Dernières vacances en Bretagne

Le 09/11/2003
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par Taliesin
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Thèmes / Obscur / Nouvelles noires
Taliesin voulait envoyer son article écrit en breton (...), ce qui aurait probablement été follement drôle. Finalement c'est en français, et dans un sacré bon français qu'il nous livre ce texte bizarre prenant la Bretagne profonde comme cadre pour une histoire très chouette. J'aime beaucoup.
J’aime pas l’été. L’été, maman m’interdit d’aller à la plage, c’est trop dangereux, avec tous ces gens. Je dois rester près de la maison, à me balader sur la lande ou dans les bois. Je vois les touristes de loin, du haut de la falaise, comme des fourmis s’agitant sur le sable. Aujourd’hui, de nombreuses fourmis sont arrivées, et je n’ai pas le droit d’aller me baigner, ni d’attraper des anguilles dans les trous d’eau. Ça m’amuse d’attraper des anguilles. Elles me glissent entre les doigts. Quand j’en tiens une fermement, je la fracasse contre les rochers, et le sang gicle. Je n’ai pas peur du sang. L’anguille continue à bouger longtemps après sa mort. C’est bizarre une anguille. Les gens, eux, restent immobiles quand ils sont morts.
Ce matin, je suis allé chercher de l’herbe pour les lapins, puisque je ne peux pas aller sur la plage. J’aime bien les lapins, leur donner à manger. Les tuer aussi. C’est toujours moi qui les tue, maman me laisse faire. Les attacher par les pattes de derrière avec une corde, et très vite, un coup de bâton sur le cou. Les yeux commencent à rougir, noyés de sang. Je ne suis pas long ensuite à ôter un œil avec mon couteau. N’importe, la bête ne sent plus rien, pas même la lame qui s’enfonce profond dans son crâne. Le liquide rouge se répand pour se mélanger avec la boue du sol. La plaie est comme une porte par laquelle s’échappe la vie. Retirer la peau de l’animal et le mettre dans le plat blanc. Les boyaux iront aux poulets.

Non, je n’ai pas peur du sang. L’autre jour, Soaz, la voisine de maman, m’a demandé si je voulais tuer une portée de petits chats. Elle pensait que j’allais les noyer, elle avait préparé une bassine pour cela. Je les ai fracassé contre le mur de la grange, qui a été éclaboussé de sang. Depuis, Soaz ne veut plus me voir, je lui fait peur. Je fais peur à tout le monde à Menez-Ham, depuis la mort de ma petite sœur, je ne sais pas pourquoi, car je suis un gentil garçon, maman me le dit souvent. Les autres disent que je suis un bon à rien. C’est pas vrai ! Je sais naviguer sur la mer, c’est papa qui m’a appris. Il m’engueulait toujours, papa, il me disait que je ne serais jamais capable de manier un bâteau de pêche. ça m’énervait, ses remarques incessantes, quand nous allions en mer tous les deux. Pourtant, quand il est tombé à l’eau et qu’il s’est noyé, c’est moi qui est ramené le bâteau au port. Tout seul !

J’ai du m’endormir, le soleil est haut dans le ciel, il doit être près de midi. Ça va, mon tas de foin est toujours là, avec ma serpe par-dessus. J’étais pourtant bien adossé à cet arbre, à l’ombre. Quel est ce bruit ? C’est ça qui m’a réveillé. Des voix, il y a quelqu’un pas loin, des gens. Je vais aller voir, ensuite je rentrerais manger. Maman n’aime pas que je sois en retard pour le repas. Prendre ma serpe, papa me disait toujours de ne pas laisser trainer mes affaires. Ça y est, je les vois. Je vais me cacher derrière ce bosquet pour les observer. Ils sont quatre : deux adultes, mari et femme sûrement, avec deux enfants,un garçon et une fille. Je ne comprends rien à ce qu’ils disent, ils doivent parler en français. J’ai jamais appris. Maman m’a retiré de l’école après la mort de Nolwenn. De toutes façons, ça sert à rien l’école, et tout le monde se foutait de moi là-bas, je détestais ça. Ils ont étalé une nappe blanche sur la lande, avec de la nourriture dessus. Qu’est-ce qu’ils sont venus foutre là, pique-niquer ici, au lieu de rester en bas avec les autres fourmis ? Ils n’arrêtent pas de parler, et les enfants jacassent comme des pies. Putain, qu’est-ce qu’il fait chaud ! Il n’y a pas d’ombre et le soleil me tape sur la nuque. J’ai mal au crâne, et ces morveux qui piaillent sans cesse. La gamine se met à chialer maintenant. Elle hurle, hurle. Comme Nolwenn. Papa et maman m’avait laissé seul pour la surveiller, et elle hurlait, hurlait dans son berceau, tellement que ses cris me résonnait dans les oreilles, je ne pouvais plus le supporter. Elle a fini par s’étouffer avec son oreiller. Pauvre petite Nolwenn !
Il faut que je bouge. Le soleil est comme une chape de plomb en fusion qui se déverse sur mon crâne. Ça me broie les tempes. J’ai des fourmis dans les jambes à rester accroupi derrière ce bosquet. Je hais les fourmis. Et puis faire taire cette foutue gamine. Je me lève et m’approche. L’homme m’a vu. Il me sourit et me dit quelques mots, peut-être bonjour, j’en sais foutre rien. Je suis en sueur et j’ai les jambes en coton. Il me dévisage, toujours souriant, puis son regard descend jusqu’à mon bras. Son sourire se fige tout à coup, il a peur. J’ai envie de fuir, mais cette chaleur dans mon dos, cette fournaise. Des gouttes de sueur ruissellent sur mon front et me brouillent la vue. La morveuse continue de chialer, je sens que ma tête va exploser. Ma main moite se contracte sur le manche de la serpe. Il y a comme une vapeur rouge devant mes yeux. Qu’elle cesse de gémir putain !.....

Tout est calme maintenant, plus rien ne bouge, plus de bruit, seulement celui des vagues s’écrasant sur les rochers. Cela m’apaise. Le vent s’est levé et m’apporte un peu de fraicheur. Je me sens beaucoup mieux, comme libéré d’un poids qui m’oppressait la poitrine. J’ai faim. Je me penche vers la nappe chargée de victuailles pour saisir un morceau de poulet froid. Merde, il y plein de sang sur mon pantalon tout propre. Maman va encore me gronder, c’est sûr.

Le Télégramme de Brest - 16 Août 2003 - Pierrick Abjean,42 ans, le principal suspect dans l’affaire du meurtre de Menez-Ham, où une famille de touristes parisiens a été sauvagement massacrée à coups de serpe, a été relaché ce matin après 24h de garde à vue. Sa mère a affirmé qu’il n’avait pas quitté la maison de toute la journée.

Ouf ! Maman n’a rien dit pour le pantalon, et elle m’a dit de ne rien dire aux gendarmes non plus, ce sont des gens méchants. Mais je n’ai plus le droit de sortir de la maison avant cet automne. C’est pas grave, il fait beaucoup trop chaud.