Guerre froide

Le 03/07/2004
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par Salinger
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Thèmes / Obscur / Nouvelles noires
La peur du grand URSS nourrit ce texte dont le héros est un éxecuteur soviétique tout ce qu'il y a de plus froid et sanguinaire. Salinger en profite pour faire une visite guidée du pays, au point que l'intrigue ressemble vaguement à un vieux prétexte pour cette excursion touristique. A première vue tout ça fait très stéréotypé, c'est bien écrit mais un peu chiant car trop classique. Heureusement sur la fin ça commence un peu à rouler sur la jante, ça aide.
Je m’appelle Igor Ivanovitch DOBROVITCHENKO. Je suis né à Odessa, en Ukraine, en 1905. Je n’ai ni femme, ni enfants. J’ai travaillé durant trente années au service du K.G.B. J’ai terminé ma carrière en qualité de directeur de la sécurité du territoire.
Aujourd’hui, je vis dans un minuscule appartement rue Kalinina, à Moscou, où j’affronte nuit et jour mon passé depuis cet hiver 1960....

Nous étions en pleine guerre froide. Les blocs s’affrontaient. J’avais été promu directeur sept ans auparavant par le nouveau premier secrétaire du parti à la mort de Staline.
A ma nomination, je m’étais résigné à arrêter mes activités. Mais très vite, je ressentis un manque. Exécuter froidement les noms sur mes listes, avait rythmé ma vie pendant de si nombreuses années, que je n’arrivais pas à vivre correctement sans l’odeur de l’hémoglobine et la trouille de mes victimes. Il m’avait donc été accordé le privilège, par le grand chef du K.G.B., de faire appel à mes services dès qu’il y avait du gros gibier à abattre. Pendant mes expéditions nocturnes, je devenais un parfait anonyme, je pouvais ainsi assouvir ma passion en toute tranquillité.
Je n’avais peur de rien, ni de personne. J’étais froid et sans aucun sentiment pour mes victimes. J’étais un des seuls agents à accepter les missions à risque. Je préparais minutieusement les exécutions qui m’étaient confié. Je ne me contentais pas seulement de suivre et d’observer ma victime, j’avais la faculté de lire dans ses pensées. Ce don me permettait de m’imbiber de la personnalité de mon client et d’anticiper sur la méthode à suivre. Au moment de la tuer, je ressentais sa douleur et sa terreur et ça, c’est ce qui m’excitait et me comblait.
Je finissais de taper mon rapport sur le dernier cadavre que je venais d’abandonner dans un hôtel, avec un verre de vodka retourné sur le front, quand ma secrétaire frappa à la porte. Une très jolie caucasienne qui n’avait pas compris qu’elle ne m’intéresserait jamais. Elle me remit une enveloppe. Je reconnus tout de suite l’écriture de ma mère que je n’avais pas vue depuis six mois. Elle me priait de la rejoindre à Odessa, où elle logeait dans une vieille datcha, laisser à l’abandon par son propriétaire lors des purges Staliniennes. Je n’oublierais jamais les trois derniers mots : « urgent. Ta mère, si tu en as encore une. ».

Quand on connaît la Russie, on sait combien il est difficile de traverser un bout du pays en peu de temps, surtout en plein hiver.
Je décidais donc de prévenir les camarades de mon absence pendant au moins quinze jours. Je n’avais aucune autre personne à prévenir. C’était l’avantage de ne posséder ni femme, ni chien. Je répondrais à l’appel de ma mère le plus rapidement possible le temps de mettre de l’ordre dans mes petites affaires.
Je suis sorti du grand bâtiment et me suis dirigé vers la place rouge à la recherche d’un taxi ou d’un bus, au milieu des passants engoncés dans des vêtements chauds. J’ai toujours refusé d’avoir une voiture avec chauffeur. Je ne voulais pas dépendre de quelqu’un. J’aime être seul. Il faisait très froid et la neige n’avait cessé de tomber toute la journée. Elle recouvrait tous les immeubles et les rues d’un duvet blanc qui m’avait toujours écœuré, même enfant. J’ai finalement décidé de rentrer à pied.
Quand je suis arrivé à mon appartement, j’ai rangé mes armes dans leurs étuis, j’ai verrouillé mes fenêtres et tiré les rideaux. J’ai sorti ma valise. J’ai étalé sur mon lit mes deux costumes noirs, le gris si ma mère m’oblige à assister à la messe et un petit pistolet d’appoint en cas de nécessité. J’ai enveloppé le pain dans un linge avec de la vodka et une boite de sprats. J’ai arrosé mon cactus et mis la radio en marche. J’ai bouclé ma valise et je suis parti pour la gare. Je n’aurais jamais entrepris ce voyage si j’en avais connu l’issue.
Après plusieurs heures d’attente, un train fut annoncé pour Odessa. Je regardais les gens s’activer sur le quai. Les enfants hurlaient de tous les côtés, les femmes avec leurs baluchons et les hommes qui portaient les panières de légumes. Je hais les enfants. Je regardais défilé le paysage. Juste une immensité blanche qui me donnait le cafard. Des arbres à perte de vue qui s’alignaient aussi bien que mon amour étroit pour ce pays qui ne laissait de place à rien d’autre dans ma vie.

Un long voyage d’une journée et demie. Voilà ce qu’était l’union soviétique en ce temps-là. On sait qu’en on part, jamais quand on arrive, si on arrive...
Ma mère m’attendait enroulée dans une multitude de châles. Elle était seule, les mains croisées sur son tablier maculé. Son visage pâle et buriné me rappelait combien d’années elle avait passé à travailler la terre. Quelques boucles blanches sortaient de son foulard noir et orange qu’elle ne quittait jamais. Je lisais dans ses yeux son impatience. Elle semblait inquiète. Elle savait quel était mon rôle au K.G.B. mais elle avait toujours refusé d’y faire allusion. Elle ne connaissait donc rien à ma vie.
Elle me pria de la suivre. Elle était venue à pied, nous rentrerions donc à pied. J’ai remonté le col de mon manteau et enfoncé ma chapka sur ma tête. Pendant que nous marchions le long de la route, elle ne prononça pas un mot, marchant devant moi avec encore de la vigueur pour son âge. Je ne sais même pas l’âge de ma mère.
Pendant le voyage, je m’étais demandé ce qu’elle avait à me dire. Elle ne mit pas longtemps à m’expliquer ce qu‘elle attendait de moi. Elle voulait passer à l’ouest. Je reçu la nouvelle de plein fouet, tel un tatouage au fer rouge. Ma mère, ma propre mère qui voulait se comporter comme tous ses ingrats qui fuyaient et que j’abattais. Ma mère, probablement la seule personne que je supportais. J’étais mortifié.
Tout a basculé très vite. Je ne sais pas quel sentiment m’a animé à cet instant, mais mon bras n’a pas ployé. Je l’ai regardé droit dans les yeux, j’ai sorti l’arme et j’ai tiré en lui susurrant à l’oreille, «adieu maman». Je n’ai eu aucun remords. J’ai retourné un verre de vodka sur son front. Je suis reparti comme j’étais arrivé. J’ai laissé derrière moi un travail propre, comme à mon habitude. Personne ne m’a vu. Je suis rentré à Moscou très serein et presque soulagé. Elle voulait mon aide pour passer de l’autre côté, elle l’a eu.

Mais depuis ce jour, elle me hante sans cesse avec ses amis, tous ceux que j’ai éliminés, pendant toutes ces années et qui se sont ligués contre moi. Ils se sont installés chez moi et me rendent la vie impossible. Je ne dors plus, je ne vis plus. J’ai fini par démissionner et je me suis enfermé dans cet appartement. L’ombre de leurs corps en sang essaye de me tuer. J’entends leurs cris stridents qui résonnent dans mon crâne. Leurs lames me touchent de temps en temps. Je n’arrive plus à anticiper. Les drogues m’ont fait perdre toutes mes facultés. Je crois que je deviens fou. C’est l’hiver tous les jours. Je ne vois plus le soleil. Un jour, elles m’auront. Je ne regrette rien.