Rêve : au fond de mon âme

Le 27/11/2004
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par Taliesin
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Dossiers / Rêve
Le début c'est de l'onirique typique, étrange et opressant. Mais vouloir être purement réaliste, rester dans le cadre restreint du rêve ne peut qu'aboutir à un texte sans cohérence et donc sans intérêt... Aussi le texte cherche de moins en moins à désorienter et se cristallise autour d'une intrigue plus précise. A partir de là ça monte en puissance jusqu'à une fin terrible.
Je suis couché sur un lit dans une chambre qui n’est pas la mienne. Je suis pourtant dans la maison de mes parents, mais ce n’est pas MA chambre. Il y a deux autres lits à coté du mien, où dorment mes deux frères. Il me faut partager cette pièce avec eux. Je fixe un moment le plafond blanc fissuré, puis je ferme les yeux et je m’endors.
Je m’éveille alors que le soleil est déjà haut dans le ciel. Il fait beau. Je suis allongé dans un sac de couchage, sur l’herbe verte d’une place de village, près d’une église. Je connais bien ce village, c’est celui où j’ai passé mon enfance. Je me lève, j’ai dormi tout habillé. Un peu engourdi, je descends la rue principale, le nez sur mes chaussures, sans rien regarder. J’entends un bruit de pas sur la chaussée, en face de moi. Une vieille femme maigre et sèche, aux cheveux poivre et sel, vient à ma rencontre. Je lève la tête et la reconnais : c’est une amie de ma grand-mère. Je lui adresse un vague signe de la main, mais elle ne me voit pas. Si, elle m’aperçoit enfin et me fixe bizarrement d’un regard réprobateur, puis recule soudain, effrayée. Pourquoi ? Qu’ai-je donc fait ? Je la dépasse et m’éloigne d’elle rapidement, sans me retourner. Je sens sa présence dans mon dos comme une sanction, et j’accélère le pas pour m’en libérer avant de tourner à droite. De part et d’autre de la rue s’alignent de petites maisons blanches et grises aux volets fermés, comme abandonnées. Mais d’innombrables paires d’yeux m’épient, lourds de reproches et de haine à travers les volets clos, dardant ma nuque et mes épaules de minuscules coups d’épingles. Je baisse la tête et j’accélère encore, les poings serrés au fond de mes poches. Mes phalanges frottent contre un trousseau de clés et contre quelque chose d’autre, une sorte de tube cylindrique que je n’arrive pas à identifier. Je cours presque en prenant la route de gauche qui mène à la sortie du village, là où se trouve la maison de mes parents. Je ralentis l’allure et respire à pleins poumons. Tout est calme et désert. Je me sens mieux. J’arrive enfin devant la grille vert sombre qui grince à peine à mon passage. Je remonte en silence l’allée de gravillons jusqu’à la porte du garage. Elle est fermée. Qu’importe, puisque j’ai les clés. J’ouvre et j’entre.

Je pense trouver mon père travaillant sur son établi, comme à l’habitude, mais je ne le vois pas. Ah si, il est allongé sur le sol en ciment, le long de sa voiture. Doit cuver, le vieux. Je m’approche de lui sans bruit. Non, il est mort, les bras en croix, la bouche ouverte. On distingue encore le bas de son visage, le reste n’est plus qu’une bouillie d’os et de chairs. Je m’éloigne à reculons, affolé, pour monter à l’étage. Maman doit être dans sa cuisine, en train de préparer le repas, il est presque midi. Je m’élance dans le couloir et mon pied bute aussitôt sur un obstacle. C’est elle, c’est son cadavre qui gît sur le carrelage froid, un trou sanglant à l’abdomen, ses yeux bleus grands ouverts qui semblent me fixer et me réprimander par delà la mort. J’enjambe le corps presque sans le regarder, troublé par ce regard, et j’entre dans la première pièce à droite. C’est la chambre de mes frères. Ils sont là tous les deux, allongés l’un sur l’autre dans une mare de sang. Je ressors pour me précipiter vers la porte du fond. J’ouvre la porte en grand, le cœur battant à tout rompre.

Ça, c’est MA chambre, avec tous mes livres empilés pêle-mêle sur des étagères fatiguées. Ça c’est mon lit, et à coté du lit, c’est moi. Non, ce n’est pas moi, c’est un garçon d’une douzaine d’années, blond aux yeux bleus, qui me ressemble beaucoup. Ses joues sont rouges, son visage est baigné de larmes. Il est à genoux, le canon d’un fusil de chasse enfoncé dans la bouche. Ses deux bras tendus au maximum, il appuie de toute la force de ses pouces sur la détente de l’arme. Le coup va partir, il ferme les yeux. J’en fais de même, sans trop savoir pourquoi, le souffle coupé dans l’attente interminable de la déflagration. Rien ne se passe, rien d’autre qu’un cliquètement à peine audible. J’ouvre les yeux de nouveau, le garçon me regarde, implorant quelque chose, la main tendue vers moi. Instinctivement, je fouille dans mes poches. Je palpe enfin ce cylindre oblong, cette dernière cartouche qui dort au fond de ma poche depuis plus de trente ans, au fond de mon âme depuis si longtemps.