Jeu de dés 4

Le 10/03/2005
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par Arkanya
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Rubriques / Jeu de dés
Dans le monde inventé par Arkanya, des âmes sont projetées dans un corps qui ne leur appartient pas, et on assiste ici au difficile mariage entre ces deux composants. Un épisode très clair (pour une fois) et qui pose en quelques phrases pas mal de questions intrigantes.
Bon, c’est mon tour, je flippe un peu.
Finalement je savais pas trop à quoi m’attendre, mais le voyage est pas si terrible, c’est comme si je m’étais endormi pour me réveiller dans ce corps. Le seul truc déstabilisant finalement, c’est que je me souvenais plus trop de ce que ça faisait de s’endormir, ni même de se réveiller si on y pense bien.
Je jette un œil autour de moi. Ok, comme prévu, je suis dans le corps d’un homme, je suis dans un magasin de feux d’artifice, et j’ai en tête toutes les connaissances pour fabriquer une petite bombe artisanale avec ce que j’ai sous la main. En moins d’une heure, j’ai bâclé cette partie-là, il ne me reste plus qu’à m’y retrouver dans le labyrinthe des lignes de métro pour retrouver la station dans laquelle je suis sensé déposer mon petit bijou.
Quand enfin j’ai compris où je suis, ça me facilite la tâche pour définir l’endroit où je dois aller. Avec ça c’est pas la porte à côté, après avoir fouillé dans mes poches et compté à peu de choses près ce que contenait le portefeuille j’opte pour un taxi. Le système est bien rôdé, j’ai gardé tous les souvenirs utiles de mon hôte, c’est impressionnant. C’en est même limite déstabilisant, j’ai l’impression d’avoir deux consciences, ou une seule qui contient trop d’informations, j’en suis à me demander chaque fois qu’une pensée me vient si elle est bien de moi ou de cet étrange fantôme résiduel qui partage ma tête. J’en suis même à arbitrer un match bizarre que je suis seul à voir. Je marche sur le trottoir en me retournant sans cesse vers la rue, ça c’est moi, je lève la main pour héler le premier taxi qui passe, ça c’est l’autre, je regarde la tronche du chauffeur avant de monter, c’est moi encore, je me cogne le froid sur le battant de la portière, c’est indéniablement moi, je mène par KO.
Comme tous les chauffeurs de taxi, celui-ci ne peut pas s’empêcher de causer. Il commence tout de suite en me posant des questions que bien sûr il oriente pour en arriver à sa propre anecdote. Je crois que j’ai commencé à lui parler avant de m’en rendre compte, c’est surtout son regard d’abord intrigué qui m’en a fait prendre conscience.
“Je sais pourquoi je suis là, d’accord, enfin j’ai bien compris ce qu’on m’a dit. C’est juste la globalité du truc que j’ai du mal à capter, vous voyez ? En fait, le grand danger qui est sensé menacer notre équilibre, j’ai encore du mal à percuter de quoi il peut s’agir. J’ai aussi du mal à comprendre en quoi le fait de faire disparaître quelqu’un qui vit en 2008 va empêcher ce problème. En fait non, ça je le conçois très bien. Ce serait l’ancêtre d’un être qui va compromettre l’existence même de l’Ordinateur, bien. Mais est-ce qu’il y a besoin de buter tellement de gens ? Combien j’ai déjà vu partir de mes semblables pour aller purifier le passé ? Je crois qu’on est plus très nombreux, une centaine à tout casser. Ça me donne l’impression bizarre que l’Ordinateur renvoie toute l’humanité dans sa propre fange, les uns après les autres.”
Le chauffeur me jette des coups d’œil un peu sceptiques maintenant, il a l’air de douter de ma santé mentale. Je peux pas trop lui en vouloir, moi-même je me sens un peu décalé avec ces deux voix dans ma tête, et puis j’ai l’impression d’oublier d’où je viens, ma vie spirituelle m’apparaît maintenant dans un brouillard innommable et opaque, ma vie matérielle, celle d’avant, je ne m’en souviens même plus très bien. Je n’ai plus qu’une seule idée en tête, la beauté de l’explosion, le bruit, puis le vide.
Je tends un billet, je m’occupe même pas de la monnaie, je m’en fous. Je sors du taxi et je me dirige vers la bouche de métro.