Haine maternelle : un si joli sourire...

Le 22/09/2004
-
par Georges Glandu
-
Dossiers / Haine maternelle
Texte assez déjanté, qui ne rentre jamais dans le détail ni de la vie quotidienne ni des réflexions des personnages. Ca reste basiquement le résumé rapide d'une histoire qui dure depuis des années, c'est donc forcément assez lapidaire. Ca va trop vite, y a du bon et du naze, mais globalement ça tient debout et c'est marrant.
Une brise légère faisait onduler les boucles blondes d'Agathe.
En ce début d'automne, elle était la seule à ne pas avoir repris le chemin de l'école comme les petites filles de son âge.
La seule aussi à ne pas avoir d'amis, sans doute parce qu'aucun son n'était jamais sorti de sa bouche.
Enfin aucun son qui aurait pu ressembler à une parole intelligible.
Agathe ne pleurait jamais, criait rarement et riait parfois sans savoir pourquoi.
La plupart du temps elle se contentait de sourire béatement, même pendant son sommeil très souvent agité.
Pour beaucoup son sourire quasi perpétuel était le signe que l'état de santé de la petite muette était satisfaisant, hormis cet handicap qui ne semblait pas l'affecter le moins du monde.
Les médecins qui s'était occupés de son cas ne trouvaient aucune cause physique à son mutisme, pas plus que les psychiâtres qui la jugeaient étonnamment équilibrée pour une gamine qui n'avait jamais connue son père et dont la mère s'enlisait dans une solitude forcée.

Précisément sa mère était à ses côtés, la regardant dormir, toujours avec cet étrange sourire aux lèvres.
Assise à bonne distance du lit de la petite Agathe, elle revoyait les années passées et sa jeunesse s'envoler au fil des jours.
Elle repensait à cette nuit de folie où elle s'était donnée à cet auto-stoppeur beaucoup trop séduisant qu'elle avait eu l'audace d'allumer un
peu trop alors qu'elle était encore vierge. Huit ans après elle ne comprenait toujours pas ce qui l'avait poussée à agir de la sorte mais elle savait qu'elle n'oublierait jamais sa première fois.
L'intensité de cette rencontre fulgurante resterait gravée dans sa chair et dans son âme à jamais, elle le savait depuis toujours.
L'inconnu au regard de braise avait disparu à peine avait-elle repris ses esprits, comme volatisé.
Elle aurait pu croire à un rêve ou une hallucination si son ventre ne s'était alors arrondi très vite.
En perdant sa virginité elle avait gagné le gros lot et ce lot s'appellait Agathe.
C'était la faute à pas de chance.

A partir de là sa vie devint un enfer.
Pour ne pas imposer cette honte à ses parents ultra-catholiques dont elle était la fille unique, elle décida de tout faire pour se trouver un mari dans les plus brefs délais.
Comme elle était encore pas trop mal faite de sa personne la chose lui semblait à sa portée si l'on peut dire.
C'est ainsi qu'elle s'aperçut que tous les autres mâles étaient de bien piètres amants en comparaison avec celui qui l'avait engrossée.
Malgré de nombreuses tentatives et des pratiques toujours plus perverses, l'orgasme semblait avoir renoncé à habiter son corps !
Pire encore, tous ses charmes s'étiolaient, la rendant de moins en moins "attractive", même pour un prétendant peu regardant.

Quand elle dût se résigner à son triste sort, il était déjà trop tard pour envisager un avortement.
A cette idée elle éprouvait à chaque fois un malaise persistant qu'elle attribuait à un reste de l'éducation religieuse qu'elle avait reçue dans son plus jeune âge.
La malédiction s'acharna sur elle quand ses parents apprirent la vérité et qu'elle fût jetée à la rue sans ménagements d'aucune sorte.
Curieusement, ils rendirent leur âme à Dieu dans la semaine qui suivit la naissance de leur petite fille.

Les premières années de sa vie, Agathe fut élevée dans une indifférence totale mais jamais maltraitée.
Son sourire désarmant semblait la protéger contre toute mauvaise intention de sa mère qui se contentait alors de l'éviter autant qu'il est possible pour la mère d'un enfant en bas âge.
Agathe n'était alors pour sa mère qu'un fantôme souriant qu'il suffisait de nourrir et de laver de temps en temps pour sauver les apparences auprès des
rares voisins qui s'inquiètaient parfois du sort de l'enfant sans père.
La gamine se mit à marcher très tôt, comme pour échapper à sa mère de longues heures où elle pouvait se réfugier à l'écart d'un monde qui manifestement ne voulait pas d'elle.
Très précoce pour son âge elle savait se faire oublier des curieux, bien intentionnés ou non.
On eût dit qu'elle était capable de lire en eux comme dans un livre ouvert.

Pendant les années suivantes, Agathe sembla perfectionner ce don au point de devenir quasiment transparente aux yeux des étrangers qui croisaient son regard innocent.
Sa propre mère avait appris à éviter de la regarder dans les yeux tant le malaise était tenace lorsque ceux-ci plongeaient dans les siens. Pourtant nul reproche ne pouvait s'y lire, pas même la moindre question. Comme si elle avait déjà tout compris de la vie des adultes et de leurs turpitudes.

Ce soir-là, sa mère avait décidé d'en finir avec ce cauchemar.
Rien que la vue de ce petit visage si fin et rieur la mettait hors d'elle.
Il lui semblait être narguée par la beauté croissante d'Agathe alors que la sienne n'était déjà plus qu'un souvenir lointain voué à disparaître avant l'heure.
Toute une vie gâchée pour une nuit torride, pour une simple erreur de jeunesse, non ce n'était pas inéluctable.
Mais il fallait agir au plus vite, retrouver une liberté bien trop tôt sacrifiée pour enfin repartir à la recherche du bonheur.
Agathe ne l'empêcherait pas de connaître une vie normale, il fallait simplement qu'elle cesse d'exister.
Pas question de laisser sa part du bonheur à une fille qui deviendrait sans doute très belle mais resterait incapable de communiquer autrement que par son regard angélique.
Une femme muette ne peut pas être une vraie femme, c'est l'évidence.

Ce soir-là, Agathe avait perdu son sourire habituel et ce détail ne pouvait échapper à sa mère.
Le drôle de goût qu'avait sa soupe n'y était probablement pas pour rien.
Elle s'était pourtant forcé à finir son assiette jusqu'à la dernière goutte tout en scrutant le moindre geste de sa mère.
Très vite elle avait compris, très vite sa décision fut prise.

Agathe grimaça dès que les premières douleurs lui tordirent l'estomac.
Mais la douleur physique était bien peu de chose comparée au choc ressenti devant l'horreur d'une mère prête à sacrifier sa fille.
Les yeux clos, elle sentit les mains de sa mère autour de son cou fragile, ces mains qui s'apprêtaient à l'étouffer pour abréger ses souffrances.
Un filet de bave écumeuse s'échappait déjà de la commissure de ses lèvres
bleuies quand sa mère grimpa sur le lit pour mieux peser de tout son poids sur la gorge d'Agathe. L'heure de la libération avait sonnée, il fallait en finir et vite.
Les yeux de la gamine s'ouvrirent au moment précis où ceux de sa mère se fermaient pour ne pas voir l'horrible visage de la mort.
L'espace d'un court instant, leurs regards se croisèrent, révélant toute la haine accumulée de l'une et toute la volonté de survivre de l'autre.
Agathe sonda l'esprit tourmenté de sa mère et tandis que l'air commençait à lui manquer dangereusement, une crispation déforma son visage et ses yeux prirent soudain un éclat diabolique.

Les mains assassines relâchèrent leur emprise autour du cou de la petite fille, comme paralysées.
Agathe vit sa mère tenter d'ouvrir les yeux d'où coulaient des larmes de sang.
Du nez de sa mère suintait une sorte de gelée visqueuse qui pendouillait lamentablement jusque sur la couverture rose.
Quand sa mère s'écroula sur elle, Agathe qui reprenait péniblement sa respiration fut prise de nausée.
Repoussant le corps de sa mère morte sur le côté, elle lui vomit dessus un flot de bile empoisonnée.

Puis s'essuyant la bouche d'un revers de main, elle quitta sa chambre radieuse et le sourire aux lèvres.