Petite mise au point

Le 27/12/2003
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par Aka
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Thèmes / Débile / Disjoncte
Aka met en scène une sorte de... fantasme qui nous a tous un jour traversé l'esprit. C'est une nouvelle tragédie familiale, comme c'est la mode en ce moment sur la Zone, mais ce coup-ci traité bien différemment : c'est speed, c'est violent, ça a un coté jouissif voire humoristique, c'est agréable, même si ça semble pas forcément voulu. C'est sympa, mais ça aurait gagné à être un poil plus long et plus creusé.
Même si l’idée était un peu étonnante, ils vinrent tous sans poser trop de questions. Presque même sans rechigner. Ils connaissaient son coté nostalgique et ça ne les étonnait pas qu’elles veuillent faire revivre les fantômes de son passé pour ses 25 ans. Même si certains ne l’avaient pas revue depuis une dizaine d’années, ils avaient estimé que suffisamment d’eau avait coulé sous les ponts. Et puis, ça pouvait être marrant de revoir d’anciennes connaissances.
Tout était prêt, elle était fébrile. Il ne manquait plus que ses invités. Ca allait être le Grand Soir, son Soir. Vingt-cinq années. Elles commençaient à défiler sous ses yeux, illustrées par tous ces visages qu’elle verrait d’ici quelques minutes ici-même, dans son salon. Certains de ses proches actuels n’avaient pas été invité et ils étaient déçus. Ils lui en voulaient. Elle avait essayé de leur expliquer qu’à ce stade de sa vie, elle avait besoin de revoir certaines têtes, de régler quelques anciens conflits aussi, bref, de faire une petite mise au point avec elle comme avec eux. Ils comprendraient avec le temps. La sonnette retentit à ses oreilles. C’était eux. Ils étaient là.

Avec un sourire ému, elle dévisageait chaque personne qui sirotait un verre autour de la table. Son père. Sa mère. Des amis perdus de vue depuis longtemps, certains qu’elle avait même appelés ses « frères ». Des ex petits amis aussi. Beaucoup de souvenirs, de nostalgie, de promesses depuis longtemps avortées par le temps. Une larme coulait le long de sa joue. Elle se souvenait de chaque seconde malgré les années passées. Son cœur se gonflait en percevant des éclats de rire fantomatiques, des chuchotement complices altérés, des regards sous-entendus presque effacés maintenant. Eux la regardaient aussi. Un regard empli de respect, celui qu’on a pour les personnes avec qui on a pu vivre quelque chose de fort. Rien de plus. Ils comblaient les blancs, posant tous à leur tour les mêmes questions sur ce qui avait pu se passer pendant toutes ces années, ce qu’elle était devenue. Anéantie par l’émotion, elle laissait ses parents répondre à sa place. Ils racontaient son parcours scolaire, son parcours sentimental, les anecdotes humoristiques, non sans oublier de souligner à chaque interlude à quel point ils étaient fiers de leur grande fille. L’émotion continuait de la submerger et elle ne put s’empêcher de parler à haute voix :
« - Mon Dieu mais c’est vraiment trop beau ! »
« - De nous voir tous réunis ici au bout de tant d’années ? » demanda l’un des convives.
« - Non, c’est juste magnifique de pouvoir vous détester à ce point. »

Ils étaient tous assis sur le sofa face à elle. Leurs regards avaient changé. Certains étaient inquiets, d’autres étaient profondément en colère. Ca devait être la vue du fusil qui les avaient métamorphosés comme ça. C’est marrant, les phrases bateau à la con sortent beaucoup moins facilement quand sa vie est en jeu apparemment.
« Bon voilà ce qu’il se passe. Vous me connaissez tous depuis suffisamment longtemps pour connaître beaucoup de choses de moi, mes défauts comme mes qualités. Vous vous souvenez donc que je suis rancunière, et la rancune ne va pas sans la patience. Il est donc venu le temps de régler nos comptes. Et comme je ne suis pas une garce comme vous l’êtes pour la plupart, je ne vous ferai pas souffrir. Je vais donc vous tuer. »
Murmures dans l’assemblée.
« - Bon maintenant tu arrêtes, tu as trop bu. Tu es fatiguée et tu dois avoir des soucis. On peut le comprendre. Mais je te jure que si tu continues à me mettre en joue avec ce fusil, ça va vraiment chier pour toi »
Ca c’était son père. Essayant d’être fidèle à lui-même. Il puait la peur.
« Tu devrais être le mieux placé pour savoir que d’une part je ne suis pas ivre et que, d’autre part, je ne bluffe pas. C’est bien toi qui m’a tout appris non ? Sur l’alcool et sur le reste… C’est maintenant que tu dois être fier de ta grande fille, fier de l’éducation que tu lui as donné… »
Tiens, sa mère se mettait à pleurer :
« On est désolé, on n’a pas toujours été des bons parents c’est vrai. Mais là c’est vraiment démesuré. Il faut… tu as besoin d’aide…il faut que tu vois un médecin… »
Un grand éclat de rire coupa court aux sanglots.
« Et toi ? Ca t’a amené où de voir un psy hein ! Je vais peut-être commencer par toi… »
Le fusil se leva mais fut coupé dans son élan par une troisième voix. Sa sonorité lui donna des frissons. Elle savait qui lui parlait et elle fut soudain prise de nausée.
« Avec tout ce qu’on a vécu ensemble, tu ne vas tout de même pas… »
La moitié de sa tête était sur le mur. Son visage n’était plus qu’un magma informe. Il était au moins conforme à ce qu’il était intérieurement maintenant. Cette réflexion la fit rire à haute voix ce qui entraîna de l’agitation au milieu de ses invités. Mais elle ne pouvait détacher son regard de ce visage. Ce visage qu’elle avait vu maintes et maintes fois en se réveillant. Ce visage qu’elle avait eu envie de déchiqueter de ses ongles quand il…
« Oula où tu vas toi ? Reviens t’asseoir s’il te plait » Le fugueur retourna à sa place, en pleine crise de nerf.
« Ah oui j’oubliais que c’était aussi un ami à toi. Désolée » Détonation. Pleine tête, comme le premier.
« Merci Papa. Je tire vraiment comme une chef. Bon, on en était où ? Ah oui : ma santé mentale. Elle va bien merci. Bon d’accord je viens de tuer deux personnes et ? Cette notion de Bien et de Mal est totalement subjective à mon avis. Tuer c’est mal. Trahir c’est bien ? Faire preuve d’indifférence c’est bien ? Gâcher des vies c’est bien ? TORTURER C’EST BIEN BORDEL ? Réponse : non. Différence entre vous et moi : moi je n’ai pas saboté vos vies, je choisis juste le jour de votre mort. Vous y seriez peut-être passé demain, qui sait ? Et puis j’abrège sûrement les souffrances d’autres personnes subissant vos multiples erreurs. Bref je m’égare… Maman ? Maman regarde moi s’il te plait ».
Sa voix était devenue calme. Un sourire doux illuminait son visage.
« Voilà. Comme ça…Au revoir Maman »

Ils étaient tous partis dans des plaidoiries, personne n’écoutant plus personne que lui-même. Ils essayaient tous d’expliquer à quel point ils l’aimaient, à quel point ils étaient désolés de ce qu’ils avaient fait. Certains disaient même ne pas se rappeler leurs erreurs. Seul son père était silencieux.
« Am stram gram pic et pic et colé gram bouré bouré ratatam am… stram… GRAM »
Le silence était enfin revenu.
Le petit jeu ne l’amusait plus. Elle avait l’impression de devoir abattre des chevaux aux pattes cassées. Il fallait faire vite et bien.

Il ne restait que son père. La contenance dont elle avait fait preuve jusque là, la rage qui l’animait, tout ça s’était envolé. Elle pleurait à chaudes larmes. Il la regardait dans les yeux, calmement. Elle épaula pour la neuvième fois son fusil et passa son regard à travers le viseur. Tout était embué, irréel.
Sa voix se cassa lorsqu’elle dit : « Je t’aime Papa ». Il eut le temps de répondre « moi aussi je t’aime ».

C’était terminé. Seule dans le salon elle alla se servir un verre. Son regard croisa le miroir et elle esquissa un geste pour lever son verre en murmurant « joyeux anniversaire ».