Jeu de dés 2

Le 23/07/2004
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par Arkanya
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Rubriques / Jeu de dés
Arka complique encore le mini-article 'jeu de dés' paru en mars, et qui était déjà très obscur au niveau de l'histoire, dans le style de certains mangas de SF qu'on ne comprend qu'après quatre ou cinq lectures. Faut avoir lu et compris le premier pour comprendre ce deuxième morceau.
Mon grand-père m’avait averti je crois, mais c’était il y a tellement longtemps, j’ai du mal à me rappeler exactement ses paroles. Il avait refusé à l’époque de renoncer à son corps, il a dit non à l’immortalité ; je crois qu’il savait, je crois qu’il avait prévu ce qui nous arrive aujourd’hui. Toute la question est de savoir si l’immortalité dans ces conditions est vraiment enviable après tout.
Ça fait déjà cinq jours que j’ai investi ce corps. C’est vrai qu’au début, je trouvais cette impression désagréable, c’est lourd, c’est encombrant, et tellement moins pratique pour communiquer, se déplacer, ce genre de choses. Et puis j’ai redécouvert des sensations que j’avais oubliées depuis longtemps, qui ont fait remonter des souvenirs de mes sept années de mortel, avant le Grand Transfert. La nourriture, le goût des aliments, ça j’avais oublié, mais c’est tellement agréable ! Et boire quand on a vraiment chaud et soif, sentir l’eau fraîche traverser l’œsophage, un vrai bonheur… La fatigue aussi, qui pique les yeux jusqu’à ce qu’on lui cède, et le soulagement de pouvoir enfin s’allonger pour sombrer. Au début, je n’osais pas dormir, j’avais peur de me laisser aller, peur de perdre le contrôle, et puis j’ai bien dû me résigner.
En cinq jours, j’ai accompli la moitié de ma mission. J’ai tué deux enfants, une petite fille blonde avec des couettes, et une adolescente en jupe écossaise. Toutes les deux savaient, elles connaissaient leur destin. La blondinette s’est débattue quand même pour la forme, mais elle n’a pas lutté longtemps. L’histoire est déjà jouée, on ne prend même pas la peine de discuter un peu, on a eu tellement de temps pour ça avant, ça ne sert plus à rien.
Mon troisième client vient d’apparaître au coin de la rue. Il sort d’une maison de pierres blanches et s’empresse de rentrer chez lui, regardant bien à droite et à gauche avant de traverser comme sa maman le lui a appris. Il s’arrête soudain au milieu du trottoir et a un léger soubresaut, un sursaut imperceptible mais que je commence à connaître. L’incarnation vient d’avoir lieu. Déjà il me cherche du regard, mais je préfère rester dissimulé et attendre qu’il passe devant moi. Je regarde ma montre, 19h26, ils sont toujours très ponctuels, le système est parfaitement rodé.
Bientôt je vais scier au pied toute une branche d’êtres humains, empêcher d’un seul geste une flopée de naissances, pour juste une qui compromet notre bel équilibre. Je vais en un seul coup de couteau mettre fin à des dizaines, peut-être des centaines de vies.
Et ce qui est étrange, c’est que ce jeu commence à me plaire…