Nostalgie

Le 22/03/2004
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par Kirunaa
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Thèmes / Obscur / Triste
Kirunaa réussit le tour de force de tisser une sensation de tristesse infinie à partir d'images pourtant plutôt positives. Une variation sensible sur le thème de la mélancolie nostalgique. Une merveille.
Elle me poursuit. Elle s’accroche à moi, prête à rejaillir à la moindre occasion. Je la ressens, là, au creux de mes viscères, présente et familière. Elle est comme une vieille migraine chronique qui soudain me terrasse sans raison apparente. Elle me murmure des mensonges qui m’accablent en excavant des souvenirs trop doux. Elle me chuchote des odeurs, des bruits, des sensations… Comme elle sait bien s’avancer vers moi, sournoise et délicate, enchanteresse, s’enroulant autour de moi jusqu’à me suffoquer soudain, resserrant son étau d’un seul coup…
Elle me montre la mer, douce et noire par les nuits d’été. J’entends son chant m’appeler du fin fond de ma mémoire. Le lent bercement des vagues me conte mille histoires, l’odeur acre de l’iode pénètre doucement mes narines et je sens sous mes pieds le sable frais. Et le vent. Plus doux et cajoleur que le plus tendre des amants. Je les connais si bien. Il suffit que je ferme les yeux pour tout ressentir.
Elle me montre la maison de mon enfance, reposante et sure. Ma chambre et ses trésors de jeunesse, la cuisine ou m’attendait mon petit déjeuner tous les matin, et le jardin, dans lequel j’ai découvert le ciel et appris les étoiles. J’entends le bruissement des feuilles bercées par la brise et les grillons célébrant la nuit tant attendue. Je connais par cœur le moindre recoin, le moindre piège, la moindre planche grinçante susceptible de trahir mon retour tardif à la pointe du jour.
Elle me montre la forêt, chantant sous la pluie. Le sol est jonché de châtaignes et se pare de milles couleurs. L’odeur des feuilles et de la terre humide passe sur mon âme un baume bienfaisant. Les chênes, les frênes, les ormes et les frêles noisetiers laissent la place aux peupliers et aux saules lorsque l’eau se fait plus proche. Et la roue du moulin tourne, tourne, tourne, faisant jaillir des gouttelettes d’argent au tintement cristallin.

Et soudain, au détour du tendre parfum d’une narcisse ou d’un bosquet de chênes, je sens mon cœur se serrer. Mon âme commence à s’envoler, essayant vainement du rattraper la bribe de sensation et de souvenir qui s’est déjà enfuie. Trop tard. Une inflexion de voix reproduit à s’y méprendre une intonation oubliée et je sens tout contrôle m’échapper. Serrant les dents, fermant les yeux, je lutte jusqu’au bout pour retenir mes larmes et desserrer l’étau qui m’opprime le cœur, l’estomac et les poumons.
Mais elle gagne toujours. Elle sort éternellement vainqueur de la bataille, sachant qu’une fois le mécanisme enclenché elle n’a plus qu’à attendre pour recueillir les lambeaux de ma vie qui s’éparpillent autour de moi comme autant de fleurs fanées.

J’ai mal d’être ainsi déchirée. Et le bonheur des autres ne fait que raviver des plaies qui ne cicatriseront pas.

Loin, très loin là-bas, je sais que la marée remonte doucement. Il est des choses qui ne changeront jamais.