Dérapage

Le 29/07/2004
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par Herpès
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Thèmes / Obscur / Nouvelles noires
Bon, pour Herpès, on commence à avoir l'impression de toujours lire la même chose. Sauf que c'est meilleur quand elle met un peu de second degré dans son écriture, ce qui est pas le cas ici. Le seul intérêt c'est une espèce d'invite à la réflexion sur l'art. Mais bon...
Elle m’est apparu au moment où je ne la cherchais plus. Marc avait décidé de me sortir un peu et de m’emmener à l’opéra Garnier. Assis confortablement dans mon fauteuil, entouré par la pénombre, je me laisse bercer par la musique et les mouvements des danseurs sur la scène.
Quant tout à coup, mon regard est attiré par une des danseuses, non pas l’Etoile du soir, mais une simple danseuse du corps de ballet. Elle est tout ce que je recherche depuis si longtemps. D’un beauté discutable, elle resplendit pourtant comme un joyau mal poli. Ne pouvant plus contenir mon excitation, je me trémousse sur mon siège comme un puceau devant sa future conquête. Marc à mes côtés m’interroge du regard , et je prétexte une envie pressante afin de me réfugier hors de la salle pour me calmer.

Une fois la représentation terminée, je congédie rapidement mon ami qui me laisse seul devant les marches. Pareil à un loup guettant sa proie, je me poste à l’entrée des artistes et attend la sortie de ma nouvelle muse. A son appariation, je sors ma panoplie de Dom Juan et l’invite à prendre un verre. Et là, je lui explique tout : mon métier, peintre, ma passion , la recherche de la jouissance. Après des années à chercher une femme qui serait représentative de celle-ci, je viens de la découvrir par hasard. Dans ma tête, une multitude de formes et de couleurs déferlent, basée sur son regard, cette silhouette, cette chevelure noire de geai. Séduite par mon discours, elle m’accompagne chez moi où nous baisons comme je n’ai jamais baisé. Je me laisse envahir par toutes ces sensations nouvelles, ces odeurs qui prennent forme peu à peu dans ma tête. Elle est l’Ultime, la quête finale de toute ma vie.

A peine ma muse endormie, nue sur les draps, les cheveux étalés sur l’oreiller, que je me relève, fébrile. Un rapide mélange de couleur, et voilà mon pinceau qui étale pointille, comble l’espace jusqu’alors laissé vide de ma toile. Je passe des heures à me regorger de cette inspiration nouvelle et inconnue pour moi, enchaînant les tableaux comme on enchaîne les cigarettes. Puis je m’affaisse, épuisé, sur le sofa défoncé. Une dernière pensée me traverse l’esprit. Il n’est pas possible de partager ce sentiment avec quelqu’un d’autre. A l’aide du cutter qui me sert à gratter mes toiles, je lui ouvre la gorge, assez lentement pour qu’elle ait le temps d’ouvrir les yeux et de crisper ses mains. Puis sa tête dodeline jusqu’à s’écrouler d’un mouvement mou sur le tas de coton immaculé. Je trempe alors mes mains dans la blessure béante et commence à patiner son corps nacré et exquis avec ce sang mousseux, écarlate et encore chaud. Puis, peu à peu, mes doigts dévient sur les draps, les murs, le parquet, ses vêtements encore en tapons par terre. Au bout d’une heure, satisfait et déboussolé, je me rhabille, remballe mes tableaux puis ferme la porte dans un dernier coup d’œil à ce qui restera la plus belle œuvre de ma vie.