Au feu les hérétiques

Le 12/04/2005
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par nihil
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Thèmes / Polémique / 2005
C'est de plus en plus souvent le cas dans mes textes, le héros est une sorte de super-héros mystique qui vient de recevoir l'illumination et qui se prend pour l'Elu. Sa mission sacrée ? Assainir la société, la libérer de la connerie qui la gagngrène. Il se met donc à traîner ses guêtres dans un environnement hostile qu'il comprend mal et son bras vengeur sévit à tort et à travers. Dure vocation que celle de Grand Inquisiteur.
Au moment de me lever, ma décision était prise. J’allais consacrer le reste de mon existence, jusqu’alors malheureusement dissolue, à mettre mon bras au service de la justice divine. Je mettrai toutes mes forces dans la lutte contre la bêtise humaine et ses représentants, qui retenaient la civilisation dans sa quête vers l’épanouissement moral. J’assainirai notre société de ses dérives fâcheuses orchestrées par des imbéciles sous-évolués. Pour ce qui me concernait, je décidais de m’amender et de réformer ma conduite plus que douteuse à ce jour, je m’engageais dans la voie illustre de la rédemption.
Je me dressai au devant de ma couche sans plus voir les murs misérables qui retenaient encore mon ardeur. Je me dirigeai vers la porte, repoussant les obstacles d’une main qui avait cessé de trembler. L’ouverture déversa dans ma cellule un flot de lumière aveuglante, mais je ne cillai pas et m’avançai vers ma destinée.

***

Dans la pièce suivante je trouvais les géniteurs, terrés comme de coutume dans leur misère résignée. Ils posèrent leur regard sur ma personne et sans mon état de béatitude je l’aurais perçu comme une salissure intolérable. Je fermai les yeux sur cette scène pathétique et avançai vers la porte d’entrée du logis, bien décidé à le quitter à jamais. C’était sans compter sur la misérable détermination de la génitrice, engoncée comme toujours dans ses manies ridicules.
- Tu vas où ?
Je ne me laissai pas distraire de mon objectif et ne répondis rien. Mais aussitôt la génitrice s’interposa, bloquant le passage. M’armant d’une patience souveraine, je tournais mon regard vers sa modeste gueule de conne.
- Où tu étais encore passé hier ? Et qu’est-ce que tu as fait ? Tu crois que ton père et moi allons supporter tes petites affaires sous notre toit encore longtemps ? Et quand est-ce que tu vas te décider à chercher un vrai travail ?
Ses petits yeux plissés rappelaient ceux d’un mammifère ongulé inférieur, et l’odeur de soufre qui émanait de sa bouche d’égout était positivement intolérable. Je ne pus retenir mon ire et garder le silence plus longtemps. Toutefois mes propos restèrent mesurés et d’une admirable courtoisie au vu des circonstances, la rage qui les motivait ne perçant jamais leur masque de politesse feinte :
- Nan mais vazy Mman, lâche l’affaire maintenant, ouais ? C’est bon, OK ? Faut toujours que tu me fasses ta morale à deux sous, et patati et bla bla. C’est trop abusé, t’as vu. Arrête de te la donner.
Elle se hérissa d’une indignation que des personnes de sa catégorie ne devraient pas être en mesure de ressentir en quelque occasion que ce soit, et glapit d’un ton aigu :
- Un peu de respect pour tes parents, je te prie !
- Ouais ouais, respect c’est respect. Mais tu m’as trop pris la tête, t’as vu. Là je bouge.
Ces obscurs jappements de chienne gravide glissaient sur moi sans m’atteindre profondément. La génitrice était indigne de mon attention : aussi je me préparai à contourner son enveloppe charnelle mafflue, tout rayonnant de la sainteté de ma mission. C’était sans compter sur la besogneuse obstination des gens du bas-peuple.
- Tu t’en tireras pas comme ça ! Tu resteras ici jusqu’à ce qu’on te dise que c’est bon ! Petit con !
Le géniteur bêlait doucement son approbation depuis le canapé, ses yeux dégoulinants d’une insupportable soumission. En cet instant, un élan d’empathie inattendue me dévoila l’effrayante ampleur de la malédiction qui pesait sur son échine : sous le joug de la génitrice, il avait absorbé toute sa vie d’homme ses élans de rage mesquine, sa petitesse et sa fourberie. Rien n’avait plus pu le tirer des griffes de cette mégère spongiforme.
Elle agrippa furieusement mon surcot et se mit à le secouer comme une ribaude secoue le manche de son client, et je reconnus bien là le poignet exercé de la putain repentie. Mon sens aigu de la diplomatie m’évita de révéler ce parallèle au grand jour, mais je n’en pensais pas moins. Cette suceuse de l’enfer allait devoir calmer ses ardeurs illico si elle ne voulait connaître mon courroux. Je le lui fis savoir en des termes que son ignoble stupidité de femelle lui permettrait d’entendre :
- Mais arrête Mman, putain ! C’est bon lâche moi la race, t’as vu !
Le géniteur s’efforçait de secouer la tête bien en rythme comme une peluche de plage arrière de BX, pour marquer son indéfectible soutien à la génitrice. Je sombrai dans un abîme de peine : le géniteur n’était qu’un esclave asservi de longue date par cette créature de l’enfer qui se prétendait ma mère. Une colère inextinguible s’empara de moi : je devais à tout prix éliminer cette souillure ménopausée de la surface du monde. Cette foutue connasse molle cherchait clairement à entraver la marche d’un serviteur de Dieu, elle allait devoir payer ses actions maléfiques. Je lui administrai un somptueux osotogari et l’envoyai paître la moquette, avant de lui décocher une violente manchette à la glotte. Je vis sans déplaisir sa face boursouflée de téteuse de lard devenir écarlate et sa bouche luisante de fiel recracher les aliments impurs qu’elle absorbait à mon arrivée. Le géniteur ne me laissa pas le loisir d’apprécier longuement le spectacle de la déchéance de la succube : il se jeta sur moi en gloussant des anathèmes ridicules. Malgré mon profond regret, je dus le mettre hors de combat. J’entrepris délicatement de démonter son squelette pièce à pièce pour lui faire entendre raison : cet homme s’était fourvoyé, avait suivi les voies du démon en croyant bien faire. La tâche n’était guère ardue : ce pauvre séide aveugle à l’esprit corrompu maîtrisait à peine ses mouvements, et s’attaquait à un homme dans la force de l’âge. Je le laissai bavochant son malheur, artistiquement encastré dans la table basse du salon familial.
Je devais maintenant brûler la dépouille de la bovine succube. Seul le feu pourrait purifier cet antre du Mal. Toutefois le lieu ne disposait pas d’un foyer digne de ce nom, ni même de combustible utilisable. Après une courte étape de réflexion, je me décidai à attraper la génitrice par la tignasse et à l’entraîner vers la cuisine. Incapable d’utiliser convenablement la cuisinière crasseuse, je poussai tous les boutons de cet instrument incongru, au hasard, espérant déclencher une chaleur suffisamment puissante. Je dus subir les marmottements inaudibles de la génitrice durant le délai qui s’ensuivit. Je lui administrai quelques menues claques sur le groin pour la calmer. Le four resta désespérément froid, par contre les plaques électriques se mirent à délivrer une intense chaleur. Soulevant d’une main ferme la génitrice, j’appliquai sa gueule de pute sur la plaque, provoquant une volute de fumée et un hideux grésillement de chair fondue.
Mais, tandis que le corps se mettait à se tordre de spasmes sous l’effet de la torture, un grand cri traversa la pièce :
- Mais qu’est-ce que tu fous ?
C’était ma jeune sœur Natacha, qui avait faisait irruption dans la pièce et roulait des yeux comme un merlan tiré de son élément. Je lui fis connaître mon sentiment d’une voix posée :
- Vazy, dégage ta race, putain de ta reum !
- Jean-Christian !
- Hé je te l’ai déjà dit la pute : mon nom c’est pas Jean-Christian. Mon nom c’est DjayCee le Def, putain !
Elle fit mine de s’interposer entre moi et le steak de succube, en brandissant une fourchette et je me dut de désactiver ses ardeurs d’hystéro maritime d’un double claquage de tronche. Aucun doute, la lignée maternelle était niquée jusqu’à l’utérus, il n’était que temps que je m’extirpe de ce carcan avilissant. Ma famille s’était engoncée trop longtemps dans la stupidité crasse des foules avachies, rien n’était récupérable. La viande était à point et commençait à gicler de l’huile alentours : je retournai négligemment la hure de la génitrice sur l’autre face, retirant ma poigne vengeuse à l’instant où le crin prenait feu. Une envahissante odeur de porc envahit la cuisine familiale. Je jetai un œil inquisiteur sur les débris du géniteur et de la sœur et décidai de leur accorder ma clémence : je les laisserais vivre et gérer à leur guise la perte de leur maîtresse bien cuite.

***

Ma mission sacrée s’éclairait d’heure en heure. C’était une croisade, une djihad contre la connerie et tous ses aspects matériels ou moraux dans la société qui m’entourait. La génitrice entrait dans cette catégorie parce que comme je l’avais dit maintes et maintes à mes partenaires de débauche, avant ma rédemption : « ma mère c’est trop trop une conne, t’as vu ». Cette analyse de la situation renforçait ma détermination : j’allais utiliser tous les moyens en ma possession pour faire subir le châtiment divin à tous les représentants de la bêtise humaine qui m’entouraient. Ce ne serait hélas que retirer une goutte d’eau de l’océan, mais d’autres se lèveraient derrière moi pour ramener la loi de Dieu en ce bas-monde. Ce serait un véritable élan, une marée vertueuse.
    
J’étais paisiblement affairé à tagger ‘InQuiSi+ioN RewlZ’ avec de l’excrément sur la paroi suintante des latrines publiques en bas de chez moi, acte hautement symbolique et annonciateur des changements à venir, lorsque je réalisai qu’il me fallait tirer un trait sur mon passé lamentable. Le meilleur point de départ de ma quête serait d’éliminer ceux qui s’étaient prétendus mes amis, ces êtres larvaires aux facultés mentales plus que douteuses. Ils avaient été les artisans de ma vie dissolue, ils paieraient le prix de leur inconséquence. Tout auréolé de ma nouvelle détermination, je m’extrayais de cet antre crasseux pour me diriger vers leur lieu de rendez-vous traditionnel, les caves de la tour des Peupliers. Lieu d’angoisse s’il en est.

Equipé de deux jerrycans d’essence, j’atteignais les abords de l’édifice maudit. Sur le parvis je trouvai le frère cadet de Marko occupé à faire le gay. Je le connaissais bien mal et ce jeune diminué avait sans nul doute tout oublié de mon existence puisqu’il me héla en ces termes :
- Hé toi, où tu crois que tu vas ?    
- Vazy je vais voir le crew dans la place t’as vu ?
- Comment tu m’as parlé, l’autre ! T’arrêtes de m’engueuler ouais, batard ?
- C’est bon, j’ai juste dit…
- Mais c’est bon, arrête de te la donner, t’as vu comment tu parles sale con ?
- Je suis très calme, sale fils de pute d’enculé !
J’échafaudais déjà un plan pour replier ce détritus mongoloïde dans une poubelle, mais il haussa les épaules et se désintéressa de moi, ce dont je me trouvais fort satisfait.

J’avais pensé simplement les enfumer pour qu’ils sortent de leur cache et que leur exécution soit publique, mais les caves disposaient de plusieurs issues, ce qui invalidait ce plan. Dans les profondeurs obscures des caves j’entendis le brouhaha insipide de mes ex-camarades. Dans l’ombre d’un réduit décrépi ils devisaient et riaient bruyamment en absorbant des produits illicites. Je déboulai dans la pièce lourdement enfumée sans prévenir et sans me préoccuper des lazzis qui accompagnèrent mon entrée en scène :
- Alors DjayCee, t’as fini par le digérer cet acide, ou bien ?
Et un autre de rétorquer :
- Ouais, ça fait au moins deux jours qu’on t’a pas vu à cause de ce truc. T’as eu du mal à l’avaler, hein ma grosse ?
J’ignorai les rires gras qui s’ensuivirent et jetai un œil froid sur le décor de mon ancienne débauche. Des banquettes de voitures disposées en cercle achevaient de s’émietter autour d’un miteux transistor qui diffusait une logorrhée insondable de bêtise. La plupart de mes prétendus amis étaient patiemment occupés à bouger la tête en rythme.
- Alors, t’es venu retaper hein ? Ca t’a fait trop planer et t’en veux encore ?
Sans m’abaisser à répondre à leurs sarcasmes, j’entrepris de répandre le combustible devant moi, à grands jets noirâtres, sur le sol, les murs et les sièges de fortune, sans négliger d’arroser bien copieusement ces sales abrutis.
- Putain mais… C’est quoi ce truc ?
Je ne me laissai pas perturber et vidai le dernier jerrycan sur la tronche de Marko. Alors qu’ils commençaient à peine à comprendre ce qui se passait, je gonflai ma poitrine et lançai bien haut mon cri de guerre :
- A MORT LES HERETIQUES, T’AS VUUUUU !
Dans la confusion qui s’ensuivit, l’un d’entre eux hurla :
- Waaargh, il est resté perché ce con ! Barrons-nous !
Ils s’égaillèrent sans demander leur reste, mais j’étais déjà sur eux, tentant d’allumer leurs loques imbibées d’essence de mon zippo flamboyant. Enfin le feu prit et ce fut un embrasement instantané. Ce fut une flambée superbe, inoubliable. Les corps embrasés se cognaient entre eux, provoquant de fugitives explosions, ou contre les murs ruisselant de feu. Je pus me tirer de cet enfer au prix de quelques brûlures sans conséquences.

***

La tâche s’avérait colossale. J’étais entouré de cons, où que j’aille je les voyais, les badauds, les représentants de l’ordre, les piétons, les automobilistes, tous unis dans la stupidité. Notre civilisation entière avait sombré dans la bêtise, ce n’était pas un déclin, c’était une dégringolade. J’aurais beau m’arc-bouter, lutter de toutes mes forces, je ne pourrais rien contre cette avalanche. C’était trop, il eut fallu mettre toute la ville à feu et à sang pour espérer avoir un impact significatif. Je n’arriverai à rien seul. Il me fallait lever une armée d’inquisiteurs armés de lance-flammes et de chalumeaux, former une élite de nouveaux soldats du feu, des purificateurs sans pitié. Il me fallait l’aide des autorités religieuses de la ville. Leur soutien me serait indispensable.

Toujours armé d’un jerrycan rempli à ras-bord, je me frayai un passage dans une fangeuse populace qui tentait de m’embourber dans ses rets. J’élaborai intérieurement des plans de croisade mystique, de nouvelle guerre sainte contre la connerie ambiante. Je les voyais déjà tous en train de brûler, feu de joie titanesque et sans répit.
Par je ne sais quelle chance, j’arrivai à l’archevêché, une lourde bâtisse engoncée au fond d’un square miteux. Je n’avais qu’une confiance limitée dans les instances religieuses, que je jugeais trop éprise d’intégration au sein de notre société à la con, mais j’avais besoin d’aide, c’était indéniable. J’avais besoin d’une armée de fanatiques décidés à assainir la société de ses tares, et seules les religieux pouvaient ainsi se ranger sous ma bannière.
Je pénétrai dans le bâtiment, qui résonnait d’un bourdonnement de fourmilière au travail. Ca ne ressemblait en rien à ce que j’avais imaginé. Le grand hall de l’archevêché était carrelé de blanc et ceint de larges baies vitrées qui éclairaient largement les lieux. Encadré de palmiers en plastique, un immense comptoir blanc emplissait le fond de l’accueil. J’approchai de l’hôtesse d’accueil, une pulpeuse femme occupée à lisser ses cheveux peroxydés du plat de la main. Je l’abordai en ces termes :
- Euh bonjour mamoizelle. Vous êtes bien charmante, t’as vu.
- Bienvenue à l’archevêché. Que puis-je pour vous ?
- Vazy, je veux voir l’archevêque. Laisse-toi faire, laisse-toi faire.
- Bien sûr, je vous demanderai de patienter quelques instants.
Elle me désigna une salle d’attente cloisonnée de verre. Au moment où j’y dirigeai mes pas, elle me héla :
- Monsieur ! N’oubliez pas votre sticker « Guest ». Ca permettra aux cadres de l’équipe de vous donner accès aux bureaux de l’archevêché.
Elle m’agrafa un badge fluorescent au revers de la tunique en gloussant.

Putain de merde, j’étais en pleine redescente de speed. Tout ce qui m’avait paru bel et bon quelques heures plus tôt m’apparaissait désormais sous un jour hideux. Des pantins sans âme se bousculaient autour de moi en hennissant des âneries sans nom. Je ne voyais plus le moindre moyen de sélectionner ceux qui pourraient être sauvés de ceux qui devaient brûler. M’étais-je fourvoyé ?
    
Après quelques minutes passées adossé à un distributeur de boissons chaudes, à caresser langoureusement mon jerrycan, on me fit monter par l’ascenseur dans les plus hautes sphères de l’archevêché. La secrétaire personnelle de l’archevêque me fit remplir un formulaire avant de me laisser accéder au bureau de l’archevêque. C’était une immense pièce occupée par un lourd bureau en bois de teck surmonté d’un ordinateur. L’archevêque en personne se leva pour m’accueillir, la main tendue. Il était vêtu d’un superbe costume pied de poule, assez prêt du corps, tendance jeune et sportive. Il avait trente-cinq ans et un sourire étincelant.
- Bonjour, mon jeune ami ! Allez-y, installez-vous, qu’est-ce que je peux faire pour vous, c’est pour une conversion ? Hi hi non je plaisante, ne faites pas attention.
Il s’effondra dans son fauteuil, peaufinant son attitude décontractée jusque dans les moindres détails. Il me tendit un cigare en rajustant ses fines lunettes à monture d’écailles, son sourire commercial toujours plaqué sur la gueule.
- Vazy, c’est plutôt la classe par chez vous, t’as vu, lançai-je d’un air ébahi.
- Que voulez-vous, il faut bien soigner nos apparences. Vous ne croyez tout de même pas que les gens du peuple font confiance à d’austères religieux au teint cireux, cloîtrés dans des caves médiévales ? Aujourd’hui, le meilleur moyen d’être un winner, c’est de ressembler à un winner !
Je tétais mon cigarillo sans cacher mon air perplexe.
Je lui exposai mes projets en quelques mots et il m’écouta de bout en bout sans m’interrompre, d’un air attentif et amical :
- Bon t’as vu, y en a trop trop marre quoi. Ca peut plus durer, y a trop des cons quoi, faut qu’on les brûle tous putain. On est trop opprimés dans cette société à deux sous. Nique sa race, les cons, nique sa race ! Moi jte l’dis.
Et je frappai mon jerrycan du plat de la main pour donner plus de force encore à mes mots. Epuisé par cette haletante tirade dans laquelle j’avais placé toute mon éloquence, je m’abattis contre le dossier de ma chaise. L’archevêque hocha longuement la tête, compréhensif.
- J’ai bien compris votre démarche, mon cher, et je sais à quelles préoccupations profondes elles répondent. La progression de notre société vers un état de bonheur idéal ne peut être qu’un objectif que nous partageons. Nous avons de nombreuses valeurs en commun, vous et moi et j’apprécie grandement la confiance que vous m’accorder. Vous êtes venu me trouver, et je vous en remercie. Mais voyez-vous, je me permets d’exprimer quelques points de divergence entre nos conceptions, en espérant que vous me garderez votre confiance.
A ce point-là de son discours je n’en pouvais plus, assommé par sa dialectique menée de main de maître. Il fallait que je dorme. Mais je m’accrochai. Le sort de l’humanité dépendait de cet entretien au sommet.
- Comprenez-moi bien, je n’ai aucune intention de nuire à vos grands projets en aucune manière, mais je ne sais si nous pouvons y associer d’entrée nos services. La chrétienté se doit désormais d’aller de l’avant. Nous avons, après des siècles de réflexion, eu l’occasion de trouver un segment porteur, sur lequel nous souhaitons nous positionner avec force. Le doute n’est pas permis, le marché s’ouvre à nous, mon fils ! Pardonnez-moi, je m’emporte. Vous devez comprendre qu’une économie moderne ne peut fonctionner sans l’apport de produits innovants, et ces produits, nos services sont désormais à même de le proposer : une religion accessible, jeune, dynamique et ouverte à tous !
- T’as vu ?
- C’est pourquoi nous avons retenu votre projet et l’avons étudié avec toute l’attention qu’il mérite. Mais nous ne sommes plus à l’époque de l’Inquisition. Plutôt qu’une nouvelle croisade, nos conseillers en communication assistés de nos forces de ventes ont choisi de développer un nouveau système de prêche par SMS avec sonnerie carillon gratuite aux cent premiers inscrits, et de redorer l’image de la chrétienté en posant une enseigne clignotante à l’entrée de l’archevêché !
- Mais attends, ça a rien…
- Oh mais bordel, qui t’as permis de me parler sur ce ton, putain de ta mère !
Il se leva en trombe et disparut par une porte sur le coté, que je n’avais pas remarquée.

Abasourdi, je vis la porte claquer sans avoir pu esquisser le moindre geste. En hâte je me dressai pour courir à la suite de ce potentat gluant, bien décidé à lui faire entendre raison. La porte donnait sur un long escalier qui montait vers les plus hauts étages de l’archevêché. Je débouchai bientôt sur une enfilade de chambres sévèrement gardées par une nuée de bonnes sœurs que je bousculai, à la recherche de l’archevêque. Je finis par le découvrir dans une vaste pièce, entouré de dizaines de jouets en plastique, de poupées et d’animaux en peluche. Je m’arrêtai, saisi de stupeur. L’archevêque marmonnait lamentablement, couché à plat ventre entre un nounours vétuste et une poupée Barbie sans tête. Il leur parlait doucement :
- Il est méchant avec moi, le monsieur. Il est méchant ! Méchant !
Il fit bouger la poupée en contrefaisant une voix aigue de petite fille :
- Dis-lui d’aller se faire enculer, putain, on en a rien à foutre !
Puis, fronçant le nez, il parla pour le nounours :
- Dis-lui que si il continue on retrouvera son cadavre cousu dans le ventre de sa maman éviscérée.
- Oui, mais il va me taper, pleurnicha-t-il.
Je ne pouvais croire ce que j’entendais. Je tentai de lui faire entendre raison :
- Ecoute, Votre Succulence, c’est quoi ces gamineries ? Je vous cause de brûler des cons et vous vous jouez à la poupée ? T’as vu ?
C’est la Barbie sans tête qui me répondit en tortillant son fion de plastique :
- Hé toi pauvre connard, pourquoi t’irais pas plutôt traîner ta gueule d’hydrocéphale dans les taudis fangeux qui t’ont vu naître ? Tu commences à nous casser les burnes, abruti !
Et le nounours de renchérir :    
- On va t’arracher tous les tendons et te les faire bouffer accompagnée de ta mâchoire pilée au mortier !
- Mais arrêteeez, il va nous faire mal ! Je veux pas qu’il nous fasse mal !
- Va sucer la bite de ta grand-mère morte, branleur de gnous !
- Ton utérus servira de sac-poubelle quand on t’aura démembré !
- Une affiche clignotante… Oui c’est ce dont nous avons besoin. Une immense affiche qui clignote. En bleu. Oh oui…
- Et batard, ta mère c’est trop une conne !
Ulcéré par cette dernière remarque, je me dressai, les dents serrées. Incroyable : ce type était le plus gros con que la terre ait jamais porté ! Cette fois j’allais faire un exemple. Cet archénarque de pacotille et ses amis imaginaires en peluche allaient me servir de petit bois pour le plus grand feu d’alarme que la chrétienté ait connu. Sans pitié, l’esprit verrouillé sur ma détermination, j’empoignai mon jerrycan et me mis à arroser la scène de carburant. La peluche des animaux s’imbiba aisément d’essence, ainsi que le costume élégant de ce taré de merde. Avant que l’archevêque ait pu tenter le moindre geste, j’allumai le feu, et la pièce s’illumina brutalement, et s’emplit du rugissement céleste de l’incendie à l’oeuvre. Les flammes gagnèrent en un instant l’archevêque, qui se tordit de douleur et de terreur sous mon regard extasié.

Soudain cette torche humaine fut soulevée par une convulsion désespérée et se jeta sur moi, brandissant sa poupée fondue et son nounours vers mon visage. Les agitant frénétiquement, il couina :
- Tu nous cherche ou quoi, bâtard d’enculé ?
- On va t’empaler avec tes tibias et mettre tes entrailles dans un sachet congélation !
Je l’assommai à grands coups de jerrycan vide en hurlant, et il s’effondra dans le bûcher, entouré de tous ses jouets en train de se consumer. Au cœur d’un magma de fumée noire et étouffante je me retirai de cette scène d’apocalypse, environné de bonnes sœurs enflammées, qui se cognaient aux murs comme des billes de flipper.

J’étais accablé. J’avais voulu croire que notre civilisation était noyautée par la connerie, que seule une frange d’abrutis atténuaient son développement vers un avenir radieux, mais plus j’avançai dans ma quête, plus je comprenais que nous avions tous sombré dans une même folie. Il n’y avait plus rien à assainir, tout était corrompu, pourri jusqu’à la moelle. Nous courrions tous vers l’abîme d’un même élan et plus rien ne saurait nous sauver. Il n’y avait plus rien à attendre.

OK j'ai compris : puisque c'est comme ça je vais jouer à la roulette russe avec un lance-flammes.