Les vacances tuent ©

Le 25/02/2004
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par Aka
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Thèmes / Débile / Sarcastique
Ca faisait longtemps que personne ne nous avait raconté sa journée, chose corrigée avec cet article d'Aka qui s'est carrément prise pour un futur agent de la normalité en tentant le concours Sciences-Po. Les zonards commencent à tenter de noyauter le Système de l'intérieur, mais le Système leur fait aimablement comprendre qu'ils peuvent aller se faire foutre... Il est pas con le Système. Avec des vrais morceaux de polémique dedans.
Attention : cet article est basé sur des faits réels.

Deux mois de vacances loin de la Zone, c’est long. Deux mois de vacances loin de la Zone, ça vous change une vie. Si, si, croyez-moi sur parole. Et si je fais cet article, c’est dans un but purement solidaire. Il faut que vous soyez avertis de ce qu’il pourrait vous arriver si d’aventure il vous prenait à vous aussi l’envie de vous éloigner un peu…
En deux mois, on peut dire que j’ai fait plein de choses. Je me suis reconstruit une vie sociale, j’ai trouvé un boulot, j’ai décidé de relancer ma carrière estudiantine. Pour ce, il me prit, entre autre, la fulgurante idée de passer des concours divers et variés afin de déterminer ce que serait mon futur professionnel. Et vu que mon ambition, emplie d’une nouvelle ferveur, n’avait à ce moment aucune limite, j’ai décidé de me lancer un défi personnel : l’intégration de Sciences-Po en master. Vous me direz, ok là je me la suis jouée. J’aurai du prévoir. Certes. Mais personne ne sait comment il réagirait devant un regain de normalité.

Première étape : le remplissage du dossier. Je passe les détails, mais je pense qu’il m’aurait bien fallu une année de prépa pour venir à bout de cette tache laborieuse. Non seulement je n’ai plus aucun secret pour eux, mais je peux reléguer au rang de très vieux souvenir toute notion de fierté personnelle après avoir répondu à des questions telles que « que font vos parents ?», « quels concours avez-vous déjà passés ?», « êtes-vous bilingue ?», « faites-vous partis d’ une association caritative ?», « pourquoi vouloir entrer à Sciences-Po », « quels sont vos qualités ?», « vos défauts ?», « votre tour de poitrine ?», « la fréquence de vos rapports sexuels ?»…. Excusez-moi je m’emporte et j’en viens à fabuler. C’est dommage, ça aurait été sûrement plus intéressant que les deux pages que j’ai pu leur pondre sur mon pauvre séjour en Espagne dans la section « stage à l’étranger ».

Bref les semaines se passent, je me prend à rêver. Qui sait, un gros coup de bol, ça peut peut-être passer ? Et là à moi la belle vie : l’argent, la grosse baraque, la bagnole, les pots de vin, les putes, la coke. Voilà vous voyez : ça recommence !
Lundi 2 février (aujourd’hui en fait, d’où le coté un peu incohérent de l’article, vous m’excuserez) : jour fatidique. Après une nuit blanche, je prends mon train à 7h00 direction Arcueil. Sourire jusqu’aux oreilles, l’orgueil qui dégueule de partout. Je suis une rebelle, je vais passer Sciences-Po sans avoir révisé, ni dormi. Je me suis habillée tout en noir à l’occasion, ma croix OSTENTATOIRE accrochée autours du cou pour l’occasion. Il n’y a pas de problème : ils vont voir ce qu’ils vont voir. Coup d’œil de dédain à tous les êtres que je croise dans le métro susceptibles de passer le concours. Ils ont l’air tellement apeurés ces cons. Je monte les escaliers de la maison des examens d’un pas assuré et calculé, n’oubliant pas de faire mon regard noir et hautain….

… Et là tout s’écroule. Deux mille paires d’yeux dédaigneux me dévisagent. Et je vous assure que deux mille paires, mon regard vampirique il fait cocker battu à coté. Donc là on reboutonne le manteau, on s’allume une clope et on baisse la tête. Et surtout on observe.
Au bout de vingt minutes d’observation, trois clopes, je suis déjà en train, d’envoyer des sms à qui veut l’entendre avec un message des plus philosophiques du genre « qu’est-ce que je fous là ?! » Imaginez-vous la plus grosse caricature que vous puissiez concevoir de l’étudiant voulant rentrer à Sciences-Po… Et bien vous êtes loin de la vérité. Il vous manque les phrases d’anthologie du genre « c’est dingue, il y a tout Henry IV ici ! » où tout le monde s’esclaffe (me demandez pas, j’ai pas compris la blague non plus). Il vous manque tout ce qu’on peut faire de moins original dans la figure du petit bourgeois, mais en version deux milles clones. Il vous manque le gentil père de famille, ancien énarque, parfaite réplique d’un Pat Bateman cinquantenaire, en train de faire le tour de l’assemblée avec sa fille tout en répétant « Lui il l’aura pas, t’as toutes tes chances » à chaque pingouin qu’il croise. Il vous manque la solitude oppressante face à tous ces robots réunis en bande. Bref, c’est à ce moment là que j’ai fais demi tour. Après quelques minutes de réflexion, je me suis dit que ça serait dommage de ne pas profiter pleinement du spectacle. Je me suis donc dirigée vers ma salle pour l’épreuve d’histoire.

Salle toute en longueur, trois cents places. Allez déjà trouver votre nom dans ce bordel quand ce n’est pas rangé par ordre alphabétique. Ils sont déjà presque tous installés et me reluquent de la tête au pieds pendant que j’erre dans les allées. J’ai jamais autant regretté de ne pas porter un tailleur Chanel. Trouvant enfin le Saint Graal, je pose mon sac pour en retirer de quoi écrire, quand j’entends une voix stridente me hurler aux oreilles « LES SACS C’EST AU FOND DE LA SALLE ON A DIT ». Je baisse les yeux et vois une sorte d’animal avec un chignon et beaucoup de fourrure. C’est mignon mais ça fait du bruit. Distribution des copies. Regardons les sujets :

HISTOIRE - Vous traiterez au choix :
-    Peut-on parler de « mondialisation » avant 1914 ?
-    L’importance du 9 novembre dans l’Allemagne du XXè siècle
-    L’Israël et ses voisins de 1948 à 1982
-    Les jeunes en France pendant les Trente Glorieuses



1914 ça me dit quelque chose je vais prendre ça.

Mondialisation ?


Bon bah là je suis vraiment dans la merde. Je sais même pas ce qu’il s’est passé avant hier alors AVANT 1914… Copie blanche : ça ne m’était jamais arrivé. Je vais essayer de tenir ici deux heures histoire de pas trop m’afficher devant les trois cents boulets qui m’entourent. Ca aurait été après 1914 encore…
Je suis mal là, vraiment mal. J’aimerais partir maintenant. C’est dingue, ils me font limite peur tous ces gens. C’est vrai quoi ! Je pourrais me lever et partir, de toute manière, je ne les reverrai plus jamais. Mais non : je suis bloquée.
J’essaye de tuer le temps en réfléchissant au concept de « mondialisation »… Ils doivent être contagieux.
Je resterai dans ma sphère au moins maintenant. Sciences-Po, l’ENA… Comment j’ai pu ne serait-ce que l’envisager ?
J’ai beau réfléchir, je crois que je n’ai jamais autant eu envie d’être ailleurs. 9h33 ça passe pas. Il faut que je reste là jusqu’à 11h à part si un autre se lève et s’en va avant. Décidemment, je continue à rêver là.
Tiens j’en vois une autre en galère. Elle a pas le look de la maison non plus, elle est black. C’est con, ça leur ferait les pieds, puis sûrement du bien aussi qu’une black l’ai. En y regardant de plus près, il y en a d’autres qui sèchent. Et je le jure, c’est les seuls qui n’ont pas l’air tout droit sorti de Normal Sup.
Le mec devant moi à l’air perdu aussi. Je récite des incantations dans ma tête pour qu’il parte à 10h. On a toujours l’air un peu moins con à deux. Il est habillé en noir, il a un baggy, un bonnet… On va entretenir les caricatures : seuls les geeks accèdent à Sciences-Po !
9h45 l’inconnu mystère n’a toujours rien écrit. Il regarde autours de lui. Je ne le connais pas mais je l’aime bien. C’est mon regain d’espoir de la journée. La petite black s’est mise à gratter elle. J’espère qu’elle l’aura.
Bon l’autre c’est clair, il va partir à 10h parce qu’il a entreprit de s’assoupir un peu là. Ah non merde il prend son stylo… Ouf c’était pour marquer copie blanche. Plus que huit minutes à souffrir si c’est vraiment ça. Je me reprend. Je m’invente une fierté à la con à ne pas être comme eux, à me permettre de partir au bout d’une heure d’un concours qui a coûté 110 euros. C’est nul, je sais.
10h Une fille part. J’hésite. Mon inconnu mystère se lève. Je file.
Un vieux tiré à quatre épingle et avec l’air de quelqu’un qui a tout compris à la vie et ses mystères réceptionne ma copie. Il me tend un carton me donnant droit de traverser la salle pour repartir et me dit sur un ton de connivence agrémenté d’un sourire sarcastique : « Vous avez quand même le droit de venir cet après-midi si vous voulez vous entraîner pour l’année prochaine… »
Revenir ? Repasser le concours l’année prochaine. Imaginez que je l’ai : je finirai comme eux…

Conclusion :
Merci la Zone ! Je partirai plus promis, mais me laissez pas avec les gens normaux PITIE !
J’ai péché, j’expie.
J’ai péché, j’expie.
J’ai péché, j’expie.
J’ai péché, j’expie.
J’ai péché, j’expie.
J’ai péché, j’expie.
J’ai péché, j’expie.
J’ai péché, j’expie.