La peur au ventre

Le 05/05/2004
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par Nagash
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Thèmes / Obscur / Nouvelles noires
Putain j’ai l’impression de lire un remake de certains de mes textes. Malgré un début laborieux, Nagash lance un suspense intéressant, l'intrigue devient purement organique, laissant de coté toute considération annexe. C'est la viande elle-même qui est le véritable héros du texte et ça j'aime, bordel de merde. Y a des bons moments et des moments chiants, c'est assez confus au niveau du style, mais globalement ça tient largement la route et on prend sa dose de plaisir ça et là au cours du texte.
Bercée par la chaleur humide qui régnait en son antre, la créature se recroquevilla encore davantage sur elle même .La conscience endormie par la langueur des eaux troubles caressant son être, elle se retranchait toujours plus profondément sans son immobile sérénité ,dans ce bonheur cataleptique sans manques ni attentes. Un bien être contenu tout entier dans cet élixir qui, sans interruption , se déversait en ses artères par un câble aux sources mystérieuses. Dorlotée par le plaisir immédiat d'un sommeil en dehors du temps, elle était loin de se douter du tumulte qui naissait à quelques mètres de là..
Le silence rougeoyant fut interrompu par des bruits sourds qui vinrent percuter les parois rassurantes de son abri, ils se faisaient de plus en plus insistants, de plus en plus proches ..de plus en plus menaçants.
Des voix étouffées se multiplièrent ,semblant venir de nulle part et de partout, elles inondèrent son système auditif pour l’extirper de sa somnolence extatique ,traversant les multiples couches qui jusqu'ici l'avaient protégée de l’autre monde.
Les bruits se rapprochaient ,les parois de sa demeure semblaient se resserrer .Pour la première fois la créature se sentit prise au piège ,elle éprouva ce sentiment qui plus tard deviendra sa compagne quotidienne .Le doute et l’angoisse se répandaient en elle .Pour la première fois elle avait peur..

Sablier moderne d’une époque où les sages ont troqué leur calumet contre une blouse blanche et des diplômes encadrés. Une clepsydre froide et machinale, dépouillée du sens sacré qui aurait pu l’habiller en d’autres temps. Rien de plus qu’un écoulement de liquide annonçant à qui le veut l’échéance de la fin.
Voilà ce à quoi pensait le vieillard tandis qu’il observait son goutte à goutte se vider peu à peu. Il se demanda s’il tiendrait jusqu’à la prochaine dose de morphine. Encrassé jusqu’à la moelle par cette foutue tumeur, il savait qu’il n’en avait plus pour longtemps.
Il était en train de payer les excès qui avaient ponctué sa vie, ironie du sort ces mêmes excès qui étaient en train de le tuer l’avaient aidé à supporter son existence ,pas à l’aimer, mais juste à rendre son absurdité moins pesante.
Il n’avait même plus la force de lever la tête, c’était d’ailleurs pas plus mal ,il se passerait très bien de la vision de son misérable corps .Le tableau de son passé qui, interminablement , défilait devant ses yeux était déjà un spectacle suffisamment lourd, et ses rares souvenirs lumineux ne faisaient que le replonger encore davantage dans les ténèbres.
A ceci s'ajoutait l’humiliation d’être revenu au stade de nourrisson, totalement dépendant de Mère Science: plus de pudeur, plus de volonté, des tuyaux semblant être prolongement de son corps, des apports nutritifs rentrant par les cathéters, de l’urine sortant par la sonde.. voilà ce qu’il était devenu, un amas de chair attendant que ses fonctions vitales cessent de fonctionner, un vulgaire ensemble d’atomes à destination du néant.
Mais peut être que ça il l’avait toujours plus ou moins été. Sa vie durant, telle une machine de souffle et de sang, il s’était consacré à un travail mortellement ennuyeux pour survivre, ceci afin de continuer à travailler. Tout ça pour se retrouver là, dans ce lit à cracher ses poumons. Mais au final à quoi rimait toute cette mascarade ?
Et maintenant la machine était sur le point d’afficher « game over »..

« BAM !BAM !BAM ! »Des coups sourds se mirent à résonner ,faisant vibrer les parois de sa demeure en un tempo toujours plus rapide et oppressant. D’où venait ce bruit ?Son origine semblait être très proche. Sur ce battement vint se greffer un autre battement, plus léger, plus rapide. Le peu de sérénité qui restait à la créature s’envola lorsqu’elle s’aperçut que ce second rythme venait non pas d’un ailleurs ou d’un éventuel prédateur extérieur mais d’elle même, des profondeurs de son propre corps. L’affolement s’empara de la créature, la poussant à se débattre, emmêlant du même coup autour d’elle le fil, alors devenu chaîne, qui lui fournissait la vie. Les éclats de voix se faisaient toujours plus incisifs, taillant son visage en un masque de terreur. Les murs de sa cavité se resserraient contre elle, comme pour l’étouffer. Se déformaient elles sous le chahute ment de quelques créatures malfaisantes souhaitant la faire sortir de son trou pour en faire leur festin ?.. En rires moqueurs des bruits métalliques tintaient tout près des murs de son abri. Tout se figea lorsque retentit un cri suraigu semblant plus proche que les autres sons, si proche qu’il était impossible pour la créature de définir si il venait bien de l’extérieur.. ou de l’intérieur de son domaine.. le prédateur était il déjà dans ses murs ?? Ce qui jusqu’ici l’avait protégé était devenu son ennemi, il lui fallait à tout prix échapper à cette étau qui se refermait sur elle.. mais en y échappant, dehors ne rencontrerait elle pas pire ennemi ?

Planté sur son lit de mort le vieillard avait de plus en plus de mal à respirer, ses inspirations se faisaient plus courtes et saccadées comme si une force invisible appuyait sur son ventre ,le poids du destin lui semblait lourd .. son euphorie morphinique était par moment entrecoupée d’éclats de lucidité, de douloureux retour à la souffrance de son corps et à l’effroi de la mort. Par moment il ne ressentait plus rien comme si il était spectateur de cette agonie, et l’instant d’après il se retrouvait propulsé au sein même de son cauchemar. Son corps lui semblait plus que jamais être une prison, une geôle dont les parois se resserraient toujours davantage sur lui. Il y avait une issue bien sûr, mais ne débouchait elle pas sur le vide ?
Heureusement que la drogue coulait dans ses veines, était elle là pour lui faire oublier la douleur ou pour qu’il ne voit pas la Faucheuse approcher ?
Il aurait donné n’importe quoi pour une bouffée d’oxygène ,il se mit à envier tous ces gens qui avait ce trésor dans leurs poumons sans bien même se rendre compte de sa rareté.. Il aurait aimé remonter le temps, revenir à la fleur de l’âge.. mais la clepsydre ne coulait que dans un sens. La tristesse qu’il vit dans le regard de sa femme le brûla encore plus que ses poumons. Il n’avait plus qu’à regarder ce qu’il y avait face à lui. Que ce soit néant, démon ou ange, peu lui importait maintenant ,il fallait qu’il s’échappe de cette douleur ,c’était une question de survie.. de survie ? « Mourir pour survivre ?Oh délicate morphine tes charmes me font perdre la tête ».

La créature s’était débattue, mais l’amplitude de ses mouvements était maintenant devenu quasiment nulle, les parois de ce qui fut son abri étaient collées à elle.. et continuaient encore à se resserrer. Elle ne pouvait pas rester dans ce paradis devenu enfer, il semblait y avoir une anfractuosité au dessus d’elle, comme une petite ouverture. Poussée par la force archaïque de l’instinct elle se plaça pour mieux y glisser.. pour elle le monde était son antre, et son monde était en train de s’écrouler. Elle n’avait plus rien à perdre, et n’avait pas le choix, car de toute façon la force de compression des murs la poussait vers cette sortie.
Sa tête fut la première partie de son corps à s’aventurer dans cette espace inconnu, la pression qui s’exerçait sur sa boite crânienne lui semblait infernale, elle voulut reculer mais il était trop tard, elle était condamnée à passer dans ce rouleau compresseur. Son environnement commençait à lui paraître plus net, elle était en train de s’enfoncer dans une sorte de tunnel obscur. Son visage se déformât en un hurlement silencieux lorsqu’elle vit ce qu’il y avait au bout…

Le vieillard avait maintenant l’impression d’être en apnée, il ne parvenait plus à respirer, la douleur le transperçait de toute part, il voulait que ça cesse, il voulait en finir, si il en avait encore eu la force il aurait supplié les infirmières de l’achever, il se serait débattu comme un damné face à un ennemi intangible. Les murs de sa chambre ne lui avait jamais paru aussi froids, chaque vision était un cauchemar glacial avec en fond sonore la douleur et la peur.. cette peur dont l’épicentre semblait être son estomac et qui résonnait tel un chant macabre jusqu’à la surface de sa peau. Il aurait voulu cracher le peu de vie qui stagnait dans ses entrailles et qui était devenu son enfer, se débarrasser de ce vêtement ridicule de disfonctionnement qu’était sa chair malade. Comme pour répondre à ses requêtes sa douleur cessa, l’infirmière l’avait elle réapprovisionné en népenthès artificiel? Pourtant il ne l’avait pas vue passer.. Son regard s’immobilisa sur une tâche au plafond ,un petit défaut qui lui parût d’un coup d’une beauté rare, aussi rare et belle que l’éphémérité d’une vie, erreur dans l’immensité intemporelle de l’univers. Sa souffrance passée se noya dans une sérénité sans égal. Dans ses artères meurtries les vagues acides du Styx laissaient peu à peu place aux flots doucereux et amnésiques du Léthé.. il se sentait vraiment bien.. il était heureux…La tâche au plafond sembla croître, il avait l’impression d’être à quelques centimètres d’elle. Il voyait ses moindres imperfections, ses moindres reliefs, elle ne semblait plus être une épaisseur sur le blanc du plafond mais au contraire une brèche laissant entrevoir une infime partie d’un infini aux promesses mystérieuses.

Une lueur blanche se présentait au dessus de la créature terrifiée. D’abord timide elle gagnait sans cesse en intensité et en grandeur, cette luminosité violait ses globes oculaires , les cris aigus qui semblaient en provenir lui cisaillaient les tympans. Le froid de cette lumière lui poignardait le corps tandis que les parois du tunnel l’oppressaient toujours plus. Quelles monstruosités se cachaient dans cette lumière ?
Soudain la lumière disparut la replongeant ainsi dans l’obscurité, bloquée par quelque chose qui s’était présenté au bout du tunnel et qui, après quelques secondes d’inertie, s’était mis à ramper vers la créature apeurée, au sein même du couloir. Avec la luminosité s’éteignirent les bruits, seuls les frottements lents d’une reptation demeuraient dans le couloir étroit. Dans le noir la créature s’immobilisa dans l’espoir d’échapper à la chose..

La tâche sombre au plafond continuait de s’étendre, déployant des tentacules sur les murs vers sa proie telle une pieuvre affamée. Le vieillard était face à ce qui avait été l’obsession de sa vie , sa plus grande peur, sa plus grande ennemie.. et pourtant il n’avait jamais été aussi bien, cette auréole versait son lait noir dans la pupille du mourrant ,caressant sa rétine, s’invitant dans la chambre postérieur de l’œil , pénétrant sa macula pour traverser le nerf optique jusqu’à son cerveau et sa conscience. Le noir de l’Intrus se répandaient sur le sol, tout autour de son lit.. puis entama l’escalade pour absorber la blancheur des draps. Tant de noir, encore plus que dans la vie, l’Outre Tombe serait elle drapée d’obscurité ?..

Apres quelques secondes les bruits de l’intrus s’étaient estompés … l’espoir d‘échapper à la fatalité eut à peine le temps d’effleurer l’esprit de la créature que des pinces géantes la saisit de chaque côté de sa tête, exerçant une pression infernale sur sa boite crânienne.. l’étouffant, l’immobilisant pour en avoir une totale possession afin de la tirer vers une destination inconnue, de la guider vers un enfer glacial. Quelle était donc cette nouvelle sensation qui résonnait dans sa chair et ses os?..C’était la douleur, carton d’invitation pour l’autre monde..
La créature sentit un froid habillé de sons stridents courir le long de son visage Son corps, peu à peu, sortit de sa cavité, entouré d’une lumière à l’éclat insondable et à l’aura glaciale. Résignée ,elle ferma les yeux, en attente du terminus …

Le noir était maintenant sur le pauvre hère, englobant avec une implacable efficacité ses cinq sens. La lumière du soleil laissait donc place à l’obscurité de la nuit ?Tandis qu’il sentait l’essence de l’univers envahir ses entrailles un point blanc apparut au milieu du plafond noir. Ce point exerçait une force d’attraction sur lui, l’attirant dans un tunnel aux murs impalpables. Il se sentait aspiré par cette fêlure, pourtant son corps restait cloué au lit, mais une partie de lui semblait s’évaporer, se diluer dans quelque chose d’immense.

Les mandibules du Prédateur inconnu continuaient de tirer la pauvre créature vers cette brèche. Une brèche qui, pour la créature n'était autre que la gueule béante d’un monstre affamé et jaloux de son bonheur passé. Face à ce qui serait probablement sa fin elle se découvrit une nouvelle aptitude :la mémoire. Elle se souvint de ses sensations perdues, de son euphorie continue avant que l’Intrus de lumière ne vienne la prendre. Sensations quelle recherchera encore ,encore et toujours..

Une vision se présenta au vieillard :un corps rachitique immobile sur un lit. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre que ce corps n’était autre que le sien, il fut frappé de stupeur de voir comme son corps était disloqué, et pourtant il se sentait léger. Tout cela lui paraissait si.. dérisoire.

L’être était maintenant tout entier dans la gueule blanche du monstre.. autour de lui un froid métallique.. des cris (d’autres prédateurs ?).. des bruits d’outils barbares.. des êtres sans visages.. des pinces qui sectionnent le câble bienveillant, dernier vestige de son ancien monde..

Virevoltant dans une apothéose hallucinatoire , le vieillard vit briller une mélodie aux saveurs cristallines, entendit sonner une fantasmagorie de couleurs dansantes et vit se mêler sans limite le haut et le bas. Aspiré par ce gouffre blanc à la chaleur protectrice, dorénavant plus rien ne comptait si ce n’est le retour à un bonheur oublié, à l’Essentiel.. et doucement son cordon intangible céda sous la main du Destin..

Dans une pièce ,des pleurs de joie autour d’un nouveau moi.. quelque étages plus haut, des sanglots et des larmes de désespoir s’écrasant sur un toi inerte…entre les deux des couloirs fourmillant de morts en sursis et de vivants condamnés, errant , tournant , se perdant, dans les dédales de leur existence pour échapper au Prédateur et retrouver son siamois le Créateur.. en quête de l’originel et de l’oubli.. pour ne plus entendre le terrible tic tac qui résonne dans leurs entrailles, irrémédiablement …