Clockwork chronik : l'affaire Tyler Durden (version longue)

Le 29/01/2005
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par Tyler D
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Thèmes / Polémique / Semaine 'textes de merde' 01
Ce texte est sensé prolonger le mythe du personnage du film Fight Club. Hélas, la Zone regorge de fans de ce film, et ils n'apprécieront guère cette pâle copie de Mr Durden, devenu une espèce de libérateur consensuel et mollasson, sans grande profondeur. Et qui montre quelques tendances hitlériennes, ce qui est un comble. Un texte long et lourd, pas franchement zonard, qui fait dans la récup crapuleuse et la profanation de sépulture. Bien tenté, mais mal joué.
Comme si vous n'en aviez pas déjà eu largement assez avec ma rubrique, je vous propose un bonus inédit qui développe le premier texte dont il est question dans le cinquième opus, et qui fut rédigé il y a quelques temps déjà. Bonne lecture.
Glacinar 4 mop 47.65 de l'Ere Nouvelle, Paris

L'AFFAIRE TYLER DURDEN


Avant qu'il ne disparaisse définitivement, Durden laissa derrière lui quelques carnets de notes. Il les écrivit sans doute peu avant de disparaître. Il dormait trois heures par nuit et commençait à sombrer dans la folie. Il vivait dans une zone industrielle abandonnée près de Seattle. Il s'agit là des paragraphes précédés par un A. Ceux précédés d'un B correspondent aux carnets de Phillip Thunda, qui prit par la suite une importance dans l'histoire de ce monde bien plus grande que celle de Durden. Il est fort probable que ce soit Thunda qui ait récupéré les carnets de Durden après sa disparition. En effet, c'est dans les ruines de la Bibliothèque centrale du Nouveau Monde que mon collègue a trouvé ces documents. A eux tous ils formaient un ensemble dans une des rares zones épargnées par les ravages.

A.1
    Le boss m'avait enfin laissé rentrer chez moi. Bob nous avait lâchés la semaine précédente. C'est pourquoi depuis j'abattais seul un travail qui aurait en temps normal nécessité l'activité trois personnes. Des clés, des boulons, des carburateurs, des pots d'échappements, des moteurs, l'huile dans les narines, partout sur le corps, le temps qui file, on est en retard, ils arrivent, quel heure est-il ? On avait un retard monstre sur le travail et je le récupérais pendant la nuit. Ce week-end-là avait été particulièrement dur. J'avais travaillé pendant plus de 36 heures d'affilée. Mais même si j'étais libre de rentrer chez moi je ne pourrais trouver le sommeil avant deux bonnes heures. Le temps que l'effet de la caféine, sous l'emprise de laquelle j'étais depuis plus de 24 heures, s'atténue. Je décidai donc de me promener dans des zones industrielles désaffectées depuis les années trente. Il n'y avait que des chats. Et toutes sortes d'animaux qui vivaient dans ce curieux écosystème. Les félins semblaient y régner en maître, comme des tyrannosaures de basse-cour. C'est là que je venais parfois, lorsque j'avais envie de m'isoler de mes contemporains. C'est au cœur de ce microcosme que ce soir-là je rencontrai des types qui étaient groupés en cercle autour de deux hommes qui se battaient à main nue sur l'asphalte. Ils m'accueillirent et bientôt je me retrouvai torse nu face à un inconnu avec pour but celui de lui cogner le plus fort possible sur la gueule. Cette idée me plaisait. Défouler toute la haine que je pouvais ressentir envers cette humanité qui m'imposait un tel traitement sur son représentant inconnu qui était là, en face de moi, et qui pensait la même chose que moi. Je gagnai haut la main et ainsi fus d'emblée accueilli avec respect. Et à partir de ce jour, je participai à leurs réunions chaque soir, après le travail.

A.2
    Ils me firent découvrir leur univers et les secrets de leur club. Leurs réunions quotidiennes, l'existence des autres groupes, partout dans le pays, le Projet Chaos, qui avait pour but de renverser et révolutionner le système, les règles du club. C'est alors que je commençai à comprendre l'opportunité unique qui s'adressait à moi. Ces types, comme la plupart des gens de ce pays, n'avaient jamais vu de films créés pour les obsolètes écrans à deux dimensions. Ils appartenaient au b-a ba de l'humanité. Rien à voir avec les 3décrans ou les mondes virtuels. J'avais vu le film fight club dans mon enfance, au pensionnat de West Powder. Ils n'avaient pas assez de moyens pour payer un 3décran à leurs élèves. Du reste, personne que moi et le projectionniste n'allait voir les vieux films. Ce dernier était le fils du conservateur du Musée National du 7è Art. C'est là qu'il se procurait ces vieux films. J'étais donc, avec une minorité de spécialistes, le seul au monde à savoir que Tyler Durden était le personnage d'un film vieux de plus d'un demi-siècle et non le Messie des révoltés de ce monde. Et je me sentais de taille moi, Tyler Durden -c'est mon nom tel qu'il est enregistré à la clinique Nord de Seattle où je suis né- à être ce Messie. Le libérateur des révoltés du système. Mon nom resterait à jamais gravé dans l'histoire. Il me suffisait de détruire toute preuve de l'existence du film. Et de faire en sorte que les membres du club auquel j'appartenais ne dévoilent pas mon existence aux clubs voisins dans la ville. Ni à personne. Cela leur donnerait une supériorité sur tous leurs contemporains. Celle de savoir... Savoir que Tyler Durden avait fini par se manifester. Et qu'il allait libérer le monde. Je devins très rapidement le meneur de leur club ; mais pour ne pas hâter les choses, je continuai à travailler au garage. Et à réfléchir. Comment financer le fight club et, plus important, le Projet Chaos ? Vendre des savons, ce n'était pas possible.

B.1
    A l'époque, je travaillais comme commercial pour un fournisseur de produits manufacturés. Je haïssais ce travail. Passer son temps à baisser son froc et à sortir la vaseline lorsque le gars d'en face faisait la même chose que nous mieux que nous et à vendre nos services le plus cher possible aux petites sociétés sur les marchés où nous avions le monopole. La loi de la jungle. Le monde humain était devenu une jungle économique. Je voulais cette impitoyable forêt vierge plus humaine. Mais je savais également qu'on ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs. C'était aussi l'opinion de Tyler Durden. On s'était rencontrés à un arrêt de bus. Il recrutait pour son Projet Chaos. Il avait besoin d'hommes sûrs pouvant glaner des renseignements dans des sociétés à gros budget. Ensuite, il fallait jongler avec ces informations et la bourse. Mais ça fonctionnait, avec l'aide des quelques experts des marchers boursiers qu'il avait déjà recrutés. Ce type m'avait plu au premier regard. Il y avait en lui quelque chose de presque surnaturel. Et il était maintenant en train de me dire qu'il avait un plan pour réaliser mon rêve. J'intégrai immédiatement le Projet. Pour les hommes comme moi, il ne s'agissait pas de se battre sur la chaussée. Mais d'agir, être toujours à l'affût, capturer le moindre renseignement utile au Projet. Je me rendis compte que dans ma propre entreprise le Projet était déjà largement implanté sans que je n'en aie jamais rien su. Je devins au bout de quelques mois la personne chargée de recouper les informations de tous les membres du Projet qui travaillaient dans ma société et d'en faire un rapport journalier aux experts. A cette époque, j'étais subjugué par la personnalité de Durden. C'était idiot, mais j'acceptai volontiers de croire à toute cette histoire de prophétie, pourvu que le monde change.

A.3
    A partir du jour où Bob nous avait lâchés au garage je menais une vie très laborieuse. Je dormais 3 heures par nuit et dès que je sortais du garage je me mettais à travailler à la réalisation du Projet Chaos, sous haute dose de caféine. Seuls quelques privilégiés de mon entourage connaissaient mon nom et donc ma place prépondérante dans l'organisation du Projet. Mon existence devait demeurer un secret. Ceux qui partageaient ce secret croyaient que j'étais le libérateur dont le nom avait été prophétisé par l'un des fondateurs des fight club. Il était mort depuis longtemps dans un accident de voiture. Il avait décidé un jour, avec ses plus proches collaborateurs, au milieu de l'autoroute, à pleine vitesse, de lâcher le volant. Je jouissais donc d'une confiance totale de la part des détenteurs du secret de mon identité. Il suffisait qu'ils croient fermement que je serais le libérateur pour que je le devienne réellement. Je recrutai des hommes qui brassaient beaucoup d'argent afin d'en détourner une infime mais non négligeable partie pour financer mon Projet. Avec l'aide d'experts en la matière, je jouais les informations confidentielles rapportées par les membres du Projet en bourse. Lorsque je pus abandonner le travail au garage pour me consacrer entièrement au Projet, je décidai, afin de me protéger et de mener à bien le Projet, d'organiser ma mort officielle. Que peut-on faire en effet pour contrer les Projets d'un homme qui n'existe plus puisqu'il est mort? A partir de ce jour, je m'installai secrètement dans la zone industrielle désaffectée dont j'affectionnais l'atmosphère unique.

B.2
    Lorsque je rencontrai Durden pour la première fois, celui-ci était déjà mort. A l'origine, il travaillait dans un garage qui réparait les vieilles voitures à quatre roues dans la banlieue est de Seattle. Un jour, après avoir fini une réparation, il partit tester une Mercedes dans les montagnes qui bordent la ville. Elle fit un plongeon dans un précipice. Ce statut social d'homme mort l'élevait au-dessus du commun des mortels et donnait de l'ampleur au côté mystique sa personnalité. Nous devînmes intimes. Nous partagions les mêmes rêves. Et comme j'étais devenu l'un de ses plus proches collaborateurs, il décida un jour que je devais mourir moi aussi. Avec l'aide des membres des fight club, ma mort en public fut facile à organiser. Tous les documents nécessaires à la morgue avaient été falsifiés de main de maître. Je ne pus malheureusement assister à mon propre enterrement. Je goûtais aux joies d'une vie nouvelle, une vie d'impunité, j'étais enfin libre, je ne devais plus rien à personne. Mis à part Durden. C'est à cette époque que son comportement commença à se dégrader. Le manque de sommeil commençait petit à petit à lui faire perdre la tête. Mais c'était une évolution lente qui s'étendit sur plusieurs mois avant qu'il ne devienne vraiment imprévisible et suicidaire. Il avait recruté une unité d'élite chargée d'accomplir des besognes mystérieuses dignes d'agents secrets. Il s'agissait parfois de tuer. D'autres fois, de faire disparaître ou de falsifier des documents officiels. Et comme je l'apprendrais plus tard, la plupart des historiens du septième art disparurent dans de malencontreux accidents. Le musée du Septième Art reçut également la visite de l'unité d'élite. Durden effectua lui-même la besogne cette fois-là. Il s'agissait de détruire toutes les preuves de l'existence du film fight club, dans tout le pays. Mais la disparition quasi-simultanée de tous ces historiens du septième art mit la puce à l'oreille des agents du FBI.

A.4
    Le début fut lent et difficile. Je devais m'affranchir du travail au garage et asseoir mon autorité auprès des membres du club. Je dus ensuite me mettre à recruter des hommes influents, ce qui n'était pas chose facile. Tout devint différent le jour où les gens ont cru massivement que les extraterrestres allaient se montrer. L'anarchie qui s'installa ensuite fut un terreau de choix pour le Projet. Alors que la guerre civile éclatait dans les quartiers pauvres, je n'avais plus aucune difficulté à trouver des hommes qui voulaient changer leur pays. Au bout de quelques semaines, je ne recrutais moi-même que mes plus proches collaborateurs (que je choisissais avec soin) et laissais ces collaborateurs recruter d'autres personnes pour toutes sortes de tâches. Depuis le collage d'affiches jusqu'à l'élimination discrète mais radicale des opposants au Projet. On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs. Le réseau d'informations du Projet s'étendait de jour en jour et devenait de plus en plus puissant.

B.3
    Nous essayions d'imiter notre chef et nous travaillions nuit et jour. C'était vraiment épuisant. Force nous a été de constater qu'il avait une capacité à l'action surdéveloppée pour ne pas dire, comme je le pensais à l'époque, surnaturelle. Je commençais à avoir des migraines. Mais je continuais à m'infliger cet atroce traitement, pour le profit du Projet. Mais je mettais mon équilibre en danger et mon corps finit par me le signifier par une infernale crise de fièvre délirante. Durden, pour qui je comptais énormément, en tant qu'ami mais aussi que pilier du Projet, me finança alors un mois de repos dans le Nouveau Monde.
    C'est ainsi que se nommait déjà officieusement la "réserve naturelle mondiale". Elle s'étendait constamment, rachetant régulièrement de vastes régions inhabitées de la forêt amazonienne au double du prix que rapporterait leur exploitation. Elle était soutenue par de très puissants lobbies écologiques, et il était de bon ton pour les vedettes et les chefs d'états de faire des dons pour la conservation du poumon du monde. C'était devenu une grande enclave qui, de l'intérieur de l'Argentine, s'étendait progressivement au nord dans le Brésil et le Paraguay. Svensöm était mort il y avait peu, mais ce qu'il avait mis en place était solide et perdurerait.
    Je dois avouer que cette expérience a totalement bouleversé le cours de mon existence, et sans doute également celui de notre monde. J'y compris ce que signifie vivre, et à la fois combien le monde en était loin. J'y fus, comme tous, accueilli à bras ouverts. Mais j'avais en retour des obligations à respecter, sous peine d'exclusion. C'est ainsi que je commençai par participer à un rite initiatique qui ne consistait en rien moins que de me confronter à ma propre mort.
    Les habitants de la "réserve" assuraient à partir de leur vingtième année un service de cinq ans à l'administration du Nouveau Monde. C'est eux qui nous accueillaient. Ils vérifiaient avec insistance que nous n'apportions pas d'outils technologiques. La moindre micropuce électronique était détruite. La possession d'un outil technologique était sanctionnée d'expulsion immédiate. J'appris que l'un d'entre eux venait d'être retrouvé mort avec, dans la main, la moitié d'une puce à neurorécepteur. On me fouilla et trouva l'autre moitié dans l'une de mes poches. De fureur, ils me jetèrent dans un précipice. Mais la trajectoire de ma chute avait été savamment calculée et j'atterris indemne dans un petit bassin aqueux tapissé de mousse et où flottaient des nénuphars. Ils étaient de très bon acteurs. J'avais vu le spectre de la mort et l'histoire de ma vie passer devant mes yeux. C'est une méthode violente, mais efficace.

B.4
    Les premières semaines au Nouveau Monde étaient prioritairement consacrées à la désintoxication du corps et l'apaisement des tensions psychiques. Il s'agissait de nettoyer les rouages organiques de toutes les substances nuisibles que le monde "civilisé" y avait accumulé depuis des années comme des grains de sable dans un engrenage. De nombreuses activités étaient organisée dans ce sens, et les jeunes qui effectuaient leur service pour le bon fonctionnement du Nouveau Monde encadraient et conseillaient les nouveaux venus. Ils avaient diverses spécialités, depuis les représentants de l'éxécutif jusqu'aux vaidyas (médecins aruyvédiques) en passant par les entraîneurs à l'escalade des arbres et les professeurs polyglottes du langage symbolique utilisé au Nouveau Monde. Le temps oscillait entre des périodes d'efforts physiques soutenus et des temps de détente, consacrés au yoga, aux massages, à la pratique du kama sutra, aux ablutions dans des sources d'eau chaude ou d'eau fraiche, ainsi qu'à divers cours tenus par les jeunes. On pouvait apprendre comment choisir et préparer sa nourriture, comment chasser, comment jouer des instruments de musique locaux, comment constuire des abris, des campements, mais aussi des maisons, comment confectionner les outils qui permettaient d'abattre des arbres. Car dans le Nouveau Monde, chacun n'a que ce qu'il construit.
    Durant ce temps de préparation, nous n'avions aucune obligation envers le Nouveau Monde. Cela leur permettait dans le pire des cas de nous expulser sans que nous puissions discuter. Une fois que nous étions jugés aptes, que nous avions réussi une série de tests, nous pouvions nous intégrer à une communauté de notre choix pour une durée de 28 jours pendant lesquels nous vivions comme les autres habitants du Nouveau Monde. Elle se réunissait ensuite pour décider si nous pouvions rester. Nous étions ensuite libres de partir vivre seuls ou dans une autre communauté (qui nous acceptait également après une période d'essai). Je n'eus pas le temps de passer les tests. Quand je repartis vers Seattle et le Projet, je songeai à quel point cette expérience m'avait transformée. Les ambitions du Projet m'apparurent alors sans commune mesure avec celles du Nouveau Monde.

A.5
    Je ne choisissais pour collaborateurs que des hommes que je savais être capables de croire en moi et de m'accorder une confiance absolue. Ils m'apportèrent un précieux soutien. J'avais de nombreuses affinités avec l'un d'entre eux, Phillip Thunda. Je dois avouer que notre amitié m'avait rendu le goût à la vie et que jamais je n'avais éprouvé un tel amour pour l'un de mes semblables. Orphelin, j'avais toujours vécu sans famille et sans amis. Je souffrais de son absence, notamment lorsqu'il partit un mois en Argentine.
    Parmi mes collaborateurs se trouvaient donc les hommes que j'avais recrutés moi-même avec grand soin et, par la force des choses, les membres du club qui m'avaient fait découvrir les combats à main nue et le Projet Chaos. Ils étaient les seuls à connaître mon nom et mon existence. Il étaient aussi les seuls à savoir avec certitude que la promesse de liberté allait se réaliser. Les autres membres du Projet pouvaient être classés en deux groupes. Les premiers, qui n'apparurent qu'assez tardivement, ne savaient pas ce qu'est le Projet et encore moins qu'ils travaillaient pour Lui. Les autres avaient au-dessus d'eux une hiérarchie dont ils ne connaissaient rien d'autre que leur chef direct. Les mieux renseignés pensaient que le Projet était l’œuvre d'un lobby. J'étais donc le plus puissant des chefs : mes ordres étaient suivis à la lettre par des centaines d'hommes, et personne d'autre que mes collaborateurs, qui avaient tous foi en moi, ne pouvait contester mon autorité. De plus, personne n'en savait plus que ce qu'il avait à faire, afin d'éviter toute fuite d'informations. J'avais également la liberté de me fondre temporairement parmi mes hommes, afin d'observer de près les rouages de la mécanique que j'avais mise en place ou d'effectuer moi-même certaines tâches, comme supprimer toutes les preuves de l'existence du film de David Fincher. Mais en réalité, aucune mécanique n'est infaillible.

B.5     
    Durden était un très bon organisateur. Il profitait habilement du désordre dans lequel était tombé le pays. Lorsque je rentrai d'Argentine, je fus étonné de la rapidité avec laquelle les activités du Projet s'étaient développées. Je cachais à tous, et surtout à Durden, la révolution qui s'était produite en moi et je me remis au travail. Il fallait déjà depuis longtemps brouiller les pistes que suivaient les enquêteurs de la police aux endroits où le Projet était intervenu, ce qui avec un peu d'expérience était devenu un jeu facile. Mais le FBI, dont la mission prioritaire était de combattre l'anarchie, avait fait des recoupements. Et en réalité, il aurait eu notre peau si Vortex n'était pas intervenue. Je ne l'apprendrais que bien plus tard, mais cette société n'était en fait qu'une pièce sur un échiquier ; la partie aérienne d'un immense iceberg plongeant dans un lointain passé d'inextricables luttes dans les plus hautes sphères du pouvoir, de complots aux tentacules sournoisement administratives et de mystérieux contrats séculaires. En signe de leur puissance, ils envoyèrent un émissaire auprès de Durden, à l'endroit où jusque là il avait toujours cru être intouchable, protégé par le secret : son quartier désaffecté. J'étais avec lui à cet instant-là et nous discutions de l'avenir du Projet. Je lus dans ses yeux qu'il aurait voulu étriper sur place ce visiteur incongru, mais il avait immédiatement compris qu'il serait aussi inutile que dangereux de s'attaquer au messager d'une organisation si bien informée. L'homme, se présentant comme un agent de Vortex, nous apprit que des taupes du FBI et de la NSA avaient infiltré le Projet et étaient en train de remonter patiemment, pallier par pallier, les différents étages de sa hiérarchie informationnelle. Nous apprîmes également qu'ils pensaient avoir affaire à un cartel de lobbies et qu'ils ne soupçonnaient pas encore l'existence de Durden. Il nous laissa une enveloppe contenant des photos de deux membres du Projet, prises à Langley et commémorant des remises de médailles administratives. Il nous quitta perplexes, nous laissant quelques jours pour réfléchir à une offre -que nous ne pouvions pas refuser- de collaboration avec les services de renseignements de Vortex.

A.6
    Accepter de collaborer avec eux était une véritable violation des idéaux anticapitalistes du Projet. Mais je n'avais vraiment pas le choix. Il existait dans le monde de mystérieuses forces qui dépassaient largement ma condition et avec lesquelles il faudrait compter dorénavant. Avec les informations qu'elles détenaient, elles auraient pu à tout instant écraser le Projet du petit doigt, mais elles avaient jugé que nos activités leur seraient utiles. D'inquiétantes questions m'absorbèrent alors : quels mystérieux dessins le Projet allait-il désormais servir ? Qu'était-ce donc qui, dans les luttes politiques du Projet, intéressait VORTEX, un marchand de rêves international ? Qu'allait-on m'imposer en échange de ces services qu'on me proposait et que je ne pouvais refuser sans annihiler le Projet ? Le mystère s'épaissit encore lorsque je fus "contacté" pour la seconde fois. Le messager n'était pas le même. Assis dans le métro, il se contenta de me glisser une enveloppe dans les mains avant de partir sans avoir dit un mot. Dès lors, lorsque ils -qui étaient-ils ?- voulaient me contacter, on me remettait une enveloppe discrètement, dans un lieu public. Cette première enveloppe contenait une copie du résumé de quatre dossiers d'agents du FBI. Quatre membres du Projet. Rien d'autre. On ne me demandait rien, mais en quelque sorte, on me donnait des ordres. Et on savait qu'ils seraient suivis. Comment pouvaient-ils être si bien renseignés ? Aucune organisation au monde connu ne pouvait avoir accès à autant d'informations. Ils avaient infiltré le Projet. Jusqu'où ? mes collaborateurs ? Phillip ?

A.7
                 Lorsque je compris que Durden sombrait dans la folie, la foi béate dont je l’avais toujours honoré m’abandonna complètement. Je découvris par hasard l’existence du film fight club. Durden avait conservé la dernière preuve de son imposture, sous forme d’un vieux disque aux reflets multicolores. Il l’avait cachée au creux d’une niche comme il y en avait des millions dans ses usines désaffectées. Peut-être aimait-il à conserver ce petit disque, qui à tout instant pouvait causer sa perte, comme un trésor. Je compris alors que son Projet serait plus important que notre amitié. Je m’éloignais déjà depuis mon retour du Nouveau Monde de mes occupations relatives au Projet et, puisque personne au monde ne contrôlait plus mes faits et gestes, je décidai alors de remettre à chacun de mes collaborateur directs une clé du trousseau de pouvoirs que je détenais au sein de l’organisation ; je disposait ainsi de tout mon temps pour surveiller à la jumelle et au télémicro les moindres gestes et paroles de Durden. Mes soupçons se confirmèrent rapidement. Il engagea un tueur pour supprimer ses collaborateurs, qui, pour la plupart, ne se connaissaient pas entre eux. Je crois qu’il espérait ainsi éliminer celui qui aurait vendu à Vortex l’emplacement de sa retraite. C’est ainsi que je sus que j’étais le prochain sur la liste. Je pus sans problème intercepter le message destiné au tueur. Durden lui avait fait porter les précédents par ceux-là même qui en étaient l’objet, pour faciliter sa tâche. Je lui remis donc moi-même, comme mes prédécesseurs, le message ordonnant ma propre élimination. En le ponctuant de dix fois le prix qu’offrait Durden, et autant lorsqu’il lui aurait confirmé mon élimination. Une fois mort aux yeux de Durden, je sauvai par les mêmes moyens trois de ses proches collaborateurs. J’engageai ensuite un autre tueur pour éliminer celui avec lequel nous avions pactisé. Durden ne se soucia pas de ce détail, car les assassins finissaient généralement de cette manière, à cause d’une affaire dont ils ne se rappelaient même pas. Nous continuâmes à observer Durden et les activités du Projet, attendant notre heure.

A.8
             Je savais que les trois hommes que j’avais rachetés au tueur me suivraient. Deux d’entre eux avaient fait un séjour dans le Nouveau Monde, aussi mon projet leur plut-il immédiatement. Ils avaient compris que l’intérêt n’était pas l’obtention d’un pouvoir mais une évolution historique. Nous récupérâmes l’argent que nous avions donné au tueur. Avant que son collègue ne lui envoie une balle dans la nuque, nous le droguâmes et il nous fut facile alors d’obtenir toutes les informations qui nous intéressaient. Mais le second tueur se mit à réclamer la moitié de la somme et nous durent finalement l’abattre, car cet argent nous était indispensable pour la réalisation de notre projet. S’il y a bien un homme que l’on peut assassiner la conscience tranquille, alors c’est un tueur à gages. Nous entreprîmes ensuite de bâtir un réseau parallèle au sein du Projet. Durden avait caché aux échelons inférieurs la purge qu’il avait réalisée dans son entourage direct. Ainsi, tous les hommes que nous avions eu sous nos ordres pensaient que nous avions été mutés dans une autre branche du Projet. Nous pûmes donc continuer à utiliser le pouvoir que nous avions exercé sur eux, à l’insu de leurs supérieurs directs, pour obtenir des informations sur l’activité des secteurs-clés du Projet, ou convertir des hommes à notre Nouveau Projet. Nous devions cependant être très prudents pour éviter de recruter un agent double au service de Durden.