L'oeuvre de Satan

Le 19/05/2004
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par Salinger
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Thèmes / Obscur / Fantastique
Ca commence par un bon vieux chagrin d'amour, version morbide et sombre bien sûr... On s’apprête à se faire grave chier, mais surprise, le texte s'attaque en cours de route à quelque chose de nettement plus costaud, plus noir et plus sale. Ca monte bien en puissance et faut avouer que du coup ça perturbe un peu, ça c’est le meilleur compliment que j’ais en stock. Je suis pas sur que ce soit du goût de tout le monde mais moi ça m’a plu.
J’erre depuis des heures dans la rue à la recherche de rien. Je marche sans but. Je suis vidée. Je marche pas en fait, je traîne mon supplice. Il est parti. Mes lèvres et mes yeux me brûlent. Je sens mon coeur se briser en éclats
Il tombe des cordes depuis ce matin. Mes cheveux noirs collent à mes joues en feu. J’ai chaud mais mon corps est raidi de froid. Mon rimel fout le camp. Le rouge de mes lèvres laisse une trace sanglante sur ce qui me reste de visage. Je sanglote, mon nez coule, je l’essuie d’un revers de manche. Les autres me regardent. Je dois ressembler à une junkie à la dérive sans sa dose. Je m’en fous. Il est parti et j'ai mal, c’est tout ce qui compte. Des larmes acides jaillissent de mes yeux. Je n’y vois plus rien mais j’avance dans la cohue.

Il a tout foutu en l’air. Il m’avait promis le bonheur, une vie de rêve. Je vais devenir quoi maintenant? Je vis cet amour vrai et extraordinaire depuis si longtemps que j’en ai oublié la solitude qui me tuait. Mais aujourd’hui, comment vivre sans lui ? Il est mon moteur et ma joie de vivre. Lui parti, c’est les ténèbres qui s’installent en moi. Je sais que je vais sombrer de nouveau du côté sombre d’où il m’a sorti. Je ne suis pas forte.

J’aperçois un homme et une femme qui se volent un baiser odieusement romantique. Je donnerais tellement pour que ce mal de vivre passe, et être à la place de cette jolie brune souriante. Cet homme, ce serait lui, identique à notre premier rendez-vous. J’ai mal d’y penser. Mes jambes vont se dérober si je continue à dégueuler mon insoutenable souffrance. Si il ne revient pas, je voudrais m’étendre et m’éteindre tellement j’étouffe. Je ne sais même pas pourquoi il m’a quittée. Juste quelques mots griffonnés que le refrigérateur m’a balancé en pleine face.

C’est d’un banal. Quand je l’ai lu, j’ai laché ma tasse de thé qui m'a brulée les mains. Je n’ai ressenti aucune douleur immédiate, juste un grand vide dans mon corps, comme si le sang n’affluait plus. Je n’avais plus de souffle. On aurait coupé l’oxygène ? Je me suis effondrée dans un hurlement. Quand je suis revenue à moi, je saignais du nez et mes mains tremblaient. Mais toujours rien en comparaison de ce manque qui me rongeait déjà. J’ai tourné en rond toute la journée. J’ai regardé les photos, j'ai réécouté nos musiques. Tout ce qui faisait notre amour a un goût amer au fond de ma gorge. Son odeur est là, tenace, sensuelle si présente encore. J'ai voulu sauter, mais rien à faire, je suis trop lâche, alors je suis sortie courrir après un semblant de vie.

Il est temps que je rentre. Je suis bousculée de partout. Mon immobilité dérange les passants. Ils sont pressés. Mon petit chagrin d’amour n’intéresse personne. C’est tellement sordide. Je me dirige vers le métro. Les mêmes impatients qui se précipitent sur les sièges libres. Moi, personne ne m’attend dorénavant. Un gamin me sourit. Il n’y a ni pitié dans son regard, ni sensibilité. Il sourit simplement. Il est mignon ce gosse. Le nôtre aurait pu lui ressembler. Si je ne l’avais pas écouté, j’aurais un petit être à serrer sur mon coeur.

Il a peut-être appelé. Il s’est sûrement rendu compte de son erreur. Pauvre conne. C’était clair. C’est fini. Je tombe à genoux à la porte de l’immeuble. Mes ongles s’incrustent dans ma chair et je lève mes yeux au ciel en cherchant les raisons de mon malheur.

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Elle regarde le ciel gris. Elle doit souffrir. Je ne voulais pas en arriver là. J’ai été lâche. J’ai fui. Mais comment aurais-je pu lui expliquer la situation ? Comment lui dire que la maladie me dévore ? Elle n’en saura jamais rien et c’est sûrement mieux comme ça. Ce sera plus facile pour elle d’oublier. De toute façon, elle ne pourrait pas comprendre mon changement de comportement. Je vais mourir, je le sais, ils ne peuvent plus rien pour moi. Je vais crever comme un chien abandonné parce que j’ai cédé au plaisir défendu. Crever deux fois, ça va m’arriver. D’amour à cause de lui, de maladie à cause de lui.

J’ai troqué ma vie avec elle contre un plan baise avec lui. Mon idéal féminin est masculin. Il a fait de moi une bête, une bête malade qui cherche un dernier refuge pour vomir ses entrailles. J’ai été sa chose. J’ai aimé ca. J’ai sombré sans même m’apercevoir du temps qui passait. Depuis deux ans, nous nous livrions à l'excès de sexe et de vice. J’ai apprécié être sacrifié sur l’autel du plaisir et du désir. Il aurait pu me demander n’importe quoi, je l’aurais fait, même dans la souffrance. Il m’a souvent offert aux autres. Je savais que je le rendais heureux en acceptant. Et pour moi, c’était ça le vrai bonheur, le rendre heureux.

J’ai tout renié, même elle. Pourtant, je l’aime, je l’ai aimée tel un fou, mais j’ai été trop loin déjà. Elle ne pourrait plus me pardonner. Et me voilà à observer de loin cette femme. Je vois son chagrin et il est immense. Je crois que finalement elle ne s’en remettra pas. J’ai mal pour moi. Ses sanglots me laissent indifférents. Pourtant, elle a tout sacrifié, même cet enfant qu’elle voulait tant. Mais j’aurais pu les tuer tous les deux, la maladie ne choisit pas ses victimes. C’est mieux comme ça. C’est dingue. Je n’ai plus aucune sensibilité pour les autres depuis qu’il a disparu. Je pleure sur mon propre malheur. C’est égoïste mais je ne peux pas m’occuper des peines de chacun. Je suis horrible. Je ne pense qu’à lui qui est parti je ne sais où.

Il est si beau et si fort. Il m’a fait sombrer dans ce monde de la nuit où seul compte le plaisir, l’argent et la perversité. Il m’a envoûté. Mon coeur et mon âme ont été noircis par lui. Je ne me suis jamais dis que j’étais à la limite de l’humiliation et de la dépravation. Je suis trop amoureux de cet homme si distant. Il me montre rarement son amour, voir jamais. Je me nourris des quelques signes d’affection qu’il me temoigne. Je prends ça comme une récompense parce que j’ai bien travaillé. Je sens qu’il ne reviendra pas.

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Une coupe de champagne à la main, sur sa terrasse virtuelle, le diable savoure cette dissolution de la vie. Il savoure cette désunion qu’il a fabriquée de toute pièce et ce depuis des siècles.

Il jubile d’avoir détruit cette larve de fille qui croyait aveuglement à l’amour. Il l'a fait souffrir afin qu’elle comprenne qu’elle s’est foutu le doigt dans l’oeil. Demain, il abrégera son agonie, si elle est sage. Elle pleurera toutes les larmes de son corps, puis elle s’ouvrira doucement les veines et s’étouffera progressivement. Elle périra dans son deux pièces minable qui projettera à jamais le film de leur amour.

Une légère érection l’anime quand il pense à la fin de l’homme. Lui, il va mourir plus doucement, histoire de le punir d’avoir trahi. Ca le bouffe de l’intérieur et d’apprendre sa fin, à elle, ca accélérera sa perte. Et un matin, alors qu’il s’astiquera avec frénésie en pensant à son hidalgo aimé, il perlera de l’objet du délit son sperme ensanglanté et acide qui le fera hurler de plaisir et de douleur.

Beau tableau. Il est fier de lui. C’est du travail propre. Son oeuvre s’achève une nouvelle fois. Le mal a sévi et il en est le maître. Mais il est déjà temps de passer à autre chose. Il doit partir en quête d’autres proies naïves qu’il pourra torturer à souhait avant de les achever. Tchin......