Surfaces (2)

Le 11/03/2005
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par Konsstrukt
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Rubriques / Surfaces
Le style über-laconique de Konsstrukt a un coté pesant mais sied très bien à la description de cette vie absurde d'ouvrière devant sa chaine de montage. On est très vite harassé, ça doit être le but.
Je m’installe à mon poste. Je suis fatiguée. Je regarde mes collègues. Elles sont fatiguées. Elles aussi. Ca ne m’intéresse pas.
Devant moi la chaîne de montage est comme hier. Comme il y a dix ans. Et moi je fais toujours la même chose. J’écoute la radio ça m’aide. Il y a une sonnerie. Elle couvre la voix de la radio. C’est le début de la journée c’est ça que ça veut dire. Il y a un vrombissement. C’est la chaîne qui s’active. Elle démarre. C’est comme si elle se réveillait elle aussi ou comme si elle revenait à la vie. Elle revient toujours à la vie. C’est comme les monstres dans les histoires. On fabrique des chaussures. Des chaussures à talon aiguille pour les prostituées du troisième secteur. Moi j’assemble le talon et son embout. Le talon m’arrive nu et je dois coller dessus l’embout. Il m’arrive un talon toutes les deux secondes. A la fin de la journée j’ai contribué à fabriquer sept mille deux cent paires de chaussures. Quand j’aurais cinquante ans ça fera quarante millions. Les prostituées en usent une paire par mois. En tout pour toute leur carrière il leur en faut donc trois cent soixante. Alors moi je chausserai cent mille putes. Rien que dans ce secteur il y en a quatre fois plus. C’est con de penser à ça. Encore un talon. . A la fin de la journée je vais les voir les prostituées. Je les paie pour me lécher la chatte et y introduire des objets. L’argent que j’ai gagné en fabriquant leurs chaussures et encore rien que le talon de leurs chaussures je leur donne et quelquefois elles me baisent avec le talon mais j’aime de moins en moins ça et quelquefois elles sont deux un talon dans la chatte un autre dans le cul et même si j’ai horreur de ça c’est ça qui me fait jouir et à la fin les prostituées sont plus riches que moi et moi j’ai même pas de quoi aller au restaurant je peux juste me payer un logement merdeux de onze mètres carrés une douche pas de baignoire c’est comme ça depuis que j’ai vingt ans ça durera jusqu’à ce que j’en ai cinquante. A cinquante ans je mourrai comme tout le monde en attendant même si j’aime pas trop ça je veux un maximum de talons noirs de putes entre mes cuisses même si j’aime pas ça au moins c’est comme ça que je jouis je m’allonge elle se met debout sur moi elle me pénètre par coup lents et profonds avec son talon je vois tout au-dessus je peux tendre les bras pour écarter ses lèvres voir son clitoris il est pareil au mien le mien est irrité par l’embout du talon et ça me fait exploser.
Encore un talon. Quatre battements de cœur pour un talon. Ils sont noirs et lustrés. Ils s’effilent vers le bas. Encore un talon. L’embout est très solide. C’est une rondelle gris foncé. La colle me laisse des particules au bout des doigts. A midi avant d’aller manger je dois les décaper avec un détergent qui me fait mal. J’ai déjà les mains ridées et tâchées. Si je les coupais j’aurais plus à bosser ici. Encore un talon. Mes ongles poussent plus. Ils ne veulent plus. Encore un talon. Ils ne veulent plus pousser. Encore un talon. C’est à cause de la colle. Cette pourriture de colle. Si j’en bouffais même pas une cuiller à café ça règlerait tous mes problèmes. Mais pas maintenant non pas encore. Encore un talon. Bientôt midi. J’en ai marre de la cantine. J’ai pas le choix. Encore un talon. Le reste est trop cher. Encore un talon. Alors j’irai là-bas. Encore un talon. A la cantine. Encore un talon. Sonnerie. La chaîne s’arrête. Silence. Je sors.