Obténébration 1 : les ténèbres te réclament

Le 17/11/2004
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par Narak
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Rubriques / Obténébration
Texte atmosphérique et assez flou, tournant autour du thème des ténèbres. Globalement on comprend pas grand-chose, des scènes bizarres ou horrifiques surnagent de ci de là, pour le reste on se laisse bercer par le rythme (encore qu'il soit parfois un peu trop saccadé). On dirait une espèce de Bible du néant plus sobre, avec un fil directeur plus précis, ou un manga sombre sans vraie histoire.
Si la lumière en toi est ténèbres, que les ténèbres soient belles !    

Matthieu 6 : 23

La pluie tombe, dans la nuit. Peu importe le lieu.
Une autoroute comme tant d’autres.
L’asphalte crépitant sous la lumière jaune bilieuse des réverbères.
Une silhouette se détache sur le bas coté. Vêtue d’un jean boueux, d’un blouson de cuir noir, et un sac à dos peu rempli. Il court, loin de la ville, loin de tout.
Sa vision se trouble.
Occasionnellement, des phares apparaissent au détour du virage, ralentissant puis accélérant une fois à son niveau.
Il titube, comme ivre, puis il trébuche et s’écroule.

Un court instant de repos. Assis dans une flaque, le dos contre la rambarde de sécurité métallique.La douleur derrière les yeux s'enfonce comme une pince d'acier jusqu'au fond de ses orbites.Le souffle court, il regarde pendant quelques secondes les trop rares étoiles, tentant de décrisper sa nuque. Il fouille lentement son sac et en sort une bouteille de vodka au verre brun crasseux.
La première gorgée est une bénédiction. Ses lèvres s’enflamment au contact du liquide.
Puis une agréable chaleur descend le long de sa trachée, se diffusant dans tout son corps. La douleur s’estompe lentement dans ses muscles
Inspiration…Expiration…
Tout en plaquant ses bras trempés contre son ventre il tente de se rappeler…
Les voix ne résonnent plus. Il est sûrement assez loin.
Attends, bien sur que non, ça n’a pas pu arriver !
Tout ceci n’est pas réel !
Il tremble. De froid ? De peur ?
Arrête toi un instant, repose toi quelques minutes. Fait le vide en toi, tout ce qui s’est passé n’est qu’un rêve. C'est ça, un rêve. T'es trop fatigué.
C’est ça, relativise pauvre fou, si cela peut rendre l’agonie plus douce…Après tout, J’ai le temps.

Soudain, milles ongles tranchants crissent contre une ardoise titanesque. Le hurlement d’un million de génocides s’élève dans sa tête. L’écho recommence à le harceler, le retenant prisonnier de son propre esprit.
S’introduisant insidieusement le long de ses os, envahissant sa poitrine, remontant dans la gorge, les os de la mâchoire, puis le crâne. Ensuite, l’éclipse dans son regard. Les ombres alentours se rapprochent inexorablement vers son corps et son esprit. De fins tentacules de noirceur pure s’enroulent comme autant de couleuvres d’obsidienne. Son visage s’assombrit, les ombres pénètrent en lui, rampant entres ses dents, dans son nez et ses yeux. A la fois sombre métal liquide et fumées froides. Comme pour une première respiration natale, sa bouche s’ouvre. Le flot s’engage. Lentement.
Puis viennent les paroles qu’il ne maîtrise plus. Une voix, presque un coup de tonnerre, sort de son intérieur. Dans une langue inhumaine, des mots qu’aucune bouche ne peut former. Il comprend, malgré la cacophonie dans sa tête, malgré tous les hurlements

Ecoute…nous avons la proie !…le venin s’écoule…il te dévorera…entropie…Je sais tout…mordre…tuer…NonTu n’est pas fouCe serai trop simple…nos mains tendues dans le gouffre…cesse de lutter…Ne pense plus…et tout sera plus simple…je voie la pourriture…Pourquoi je t’ai choisi, là est la question…plonge dans les fondations de Babel…danse…danse cadavre…Tu te demande sûrement…peut tu sentir les ronces dans tes veines…c’est là que je me cache…Qui suis-je…là…ici…

L’homme réussit à s’échapper
Un instant, la lumière réapparaît, et le silence se fait.
Mais demeure la voix maîtresse.

Tu n’as pas le choix, tu les as entendues. Elles t’appellent. Les abysses attendront éternellement.
Ne lutte pas, ne te détourne pas…L’alternative n’est que mirage, vois-tu ? La vérité est masquée, comme toujours, dans les ombres. Je te propose autre chose…La puissance, et l’éternité d’une existence predatrice. Vient vers nous.
Accepte…

Il se débat une dernière fois, puis l’étreinte glacée se relâche.
Ses forces l’abandonnent, lentement aspirées par les ombres. Elles se rassemblent à quelques mètres, s’élevant face à la lune, comme la queue d’un scorpion prête à frapper, attendant le signal. L’homme a le regard dirigé vers l’est. Mais non, rien ne viendra te ramener à ton ancienne vie, il est trop tard, la révélation a eu lieu.
Il te reste la mort ou…autre chose.
Fait ton choix !
Les ombres vibrent d’impatience.
Fait ton choix !
Il lève de grands yeux remplis de larmes vers le ciel.
Fait ton choix !
Il acquiesce silencieusement.
Ses larmes n’ont pas le temps d’atteindre le sol détrempé. Une tornade muette éclate puis disparaît aussitôt. Il disparaît dans la noirceur, ses os et sa peau se craquelant pour laisser s’échapper ses ténèbres intérieures. Son corps se disloque violemment, chaque articulation brisée formant des angles impossibles. Comme de l’encre se diffusant dans un bassin d’eau, ses veines diffusent le noir venin. Son sang charrie d'enormes caillots de néant. Il hurle mais personne ne l’entend. Car sa gorge appartient désormais aux abysses. Enveloppé, emporté, disparu. Cependant, il entend une voix à son oreille.

« Je ne t’ai pas choisi par hasard, tu verra. »