Dernière lettre

Le 28/01/2004
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par Aka
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Thèmes / Obscur / Introspection
Les accents profondément tristes mais calmes de la lettre à un ami sont de retour dans cette lettre de suicide d'une douceur infinie, mais de cette douceur morbide que confère la résignation la plus basse. Les vérités sont assénées sans violence, mais on en revient toujours à un constat froid et désabusé qui exclut l'espoir. Tout ce qu'on aime en gros.
Je ne sais pas à qui je m’adresse, mais je me doute que je peux te tutoyer. Si tu as cette lettre dans les mains c’est que nous sommes assez intimes pour que tu cherches à avoir de mes nouvelles, et que, tout simplement tu puisses accéder à ma chambre. Qu’importe. Je tenais avant tout à te dire que je m’excuse. Ca ne doit pas être évident de retrouver le cadavre de quelqu’un qu’on a aimé. De lire les derniers mots qu’il a voulu laisser. C’est un poids à porter, un rôle à endosser alors qu’on ne l’avait pas voulu. C’est pour ça que je m’excuse, tout simplement.
Je n’ai jamais été une grande originale de mon vivant et je ne le suis pas dans la mort non plus. Cette lettre va sans doute ressembler au final à toutes celles qui ont été écrites avant elle, de la main de milliers de personnes tellement différentes mais tellement semblables dans leur désir de mourir. Faisons ça dans la forme alors.
Après m’être excusée il faut donc logiquement que je te dise de ne pas culpabiliser et te demander aussi de bien soumettre cette recommandation à tous mes proches. C’est étrange, le suicide a toujours été associé à la culpabilité. Culpabilité de celui « qui part » tout d’abord à cause de la peine qu’il suscite autour de lui. Culpabilité de ceux « qui restent » de ne pas avoir su le retenir. Le tabou suprême : la mort. Mais quitte à rentrer dans des stéréotypes, vous n’avez vraiment aucune raison de porter ce fardeau. Penses-tu vraiment qu’on puisse convaincre quelqu’un qui est certain de sa décision et de la véracité de ses arguments ? Regarde autour de toi, analyse la moindre discussion, même la plus anodine, et tu verras que non.
L’instant de désespoir. C’est ce mythe qui fait se sentir coupable. L’entourage pense toujours après coup que s’il était intervenu à l’instant T où tout bascule alors à la seconde d’après, la vie aurait retrouvé toute sa saveur… Relis cette phrase et oublie le cadavre qui gît à coté de toi. Alors, ne trouve-tu pas ça irréaliste ? Décider de la fin de sa vie serait donc le choix d’une seconde. Franchement je ne pense pas. Du moins dans mon cas. Il y a bien évidemment des personnes fragilisée par cette vie, par leur passé ou maintes et maintes autres raisons et qui ont malheureusement attrapé au vol la fameuse goutte d’eau qui fait déborder le vase. Mais je ne m’engage pas sur la mort des autres : c’est un sujet bien trop précieux.
Pour ma part, je suis (pardon, j’étais) une étudiante tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Une famille ordinaire, ni meilleure, ni pire qu’une autre. Une vie sociale épanouie, une vie sentimentale satisfaisante, des loisirs, un toit… J’ai les problèmes moyens des personnes moyennes de mon age. Je traîne quelques blessures comme nous tous. Ni plus. Ni moins. Je ne suis pas désespérée. Ce n’est pas un acte désespéré. Il n’y a pas d’instant T.
Je n’aime tout simplement pas la vie. Pas ma vie, juste la vie. Faire mon petit bonhomme de chemin seule, enfermée dans ma petite boite crânienne ne m’intéresse pas. Je ne renie pas les sentiments que je donne et ceux que je reçois. Mais l’Homme est égoïste. Il veille avant tout à son petit confort personnel toute sa vie durant. Il créé des liens pour passer le temps. Il va à la fac en attendant le week-end. Il travaille en attendant ses vacances, en attendant sa retraite. Faire défiler le temps, c’est notre leitmotiv à tous. A quoi bon alors vivre si on fait en sorte que tout passe le plus vite possible ?
Les personnes comme moi doivent être incompatibles avec la vie. Un rejet. Nous sommes en quelque sorte une sorte de virus que la société, la philosophie et le quotidien s’acharnent à combattre. Oublie les images toutes faites de choix crucial entre la vie et la mort. Il n’y en a pas dans ce cas.
On te parlera probablement aussi d’un acte égoïste. Certes. Mais chaque fois que l’on fait un acte pour ne satisfaire que soi-même, il ne peut en être autrement. J’aurais pu continuer j’en suis sure. Ce n’est pas le courage qui m’a manqué mais l’envie. Je me détache toujours de ce qui ne m’intéresse pas. Je me lasse vite. On me l’a assez reproché.
Je ne rêve même pas à un grand repos éternel. Juste au Néant. Là où la conscience n’existe plus. Pas de souvenir. Pas de rencontre de l’au-delà. Pas de paradis. Pas de noir total. Juste un grand rien. Ne plus être là. Ne plus être.
Assure juste les personnes auxquelles je tiens que je les aimais. Mais souhaite moi surtout de ne pas les aimer pour toujours et que je ne veillerai pas éternellement sur eux.

Adieu.