Le corbeau

Le 23/12/2003
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par Tulia
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Thèmes / Obscur / Nouvelles noires
Une bonne nouvelle, bien écrite et structurée et plutôt originale dans la production de Tulia par certains points, même si évidemment ça reste bien noir et qu'on retrouve comme toujours une relation de couple conflictuelle. Reste quand même une interrogation majeure : l'intérêt de l'article, qui donne l'impression de ne pas avoir de vraie histoire, pas de chute et qui décrit sur la majeure partie du texte un contexte (le point de vue du corbeau) qui finallement ne sert à rien d'autre qu'à être joli sur le plan du style.
Il scrute les alentours. Rien ne semble anormal. Il déploie toute son envergure et, prenant appui sur ses pattes, se jette d’un bond pour prendre son envol. Grâce à quelques lourds et puissants battements d’ailes, il prend rapidement de l’altitude. Depuis cette hauteur, il peut aisément scruter tout ce qui se passe en-dessous de lui, sa vue perçante lui permettant d’apercevoir le plus petit mouvement d’un rongeur ou d’un insecte depuis une grande distance.
« C’est plus fort que toi… Faut toujours que tu me fasses chier…
- Quand est-ce que tu vas assumer tes responsabilités bordel ? »

Il survole désormais la plaine en direction de l’est. En bas, la campagne semble s’endormir peu à peu avec le lever du soleil. La nuit a été particulièrement agitée mais le calme semble revenir enfin. Dans les champs, les derniers lapins qui n’ont pas encore rejoint leur terrier s’y précipitent en voyant son ombre se dessiner près d’eux sur le sol. Au détour d’un bosquet, deux cerfs sont face à face, bois entremêlés et à bout de souffle. Leur duel de domination les a poussés jusque dans cette position fatale, ils périront tous deux ainsi.

« Arrête de remettre ça sur le tapis tout le temps, t’es chiante. J’ai pas que ça à foutre que de passer mon temps à subir tes petites crises existentielles.
- T’es vraiment un bel enfoiré pour oser me sortir ça ! T’es jamais là, c’est moi qui me tape tout le boulot dans cet appart et quand tu te décides à rentrer, tu te permets encore de gueuler.»

Il se dirige vers l’agglomération. Il y a déjà été plusieurs fois par le passé. Mais il n’aime pas cet endroit. Il s’y retrouve systématiquement désorienté et tous ses sens y sont altérés. Toutes ces énormes carcasses métalliques hurlantes qui se précipitent les unes derrière les autres, ces odeurs nauséabondes, cette souillure, cet air empli de particules polluées… Tout, ici, semble être en proie à une étrange infection invisible. Et pourtant, il ne peut s’empêcher d’y aller, comme poussé par une étrange force mystique.

« Putain mais tu vas la fermer ta gueule espèce de conne ?
- Non pas cette fois, ce serait trop facile… Ça va quand même pas te tuer de me rendre un petit service une fois de temps en temps. »

Il plane au-dessus de cette abomination contaminée, sans trop savoir où il va ni pourquoi il y va. De temps à autre, il croise d’autres oiseaux. Des moineaux, des pigeons… Il en croise souvent sur son territoire mais ceux d’ici semblent tous chétifs et malades, plumage terne, yeux vides, mouvements mécaniques…

« Sérieux, ferme ta gueule avant que je m’énerve vraiment !
- Ouais menace-moi en plus connard, t’as raison, la violence est la solution à tous tes problèmes alors montre-moi à quel point tu m’es supérieur. »

Il erre toujours entre les structures bétonnées. Il ne sait toujours pas trop où ses pérégrinations vont le mener. Il aimerait pouvoir faire demi-tour et repartir loin de cet endroit maudit mais son instinct le pousse irrépressiblement toujours plus profond au cœur de cette masse grise et puante.

« Tu me cherches vraiment toi ?
- Non, j’essaye de te faire comprendre à quel point t’es con parfois ! »

Au coin d’une rue, son attention est attirée par un bruit assez étrange. Il bifurque sur la gauche pour se diriger vers la source de ce bruit. Plus il s’approche et plus le bruit s’amplifie. Il aperçoit une fenêtre ouverte et se pose tranquillement sur la rambarde. Le bruit qui l’avait attiré jusqu’ici provient de l’intérieur. Il observe minutieusement un homme et une femme en train de se hurler dessus mutuellement.

« Et ben je vais te montrer salope à quel point je suis con ! »

Posé sur son perchoir, il se lisse les plumes avec son bec. Du coin de l’œil, il observe l’homme lever la main sur la femme et lui asséner une puissante gifle. Celle-ci tombe à terre et son partenaire se jette sur elle pour la rouer de coups. L’oiseau est très intrigué par ce manège.
La femme crie. L’homme crie plus fort encore. Le corbeau ouvre le bec et sa voix caverneuse émet un puissant croassement. Les deux bipèdes semblent interloqués par ce bruit si peu familier, ils tournent en même temps la tête vers la fenêtre. La femme en profite que l’homme a le regard détourné pour reculer en glissant sur le sol. Elle réussit à prendre appui sur un meuble pour se relever pendant qu’il tourne à nouveau son regard noir de haine vers elle en constatant qu’elle a réussi à se dérober. Il semble comme fou. Elle, est terrorisée.
L’oiseau suit toujours du regard chacun des mouvements des deux protagonistes, la tête légèrement penchée sur le côté. Il n’a aucun intérêt à rester ici mais il ne peut s’empêcher d’être captivé par la scène qui se déroule sous ses yeux. Le voyant se jeter à nouveau sur elle, elle attrape la lampe qui se trouve sur le meuble et lui écrase violemment sur la tête au moment où il s’est suffisamment rapproché d’elle. L’homme s’effondre lourdement sur le sol et ne bouge plus. Le corbeau observe d’un air curieux la femme qui se penche vers son partenaire immobile et croasse à nouveau.

Il prend son envol.