My last day

Le 24/11/2004
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par Nounourz
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Thèmes / Obscur / Anticipation
C'est le dernier jour avant la fin du monde et le narrateur s'oppose à l'attitude de ceux qui profitent au mieux de leurs derniers instants... Ensuite ça part en vrille et ça se change en road-movie disjoncté et nihiliste, traité de manière toujours drôle. La sociopathie atteint ses limites dans ce texte très plaisant, qui ne se prend jamais au sérieux, alors que n'importe qui en aurait profité pour taper dans le grandiloquent mégalo.
Ceci est le dernier jour de ma vie. Je n'ai pas pu échapper au matraquage médiatique qui annonçe la fin du monde pour demain matin : l'énorme protubérance solaire qui se dirige vers notre planète entrera en collision avec celle-ci aux alentours de huit heures et demie.
Tout autour de moi, n'est que panique et agitation fébrile. Faire ce qu'on n'osa jamais faire, dire ce qu'on taisait depuis si longtemps. Partout où se pose mon regard, ça boit, ça baise, ca crie, ça pleure, c'est pathétique.

C'est la fin du monde, et ce monde s'agite comme jamais il ne le fit. On dirait un cadavre, agité par une multitude de vers. Je suis immobile, et je contemple ce spectacle ; je l'écris tout en sachant qu'il n'en restera rien. Il ne restera rien de vos agitations, de vos remords, de vos aveux de dernière heure, ni de votre hédonisme déséspéré. Alors, je ne fais rien, car tout cela est vain. Si j'aimais quelqu'un, je ne l'appellerais pas pour lui dire.

"Vis ta vie comme si c'était le dernier jour" : Et alors ?
Raison de plus pour en faire encore moins. Quoi que je fasse, tout aura disparu demain. Il n'en restera pas même une âme pour en témoigner, pour s'en souvenir. Il n'en restera rien. Nul besoin, en ce cas, de s'agiter. Je ne comprends toujours pas ces gens qui s'emploient à profiter de leurs derniers instants. L'instant n'est rien, sans le souvenir qui lui succède. Un mariage, une naissance, un cadeau, un payage de rêve, autant de moments aussi intenses qu'éphémères, qui ne sont rien sans une conscience pour l'enregistrer, une mémoire dans laquelle nous pouvons puiser à loisir et revivre ces instants précieux.

Mais aujourd'hui n'est pas un jour comme les autres ; aujourd'hui est le dernier jour de l'humanité. Ce que vous faisez, vivez, aussi beau et intense soit-il, est voué au néant : demain, vous ne serez plus là pour vous en souvenir ; demain tout aura été effacé d'un grand coup de gomme cosmique (comique, eut été tout aussi bien approprié). Nul besoin d'être optimiste ou pessimiste ; demain il y aura quelque chose de nouveau, mais nulle conscience pour l'appréhender.

Agitez-vous, grouillez-vous, faites vibrer cette Terre comme un cadavre infesté de vermine ; vous m'etes pathétiques, pitoyables, vous êtes la preuve que cette planète eut mieux fait de se passer de votre présence en son sein.

Je sors mon calibre, il m'attend en trépignant dans le tiroir de mon secrétaire. Mort aujourd'hui ou demain, quelle importance ? Me mettront-ils en prison pour autant ? Rien à perdre ; tous ces gens m'ennuient,tout ce bruit, tout ce bruit ! Et je n'aime pas qu'on m'ennuie, je déteste qu'on m'ennuie. Un sac à dos, des grenades, un fusil d'assaut, des munitions en quantité, gilet pare-balles.

Je n'ai jamais vu autant de monde au centre commercial. Bonjour, braves gens, Papa Noël vous a apporté une surprise dans sa hotte. C'est la fin du monde pour vous, un jour avant tous les autres. Vous passiez votre temps à être pressés, à la queue du supermarché, au feu rouge, dans le métro, je suis venu vous aider : grâce à moi, aujourd'hui, vous serez les premiers.

Bien évidemment, peu m'importe que vous me soyiez ou non reconnaissants. Je me remercie moi-ême de contribuer à la tranquillité à laquelle j'aspire, pour ces derniers instants. Mourez, braves gens ! Mais mourez en silence, si cela vous est possible. Tiens ! celle-ci crie moins fort, sitôt une balle logée dans sa gorge. En voila, une riche idée. Merci papa, merci maman, de m'avoir inscrit à ces cours de tir qui me rébarbaient tant. Un petit groupe semble se former dans un magasin de vêtements. Vont-ils me remercier ? Ils n'ont pas l'air hostiles. Une jeune fille s'avance, un drapeau blanc à la main. Elle ne parle pas assez fort, je lui fais signe d'approcher. Elle avance prudemment, ses "amis" dans la boutique l'encouragent, elle est à portée de voix.

-"Par pitié, laissez-vous en paix, nous voulons vivre cette dernière journée, laissez-nous cela, laissez-nous cela..."

Sa voix fluette m'est insupportable. Son teint geignant et pleurnichard, tout autant. Une balle dans la gorge, une autre dans la tête, fin de la conversation. Ses amis sont horrifiés, je les entends hurler, ça me fait mal aux oreilles. Je m'assieds, face au magasin, un pistolet-mitrailleur dans une main pour faire réfléchir à deux fois ceux qui se sentiraient l'âme d'un héros. Constat amusant : même le jour de la fin du monde, alors que je m'apprête a anéantir un magasin avec ses occupants, aucun héros même de pacotille ne vient tenter de s'interposer. Ces films américains, c'est décidément du n'importe-quoi.

Assis face à la boutique de prêt à porter, je fouille distraitement mon sac, tout en scrutant les alentours. Ma place est idéale, rien ni personne ne saurait échapper à mon champ de vision. Je sors une, puis deux grenades, souvenirs de mon service militaire. Elles sont cachées derrière mon sac, nul n'a rien vu pour le moment. Je regarde l'assemblée dans le magasin, leur fait signe de se rassembler. Ils hésitent, paralysés par la peur.

-"RASSEMBLEZ-VOUS BORDEL DE MERDE !!!"

Ils se bousculent pour former un tas compact d'hommes et de femmes termblants et suppliants - heureusement je n'entends pas leurs supplications fébriles, je crois que ça m'eut énervé plus encore. Je dégoupille les deux grenades a quelques secondes d'intervalle. Je les lance, à quelques secondes d'intervalles aussi. La première explose sur le flanc gauche du tas de corps trop abasourdi pour réagir, la deuxième explose à droite de ce tas, alors que celui-ci est encore projeté dans les airs. J'ignore s'il y a des survivants, et je m'en moque. Hormis le crépitement des flammes, le centre commercial est silencieux, je ferais mieux de partir avant que se déclenche l'alarme à incendie et son vacarme assourdissant. Je sais que la police ne viendra pas, les policiers aussi veulent profiter de leur dernier jour sur Terre.

De retour à mon appartement, le tumulte s'est éteint ; je suis assez content d'être à l'origine de ce calme reposant. La radio diffuse "Road to Hell" de Chris Rea, je vais me préparer un thé, et prendrai ensuite une bonne douche. Il est seize heures, la fin du monde est proche, demain il ne restera rien.