Les anges mécaniques

Le 11/09/2004
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par Boiss
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Thèmes / Obscur / Litanie
Boiss nous décoche une putain d'incantation obsessionnelle en milieu hospitalier, tordue et poétique comme une chanson de Thiéfaine. On se laisse porter par la musique rageuse des mots, fasciné, sans ennui devant un texte pourtant sans intrigue. Quelques faux pas à regretter, des changements de ton ou des petites pointes d'humour qui n'ont rien à faire ici, mais globalement, cette ode à l'agonie morphinique est magnifique et glaçante.
    Les anges mécaniques me traînent inlassablement dans leur fiacre métallique. Sortis des entrailles maternelles, voilà qu'ils y retournent, insufflant à mon corps ma vie artificielle. Les anges mécaniques, des pulsations vertes et des courbes rouges, des chiffres par centaines, et mon sang qui s'égoutte. Elles m'entraînent dans un sinus de douleur, orchestré dirait-on par notre orgueil.
    Vous cultivez vos légumes, je vous vois, vous et vos larmes et vos blouses et vos allées et vos venues. Mes anges sont là, soufflant, sifflant, comptant, bippant, brhtdzipant, je suis pendu à vos lèvres d'acier, à vos mains de verres, vous respirez plus que moi mes amours, vous respirez plus que moi. Parfois la vie s'engouffre en moi, parfois je voudrais sourire, mais je ne peux pas. Et je vous vois encore, je vous vois, je vous entends. Je vous vois baiser cette salope, ça vous excite, vous savez que je ne peux rien. Je vous mangerais les yeux, si je pouvais.
    Combien de minutes, d'heures, de bips, de litres de nourriture faudra-t-il encore pour que je crève ? Maman, maman, ne pleure pas, tue-moi par pitié, tue moi TUE MOI !!! Et toi CONNARD, TUE MOI AUSSI. Et toi et toi. Au lieu de passer dans ta blouse blanche, au lieu de faire semblant d'admirer le tableau à dix francs au dessus de ce qu'il reste de ma tête, TUE MOI.
    Si je ferme les yeux, je te vois, tu te jettes à moi, inlassablement, écumante, inlassable, comme mes anges, ton parfum, tes embruns, tu me rapelles ma vie, mes sensations, pour un court instant, mon coeur s'embale, pour une seconde.
    Les putains de machines s'emballent, je vous défie salopes, je pense le plus fort possible, je baise toutes ces salopes, je bute tous ces enculés, je plonge mes mains dans leur sang, je les torture, je leur pète les ongles un à un. Je jette un oeil rageur à mes pulsations cardiaques, j'aimerais contracter mes machoîres le plus fort possible avant de leur cracher ma haine, je n'ai jamais été aussi haut, ils arrivent tous un à un, changent mes poches, s'affairent, mais cette fois je pars. Bye bye bande de cons. Je voudrais avaler ma langue, ne plus pouvoir respirer, je voudrais creuser dans mon ventre avec mes ongles qui continuent à pousser.
    Tout blanc, la morphine, vas-y, balance, ça me fera toujours passer un moment. Ils y vont fort, ça tourne, j'ai envie de gerber, mais je ne vomirai pas. Je vomis pourtant le monde, la vie toute entière, Dieu n'existe pas bande de cons, Dieu n'existe pas, il n'y a que vous et la merde que vous voulez bien bouffer. J'ai aimé un jour, et j'aurais voulu vivre celui-là, pour toujours, je voudrais pleurer, mais je ne peux pas.
    Ils tournent autour de moi, adieu alors. Les anges mécaniques, vos psaumes électriques sont pour moi. Je m'en vais avec un seul regret, celui d'avoir vécu. Sans effleurer la vie.