Anthropophagie spontanée

Le 24/04/2004
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par Bobby-Joe
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Thèmes / Obscur / Anticipation
Un petit texte d'anticipation catastrophique, l’avenir de l’humanité se prend encore un grand coup de latte dans la poire. Comme le titre le suggère, ça s’attarde sur le cannibalisme, devenu seule condition de la survie et qui par conséquent fait office de seule loi pour des meutes humaines en perdition. Bien écrit, bien bourrin, mais ça zappe un peu trop vite, ça aurait mérité de rentrer un peu plus dans les détails.
Les temps sont durs... Voilà plus de trois siècles que la famine touche la Terre, les espèces animales s'éteignent peu à peu... La race humaine est l'une des dernières.
Trois mégalopoles se sont formées aux emplacements des anciennes capitales, Paris, Berlin et Berne, les villes les plus riches au centre de l'Europe. De hauts murs entourent ces immenses amas de bâtiments. Aucun gouvernement entre les trois, chacune est un petit pays indépendant ne faisant aucun commerce avec l'une des deux autres. Trois dialectes, dérivés du français et de l'allemand, se sont développés dans ces monstrueuses villes.
Je n'en sais pas plus, je ne connais rien de la vie intra-muros, je suis de l’extérieur, là ou les humains se tuent entre eux, là ou la vie n'est que pénitence. Le cannibalisme est une obligation, les rares races animales vivent loin en mer ou sous terre, inaccessibles. Personne ne croit en Dieu dans ce monde.
Mon nom est Nakor, j'ai 27 ans depuis cinq semaines. J'ai eu deux enfants, la nourriture sort du ventre des femmes, ils ont été mangés il y a déjà quelques années. Ma femme, je l'ai partagée avec mon seul ami lorsqu'elle était enceinte de 6 mois. Elle nous dura 3 semaines. Ses dents se balançaient au bout du collier de Manik, mon ami de toujours.
Nous sommes nés le même jour, nous nous suivons depuis toujours. Nous avons réussi à échapper à nos parents, à l'époque ou les enfants n'étaient attachés que par un doigt. J'y laissai mon pouce droit, Manik son index gauche. Nous avons grandi ensemble, nous aidant mutuellement. Nous réussîmes à voler une femme de 34 ans alors que nous n'en avions que 14. Nous connaissions l'importance des femmes dans notre monde. Seules capables de produire de la viande grâce à un minimum de semence et de surplus de nourriture. Je lui tirais deux enfants, Malik réussit à en avoir 6, mais il les partageait volontiers avec moi. Nous réussîmes à survivre entre deux naissances grâce à l'alliance que nous avions formée. Lorsque la femme arrive en période ménopausique elle devient inutile, toutefois, le moment où elle enfante pour la dernière fois est autant tragique que festif. Tragique de par les conséquences d'une telle disparition, notamment la production de viande, et les plaisirs sexuels (par ailleurs moins importants car souvent substitué par l’homosexualité). Festif car la quantité de viande ainsi créée grâce à l'ensemble femme-enfant peut servir pendant plusieurs semaines une fois séché. Ma femme morte, la vie future nous semblait bien plus difficile.
La chance voulut que nous rencontrions, quelques jours plus tard, une troupe de personnes munie de deux jeunes femmes fécondables. Après bien des périples, nous réussîmes à les emmener toutes les deux. Nous ne gardions les deux que neufs mois, le temps, pour celle que nous préférions, de mettre bas. Malheureusement pour moi, je tombai amoureux de celles que nous décidions de garder. Malik s'en rendit compte, ce qui engendra un conflit entre nous, le premier de toute une vie, le dernier aussi.
Cette brouille ne m’empêcha pas de partager l'enfant qu'elle nous donna. Mais il savait que ma plus grande envie, comme toutes celles des personnes sous l'emprise de l'amour (devenue une véritable maladie affreusement redoutée), était d'avoir un enfant, le dernier, celui qui me succéderait. Il me vola Tooniae.
Pendant plusieurs jours je ne les vis plus. Puis, quelques semaines plus tard, il revint, seul. Il l'avait tué, ayant trop peur de me perdre et de me laisser sombrer dans l'amour. Après mûres réflexions, je l'en remerciais, me rendant compte de l'absurdité de mon rêve. Il me présenta la viande ainsi récoltée et me dit que nous avions besoin d'un peu de séparation, que nous ne devions plus rester ensemble aussi souvent qu'avant par peur qu'un nouveau conflit ne se déclare. Cette période dura deux semaines pendant lesquelles je mangeais la femme que j'avais aimé, que j'avais désiré. Je n’eus que ses membres. Il en avait mangé le reste, du moins ce fut sa version.
Aujourd'hui je l'ai suivi pendant plus de trois heures à travers le désert. Je suis arrivé à une caverne taillée à même le flanc d'une falaise. A l’intérieur, les cris de Tooniae, des cris horribles de douleur. Je me suis avancé, timidement, entre les rocks saillants. Je suis arrivé dans une grande salle presque vide, le sol était recouvert d'herbes sèches et une couche constituée d'herbes fraîches se trouvait contre un mur. Dans un coin, soutenue par un tréteau en bois, Tooniae, du moins ce qu'il en restait. Ce monstre lui avait tranché les jambes, les bras et quelques morceaux de son généreux ventre, qu'il m'avait donné. Il avait réussi, par je ne sais quel procédé, à la maintenir en vie tout en se nourrissant lui-même. Quand j'arrivais dans la salle, Manik lui faisait l'amour, debout, dos à moi. Il y mettait toute sa concentration, toute son énergie. Lui briser la nuque fut une délivrance. L'enterrer sans même le manger fut une libération.
Les dents de Manik ornent maintenant ma poitrine. Depuis cet après midi, j'ai réussi à parcourir plusieurs kilomètres avec le tronc de Tooniae hurlant sur mon dos. Son état est critique, il me faut de la nourriture...