Coma

Le 08/12/2003
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par Arkanya
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Thèmes / Obscur / Fantastique
Arka fait dans le gothique avec une histoire qui met pas mal de temps à s'éclaircir (rappelant un peu les textes de Clax et aussi un peu le 'poids du silence' d'Aka au début). On finit quand même par comprendre de quoi il s'agit mais du coup ça mérie une deuxième lecture pour remettre le début en perspective. Au final un bon texte, assez poétique, bizarre et inquiétant.
Juste pour savoir, une curiosité d’adolescent, un pari avec soi-même, une attirance morbide toujours plus proche de l’obscur…

Coma…
Combien de temps ? Depuis combien de temps est-ce qu’elle me retient ici ? Une goutte… une autre… encore une autre, bruit lancinant, obsédant, la goutte est ma seconde, mon temps, ma référence, mon seul lien avec le palpable. Noir, il fait noir…
M’a-t-elle menti ?
Elle revient, je l’entends, ses pas résonnent dans le vide de cette pierre qui encercle mon univers. Sa bouche est souillée de sang, liquide gris impur et irréel. Elle n’aime que moi, elle me l’a dit, elle l’a promis.
Elle se tient dans la lumière, sa silhouette se découpe dans l’éclat d’un reflet qui me brûle les yeux. Courbes délicieuses, être des ténèbres, chimère aimée… Le bébé hurle comme un damné, je grogne pour protester contre le son aigu et inutile, éphémère protestation, aucun sens.
- Tu es encore vivant, toi ?
Morsure, sucion, silence, délicieux silence. Mon cœur bat-il encore ? Je crois le sentir, il me semble entendre ses coups sourds contre les parois capitonnées, va-t-il finir par renoncer à la souveraine attraction ?

Coma…

Combien de temps ? Combien de litres, combien de gouttes ? Combien de cris ? J’ouvre la bouche pour l’appeler, mais quel est son nom ? Quel nom pour cette amante sortie d’un rêve ? Peut-on seulement nommer ce qu’on ne peut regarder en face ? Prend-moi, Lilith ingénue, enfant du démon, prend ma vie et mon âme. Comme je vénère ce que tu es ! Comme j’adore tout ce qui touche à ce miracle ! Me prendras-tu dis-moi ? Lève seulement encore les yeux sur moi, je suis là qui te regarde, muet d’adoration, je ne suis plus qu’expectation transie.

Coma…

Qu’est-ce que je fous là ? Il y a des cadavres tout autour de moi, des corps froids, raides et vides… Dans quelle galère est-ce que je me suis fourré ? Cette fille, oui, oui, je me souviens de cette fille qui dansait dans sa robe noire, l’étoffe semblait l’envelopper tout entière, elle paraissait virevoleter dans un nuage sombre et inquiétant. Mais je n’avais pas peur, je savais qu’elle venait pour moi. Elle s’est approchée de moi, m’a fixé de ses yeux clairs, et a commencé à onduler comme une sirène maudite. J’ai eu conscience de ce qu’elle était à la minute où elle a susurré à mon oreille des promesses de délices inavoués et de vie éternelle. L’impossible, l’impensable, je le tenais alors dans mes bras, je le sentais glisser entre mes membres tremblants et incrédules, au moment même où mon esprit s’était résigné à classer comme extravagances mes désirs sombres et inavoués d’adolescent tourmenté.

La morsure d’une goule n’est pas douloureuse. Satan seul sait par quel miracle la chose est possible, mais cette créature a laissé deux trous béants, deux blessures ouvertes et sanguinolantes, s’est délectée de presque toute ma substance, sans que la moindre douleur ne me torture.
J’ai bu son sang, je me suis abreuvé de la promesse acide, et j’attends… J’attends la vie éternelle, j’attends ma mort, je me questionne sur la véracité de mes lectures. Mon cœur bat, mon cœur bat, mon corps est froid mais mon cœur bat, depuis combien de temps ? Pour combien de temps encore ? Mon corps refuse de m’obéir depuis bientôt cent cinquante gouttes d’eau qui s’écrasent mollement sur le sol de pierre avec un bruit mat et agaçant de répétition attendue.

Coma…

Elle ne semble plus remarquer à ma présence. Elle va et vient dans cette crypte obscure avec une lenteur hypnotique, tout à ses activités morbides. Tout à l’heure elle a cogné ma tête d’un violent coup de pied, je me suis réveillé, le crâne éthéré, mais elle n’a pas semblé y prendre garde. C’est comme si pour elle j’étais identique à tous ces corps. J’ai bu son sang pourtant ! J’ai bu son sang, je dois devenir comme elle, je vais devenir comme elle, je vais accéder à la vie éternelle. Je ne plus la trouve plus si belle, je commence même à la trouver ennuyeuse. Vivement que je m’éveille à ma nouvelle vie, alors je la quitterai, j’irai de mes propres ailes apprendre un nouvel art d’exister.

Coma…

Ça commence à faire long. Depuis combien de temps n’est-elle pas venue ? Je ne sens plus le froid de la pierre sur laquelle ma peau s’endort, et mes jambes se perdent dans une hésitation confuse et indéfinissable. Je ne peux même pas les entrevoir dans la pénombre, j’ai tellement peur, mes membres se confondent avec ceux des dizaines de cadavres qui jonchent le sol autour de moi. Où est-elle ? Est-ce qu’elle va me laisser là ?

Coma…

Je ne peux même plus fermer mes paupières, la paralysie m’a bouffé tout entier. Je vais devoir regarder la mort bien en face, quelle ironie, ma chair ne m’a même pas donné le choix ! A moins que je ne devienne bientôt aveugle, qui sait ? Il me semble déjà que ma vue faiblit, mais il faudrait que je puisse bouger les yeux pour en être sûr. Il n’y a plus guère que mes pensées qui puissent se mouvoir, mais elles tournent indéfiniment autour de la trahison de cette créature de mort comme des moucherons qui se brûlent à la chaleur d’une lampe mais s’obstinent à y retourner jusqu’à s’y cramer totalement. Cette pute m’a menti, j’en suis sûr maintenant, tous les Rice et Stocker avaient tort. Je vais crever comme un chien sur ce charnier putride, riche d’une révélation qui ne profitera à personne, ma fascination d’adolescent noyée dans le ridicule de cette réalité crue et sans appel…