A mon âge

Le 06/02/2005
-
par nihil
-
Thèmes / Polémique / Société
Ce texte devait participer à la semaine 'textes de merde', mais il a été jugé insuffisamment pourri pour ça. C'est donc un texte profondément moyen, de la sous-propagande mollassone, de la polémique à la petite semaine. Y a pas grand-chose à en dire, hormis que ça enfonce un clou déjà bien enfoncé depuis trois ans sur la Zone : la haine pour nos contemporains, leur médiocrité et leur (osons le mot) conformisme.
A mon âge, mes contemporains se marient.
Ils ne souhaitent pas que leur union soit trop classique, ni sérieuse ou collet-monté, c’est simplement pour eux une occasion de réunir tous leurs amis et leur famille autour d’eux. Ils ne veulent pas de cérémonie religieuse, malgré les vœux de la grand-mère, mais plutôt quelques animations de type « retrouvons nos racines » suivis de jeux de type « rigolons tous ensemble comme des gros beaufs ». Parce qu’il faut que ça puisse plaire à tout le monde, et y a que la merde qui plaise à tout le monde.

A mon âge, les gens ont déjà un premier enfant depuis quelques années et commencent à penser sérieusement au deuxième. Ils lui donneront un prénom de série télévisée, ou mieux encore un prénom inventé.

A mon âge, les gens ont cessé de se préoccuper de musique ou de bons films. Ils souhaitent se retrouver une passion pour occuper leur temps libre, qui s’allonge sérieusement depuis qu’ils sont en CDI. Pourquoi pas la photo ? Ils se cherchent des racines, des attaches, et font des recherches sur leur passé et leur généalogie.

A mon âge, les gens ont déjà arrêté de fumer et repensent parfois avec dépit à leur courte période cannabis, bien loin derrière eux. Ils commencent à apprécier fortement un bon repas, un bon vin, d’ailleurs ils commencent à repérer le nom de quelques crus qu’ils apprécient particulièrement. Ils ne supportent plus vraiment les fast-foods et les sandwicheries, qu’ils fréquentent seulement le midi, parce que leur pause déjeuner doit être la plus courte possible si ils veulent être productifs. Ils pensent se remettre à l’occasion au sport pour évacuer le trop-plein de lard qui commence à empeser leur ceinture. Les hommes pensent au tennis ou au vélo, les femmes au Gymnase-club et à la natation.

A mon âge, les gens prennent leurs neveux et nièces quelques jours en vacances pour qu’ils partagent des moments avec leurs cousins et forment une vraie famille. Ils commencent à se persuader de l’importance de ce genre de concepts.

A mon âge, les gens en ont marre de leur appartement loué, bruyant et un peu vieillot, ils élaborent des plans pour accéder à la propriété. Ils souhaitent une petite maison à l’écart de la ville, avec un petit jardin, mais pas trop loin non plus de l’école des gosses, du centre commercial Leclerc et du bowling du samedi soir.

A mon âge, les gens commencent à voter socialiste au lieu d’extrême-gauche, parce qu’il faut bien être réaliste. Ils se remémorent leurs idéaux de jeunesse avec un brin de nostalgie, bien qu’ils les trouvent sérieusement excessifs et puérils. Mine de rien, ils auraient honte de les détailler au cours d’un repas entre amis.

A mon âge, les gens on perdu contact avec leurs derniers potes de Fac, heureusement ils ont eu l’occasion de faire évoluer leur cercle social, malgré leurs déménagements successifs. En piochant parmi les collègues respectifs de Monsieur et Madame. Ils organiseront des repas le vendredi soir et discuteront travail avant de rentrer sur le coup de 23h.

A mon âge, les gens se disent que l’élégance vaut bien n’importe quelle originalité vestimentaire et qu’au moins ça passe partout et ne les pénalise pas pour leur travail.

A mon âge, les gens pensent à louer un mobile-home pour leurs trois semaines de congés payés en été.

A mon âge, les gens démarchent leur banquier pour un crédit, pour acheter une voiture plus grande (pour les enfants) et aussi plus récente et plus performante, parce que « mine de rien, le confort, ça compte ». Ils se découvrent capable de discuter longuement des lignes et du moteur de la dernière Renault avec leurs collègues. Non pas que ça les intéresse vraiment, mais ils savent s’intégrer.

A mon âge, les gens ont admis que leurs rêves de gloire étaient bien périmés. Ils se sont résignés à n’être personne, à cesser d’exister. A ne laisser aucune trace dans les mémoires. Ils pensent pouvoir compenser en s’accomplissant via leur carrière et la réussite de leurs enfants. Ils se préparent doucement pour cinquante à soixante années de routine et de vide, puis une petite mort sans éclat. Ils devront supporter le poids d’une vie médiocre et sans événement majeur, semblables à celle de leurs contemporains. Ils ne veulent pas souffrir, ni prendre de risques, alors ils devront se terrer au cœur du troupeau. Ils devront assumer leur complet manque d’identité, leur similitude flagrante avec leurs voisins, la perte de tout ce qui les constituait. Ils n’y pensent pas vraiment. Après tout, ils sont heureux, n’est-ce pas ?

Je ne peux mieux exprimer la haine que je porte aux gens qui me ressemblent.