs encore plus formidablement atroces que celui qu’il trimbalait à Quantico…C’était un peu comme une cravate pour lui le mug… un accessoire illustrant son humeur du moment… un symbole hiérarchique, une sorte de sceptre ou de diadème…

«J’en sais foutrement rien, Derby !», Décocha-t-il l’air blafard de celui qui n’avait pas dormi depuis deux jours , « C’est peut être un groupe d’intervention commando ultra libéral, une bande de tondus aux idées courtes, des extra terrestres sous ecstasy ou un groupe de rock de rats ninja mutants… Apparemment çà tourne autour du politique… mais les crimes semblent être commis un peu partout sur le territoire… çà ne m’étonnerais guère que le ou les meurtriers refassent parler d’eux à babel-oued d’ici peu…En tous cas, je suis sûr que nous n’en sauront pas plus sur ce bout de corps que sur le premier…»

Jack avait raison…Deux jours plus tard, un autre tronc était repêché au fond d’un lac dans le Michigan… Nous n’avions aucune autre information ni sur les deux premières victimes ni sur les motivations de leurs assassins… Le rituel se répétait , il y avait l’inévitable message tatoué sur le dos de la victime :

« Pour le chef Nichols, l’art culinaire était bien entendu un art à part… vous conviendrez, c’était son art… il excellait dans la composition de mets distingués, de plats aux goûts délicats enchanteurs pour les palais avertis des invités de la Maison Blanche et de ceux un peu plus patauds et rustres du président et de son entourage… Mais quand je parle d’art à part, c’est que vigoureusement au plus profond de son être, il savait que ses créations rivalisaient en excellence avec les tableaux des plus grands maîtres italiens, des sculptures encensées dans les musées nationaux de tous pays, des morceaux de musique classique intemporels joués dans les plus beaux amphithéâtres… il le savait et c’était toujours un déchirement pour lui de voir la tablée du soir s’en délecter sans respect ni politesse… Il pensait de plus en plus qu’il sacrifiait ses œuvres à des vandales qui allaient tout d’abord les profaner, se livrant à de monumentales orgies destructrices, des autodafés démoniaques en conclusion desquelles ses chef-d’œuvres allaient être convertis en de communs étrons puants et finir dans les stations d’épuration dans le monde entier… quelle destiné cruelle pour ses nectars et ambroisies inimitables ! Un jour que la folie finissait de gangrener sa raison, il versa une bonne quantité de ciguë dans son fond de sauce… un commis un peu gourmand dévoila la conspiration au grand jour en s’effondrant mort dans la soupière qu’il s’en allait servir… Un drame diplomatique sans antécédents fût évité de justesse… Nichols s’enfuit… la rumeur rapporte qu’il demanda a un tueur à gage de le démembrer, il lui enseigna comment préparer sa viande en sushi, et l’on raconte qu’ il se suicida à petit feu en se mangeant lui-même… le seul, l’unique, appréciant sa nourriture à sa juste valeur… »

-« Les sphères du pouvoir, un soupçon de politique encore… », Déclarai-je pantois à Jack, « J’avoue que le Serial killer me surprend paradoxalement par son mutisme… Personne n’arrive à déchiffrer ses messages… les troncs que l’on retrouve ne semblent appartenir à personne… Je n’arrive pas à cerner sa motivation première, son but… Un jeune politicien, un entrepreneur, un chef de cuisine ? Où tout cela nous conduit-il ? Nous faudra-t-il attendre la mort d’une autre personne qui de toutes manières n’existe pas pour en savoir d’avantage… »

-« Derby », Entonna Berger , « Il finira bien par commettre une faute… Les psychodingues finissent toujours par en commettre… Pour la simple et bonne raison qu’ils sont désordonnés dans leur tronche… çà finit à un moment ou à un autre par déteindre sur leurs actions… La grande inconnue pour moi, ce qui m’inquiète le plus en ce moment, c’est de savoir s’il va finir par commettre sa faute avant ou après qu’on nous ait retiré l’affaire ? avant ou après que nos carrières aient été ruinées ? »

La lucidité de Jack était troublante… La frénésie meurtrière du Serial Killer ne cessa d’accélérer… Plus personne ne pu stopper les élucubrations de la presse qui n’hésitait plus à soulever ses propres axes d’investigation et à détruire tout ce que nous aurions dû traiter méthodiquement… en deux mois pas moins de 14 troncs impossibles à identifier avaient fait surface dans les coins les plus reclus de tous les Etats-Unis… Les messages tatoués étaient de plus en plus incompréhensibles et pas moyen de trouver de dénominateur commun… Les pistes s’effondraient les unes après les autres à chaque nouvelle découverte macabre… On ne sait par quelle voie sournoise les journaux relayaient les messages au public mais le climat fantasmagorique que toutes ces affaires soulevaient n’était vraiment pas notre allié… loin de là… Nos supérieurs directs avaient mis le doigt sur notre incompétence lors de nos dernières évaluations… ils nous avaient donné 1 semaine pour trouver de la substance, …dans le cas contraire, nous serions destitués de nos fonctions…


-« Un autre message, un autre nom », Répétait-Berger , « Encore une personne qu’on ne retrouvera jamais… »

-« Concernant les patronymes j’ai une nouvelle méthodologie à te soumettre », Le surpris-je agréablement, « C’est pas spécialement légal… »

-« Je suis preneur ! », M’interrompit Jack, « N’importe quoi pourvu qu’on avance sur l’investigation avant de passer à la trappe… »

-« J’ai un pote à la NSA », Repris-je, « Un pote de l’académie, il me doit un gage… aussi je lui ai parlé de l’affaire et il m’ a donné un accès sécurisé aux bases de données d’ECHELON… »

-« Alors comme çà ECHELON existe vraiment ? », Me coupa de nouveau Jack, « Tu veux dire que la NSA s’amuse réellement à espionner et stocker toutes les informations téléphoniques de toute la planète… des conversassions de la plus bavarde des pétasses de Los Angeles à celles du plus paumé des ermites enculeur de moutons du Trouduc’istan ?

-« Ecoute Jack », acquiesçai-je, « Si nous sommes ici au centre de doc de l’académie, c’est que mon pote a installé un troyen sur une des machines… la 49… Une liaison directe avec la base… dans 1 heure le programme s’auto-effacera alors on doit se grouiller… »

-« Quel est ton plan ? », Sourit-il, caustique, « tu comptes écouter les conneries de plus de 6 milliards de connards en téléchargeant des MP3 en moins d’une heure ? »

-« Pas vraiment… Je ne sais pas si tu as déjà entendu parler des degrés de séparation entre les individus », Me lançais-je optimiste, « Il y en aurait 7 au maximum entre deux personnes sur Terre… c’est à dire qu ‘il y aurait au plus une chaîne de sept personnes se connaissant une à une entre l’un de nous et le Serial Killer… Je compte retrouver cette chaîne à l’aide des 14 patronymes supposés des 14 victimes… Je lancerais les requêtes sur le serveur de la NSA , une puissante unité de calcul qui me retournera les résultats dans quelques minutes…»

-« Pendant que tu fais mumuse avec Internet », Me jeta dépité Jack, «je m’en vais trouver une machine à café pour remplir mon Mug… Attends moi… je reviens pour que tu me racontes ton fiasco…»

Cependant, pour une fois, l’agent Berger s’était gouré… Primo, il ne trouva pas de machine à café, juste un distributeur de boissons, ce qui le rendit fou de rage… Secundo, un et un seul nom fut retourné par le serveur de la NSA… il désignait une femme comme étant le chaînon manquant, le seul lien entre les 14 patronymes, nous, et d’autres informations comme l’ultra libéralisme, la passion du tatouage ou une mobilité frénétique sur tout le territoire ces deux derniers mois… Annabelle Campbell, interprète à l’ONU résidant au 1454 Palm Halley à Marathon en Floride…

Berger empoigna de suite son portable et ordonna aux autorités locales d’ interpeller la suspecte… Nous primes ma Ford Capri et étions sur les lieux en moins d’une demie-journée… Cependant l’interrogatoire de l’interprète ne donna rien de concluant… Elle se braquait sur ses droits constitutionnels et ne voulait pas coopérer… Nous la mîmes en garde à vue pour la soirée… Nous reprendrions l’interrogatoire le lendemain…

Voilà quelques jours que les agissements de Jack avaient commencé à me paraître suspects… Il avait pris de la distance alors que l’épreuve que nous traversions aurait dû nous rapprocher… Le soir même je le pris en filature, alors qu’étrangement il avait quitté l’hôtel en taxi sans m’en avertir… Je le suivais jusqu’au poste de police… Une demie heure plus tard, il ressortait avec le suspect menotté qu’il plaçait dans une voiture banalisée qu’on lui avait confié… Mais où se rendait-il donc ? Pourquoi ne pas me mettre au parfum ? Je le suivis donc à bonne distance jusque la maison d’Annabelle Campbell… Jack fit descendre la jeune femme et ils pénétrèrent tous deux dans sa propriété…

Le ciel s’était obscurci… Un terrible orage se préparait… par chance j’avais embarqué mon imper…Après avoir parqué ma voiture deux pâtés de maison plus loin pour ne pas être repéré, intrigué je me rapprochais de la demeure bien décidé à demander des comptes à l’agent « très spécial » Berger…

Mais alors que sur le pas de la porte, hors de moi, je m’apprêtais à sonner, un coup de feu retentit et calma mes ardeurs… Sur l’instant je me rappelai que j’avais laissé mon 9mm dans ma boite à gants… Jack était peut-être en danger…mais quelle imprudence avait-il encore commis ? Je fis le tours de la maison… tous les volets étaient clos… Par chance, une fenêtre dominant une gouttière semblait ouverte à l’étage… Aussi vite que je le pus j’escaladai la tubulure et m’introduisait dans la demeure sans avoir le moindre moyen de me défendre… Une fois dans la chambre obscure je cherchais à tâtons, en essayant de faire le moins de bruit possible, quelque objet qui pourrait faire office d’arme improvisée… Il y avait cette veille batte de base-ball près d’un bac à linge sale… Je m’empressai de m’en emparer et d’entrouvrir la porte de la chambre… J’entendais des bruits violents et saccadés au rez-de-chaussée… J’empruntai prudemment l’escalier qui y conduisait à l'aveuglette me dirigeant vers la faible lumière du séjour d’où provenaient les grincements…Une fois à sa hauteur, le visage couvert de sueur, je laissai dépasser ma tête par la lucarne derrière laquelle une vision cauchemardesque n’attendait honteusement qu’à être décrite par mes soins :

Jack se tenait penché couvert de sang sur le corps inanimé de Miss Campbell… Il tenait une scie entre les mains, une scie qui émettait un grincement strident horrible chaque fois qu’elle raclait les os des membres de la pauvre interprète… Jack, le serial killer ? impossible ! Il était à chaque fois à des milliers de kilomètres des lieux des crimes… Comme à son habitude imperturbable, il s’était concocté un mug de café bouillant qui fumait sur la commode près de l’entrée du séjour…

-« Jack ! », Hurlai-je le sommant de reprendre ses esprits…

-« Hein ? Derby ? », Se retourna-t-il stupéfait, « Les apparences sont trompeuses… çà n’est pas ce que tu crois… »

-« Qu’est ce qui n’est pas ce que je crois ? », M’approchai-je menaçant vers lui, « Tu as butté la seule suspecte qu’on avait jusqu’à présent… t’es devenu marteau ? Tu est ce putain de serial killer , pas vrai ? Avoue avant que je te fracasse la gueule… »

-« Calmos Derby… Calmos… », Se retourna-t-il en lâchant çà scie, « Si cette connasse était la meurtrière, ce dont je doute vivement… y a qu’a voir que maigrelette comme elle est jamais elle n’aurais pu exécuter ce bouleau de boucher… en tout cas, quant bien même elle serait coupable… qu’est ce que çà change que je la butte ou pas, hein ? … 14 meurtres prémédités à son actif… 14 homicides calculés… elle était bonne pour la chaise électrique… »

-« T’es complètement cintré …Où est ton flingue, Berger ? », Demandai-je avec insistance ne me souciant pas de ses bobards au moment même où je remarquais que son arme de fonction se trouvais à sa portée sur la table-basse…

-« Ecoute mec ! », Me lança-t-il énervé faisant un pas vers la table, « Notre poste est en jeu… On a pas la moindre piste sérieuse… Quand la chance ne nous sourit pas, il faut la provoquer… Je sais que tous ces connards de psychodingues font une faute à un moment où à un autre… Mais on a pas le temps d’attendre, mec ! Je sais que parfois attribuer un crime qu’ils n’ont pas commis à ces chtarbés, çà les désarçonne complètement…leur logique incompréhensible n’est plus respectée pour eux et çà, çà les perturbe… ils se mettent à faire n’importe quoi, ils laissent des indices derrière eux et c’est là qu’on les cueille ! Pourquoi crois-tu que je me donne un mal de chien pour divulguer les messages à la presse depuis des mois ? Pour les tunes ?… Non mec, j’utilise ces charognards ! Je suis un fin stratège… Je voulais que le tueur ait un écho des messages que l’on trouve… Je préparais le terrain… »

-« N’importe quoi… On aurait pu le simuler ce meurtre…Les mains sur la tête, Berger… », Lui sommais-je pour la première fois…

-« Impossible… », Me rétorqua-t-il en continuant de s’approcher de son arme, « la destinée de cette femme était toute tracée Derby…Regarde son dos… Regarde le miens… »

Jack se jeta alors sur son arme feignant de s’accroupir … Surpris, je n’eu le temps de me rabattre que sur son mug bouillant que je frappais de toutes mes forces avec la batte dans sa direction… Il lui explosa en pleine face et Jack s’effondra sonné et ébouillanté… Dans sa chute, il avait heurté la table-basse de la tête…Il avait pris un mauvais coup…çà semblait grave…il me fallait de suite le transporter à l’hôpital…

En passant près de la suspecte, je pu lire un message tatoué sur son dos… Berger n’avait pas eu le temps matériel nécessaire pour le réaliser…Je n’y comprenais plus rien…

« Annabelle Campbell est interprète à l’ONU. Elle mène une vie sans encombres ponctuée de multiples voyages dans le cadre de ses missions d’accompagnement de diplomates. A force de côtoyer les plus hauts responsables du monde entier, à force de devoir tempérer leurs propos parfois hautains et outranciers au travers de ses traductions, elle prend conscience de son réel pouvoir sur la scène internationale… Elle forme alors un syndicat clandestin regroupant les interprètes internationaux les mieux côtés… L’objectif de sa structure est clair… Infléchir les discours officiels en apportant de légères retouches aux traductions pour éviter les exactions verbales aux lourdes conséquences…Son lobby secret réussit même à infiltrer le milieu très protectionniste des organisateurs de réunions informelles… Mais elle se montre bien naïve… La NSA coupe cours à ses projets et décide de l’écarter sans faire de vagues en l’impliquant dans une affaire criminelle qui ne la concerne pas… Une affaire dont elle devient la coupable de la dernière chance et qui va malencontreusement virer à la bavure… »
J’ai tressailli… C’était troublant et en même temps, inquiété par l’état de santé de Jack, je décidai de tout laisser en plant, de remettre à plus tard ma réflexion sur ce qui venait de se produire…

Je me revois traîner son corps ensanglanté jusqu'à ma voiture , le placer sur la banquette arrière alors que le tonnerre grondait au loin et que les première goûtes de pluie rafraîchissaient ma nuque et mes idées…

Jack fit alors un premier arrêt cardiaque… C’est alors qu’en ôtant sa chemise pour lui prodiguer les premiers soins, je m’aperçus qu’un message tatoué semblait apparaître comme par enchantement de plus en plus distinctement sur son dos…

« Jack Berger est un Agent du FBI aux méthodes, on ne peut plus contestables… Il ne cesse de manipuler son entourage pour arriver à ses fins…il aime afficher un certain recul, rien ne semble l’affecter… sous ses apparences trompeuses de joyeux luron se cache un être fourbe et sans scrupules qui ne recule devant rien pour obtenir de l’avancement… L’ironie du sort va vouloir qu’il meure par accident alors que son coéquipier tente d’endiguer un de ses excès de zèle…»

« Mais qu’est-ce que cela veut dire ? », Me mis-je à crier au ciel en colère tout en prodiguant un massage cardiaque à mon collègue, « C’est un cauchemar ? Quelqu’un me fait une mauvaise blague ? »


C’est alors que je ressentis de violentes douleurs dorsales… comme si ma chair était transpercée de milliers d’aiguillons chauffés à blanc… Je retirais illico ma chemise trempée et me dirigeant vers mon rétroviseur tentais de déchiffrer le message inversé qui s’inscrivait sur mon dos…


« Le meurtrier d’une personne, c’est un peu comme son père ou sa mère… Elle lui octroie un passage vers un autre monde, vers un autre niveau de conscience… A bien des titres, l’agent Derby m’inspire du respect… Le même respect que j’accorde naturellement à mes parents… Le même amour que je donne à mes enfants…Dans moins d’une heure, Derby va pénétrer chez moi par effraction, se diriger vers mon bureau où je serais assis dans la pénombre devant mon ordinateur… il m’abattra froidement de deux balles dans la tête… Je ne tenterais rien pour empêcher la chose… Comme il l’a deviné, je suis le seul et l’unique auteur de tous ces crimes atroces… pas seulement des derniers… tous ceux de toutes les enquêtes qu’il a cru mener à terme et élucider jusqu’à présent… un serial killer en panne d’inspiration qui ne cherche même plus à renouveler son genre… un tueur froid qui prémédite ses crimes en suivant une méthodologie sans faille qui à fait ses preuves et qui ne l’amuse plus, certain qu’elle fera mouche… Oui, je suis le seul et unique assassin,… bien des fois j’ai essayé de me convaincre que je n’étais qu’un simple commanditaire… Mais aujourd’hui je pense que je mérite à mon tour d’accéder à un nouvel état de conscience… J’ai décidé d’accorder mon respect à celui qui fut le personnage principal de toute cette série de romans policiers que j’ai pu coucher sur le papier… celui qui m’a apporté gloire et renommée… Derby n’aura pas de mal à me trouver… Je ne suis pas très inspiré en fait et j’en ai fait mon voisin imaginaire depuis le début de ses aventures… Bientôt, tout sera fini… Tout cet univers s’écroulera et tout comme moi, tous mes enfants auront droit à un passage vers un autre monde… »

(O______O) LAPINCHIEN