Catharsis

Le 12/04/2005
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par Glaüx-le-Chouette
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Thèmes / Polémique / 2005
Glaüx-le-Chouette (me demandez pas comment ça se prononce, j'ai déjà du mal à l'écrire) vise ici la connerie archétypale. Sa victime c'est le boeuf de base, l'attardé ultime qui cumule tous les travers possibles. Un texte qui nous plonge dans les bas-fond de la connerie, concours de tuning de tracteur et bars de motards. Agressif, drôle, bien écrit, ça m'a l'air impeccable tout ça.
The roof, the roof, the roof is on fire !
The roof, the roof, the roof is on fire !
The roof, the roof, the roof is on fire !
We don’t need no water,
let the motherfucker burn !
Burn, motherfucker,
BUUUUUUUUURN !!!

Oh il en aura vu, des conneries, aujourd’hui. C’est pour la cause, mais putain, il en aura vu.

Sur la piste surchauffée par le soleil d’août, un crétin casqué, en cuir noir, s’amuse à faire fumer un pneu, en patinant sur place dans une flaque d’eau huileuse qu’il a répandue exprès. Essence cramée pour rien, CO2 par litres dans une atmosphère déjà sur-polluée, vapeurs de caoutchouc et de goudron fondu. Tout ce qu’il aime.
Connards.
Et dans les tribunes, des milliers de crétins pas casqués, certains en cuir noir, mais presque tous torse nu et suants leur bière, à brailler et agitant les bras en l’air : «wèèèèèè buuuuuuurn !!!».

Et son voisin, le pire de tous.



*******



Dans l’association, ils le lui avaient dit : ce sera l’enfer, n’y vas pas. Association de lopettes. C’est pour ça qu’il les a quittés. Association de défense de l’environnement et de la citoyenneté. Association de jeanfoutres à tisane aux plantes. Depuis des mois, ils bégayaient leurs conférences où personne n’allait, leurs soirées débat au fond des bars à vieux, leurs discussions de tractifieurs distingués. Mais rien, aucune action, aucune reconnaissance des foules, rien. Des mous.

Il avait craqué un soir, une mauvaise journée au travail, une mauvaise soirée à la maison, et là, ces mollasses qui pontifiaient encore sur leurs projets d’actions.

- C’est maintenant qu’il faut agir, bordel !
Grand silence à la Derrick. Puis le président, gueule de Derrick :
- Jean, nous ne sommes pas comme eux. Je t’en prie, Jean, ne leur ressemble pas.
- Vous foutrez jamais rien de vos dix doigts, bande de branleurs d’intellos !
Il avait assez peu modéré, mais c’était comme ça, c’était sorti. Alors tant qu’à faire, il avait lâché son projet à lui.
- Faut les cramer ! Faut en cramer au moins un, faire un exemple ! Le pire, tu le prends, le pire des cons, le plus gros trou du cul anti-civique et pollueur, et tu en fais un holocauste ! Et là on nous verra !
Silence ébahi.
- Je propose l’éviction définitive de monsieur Jean Delesquif du mouvement, avait posé un Derrick impérial.
Il n’avait pas attendu que les mains se lèvent pour balancer son infusion aux bajoues de Derrick, et pour s’en aller en les insultant tous copieusement.

Puis tout est allé très vite.
Il est parti s’en jeter un dans un vrai bar, le « Route 66 », motards et bières à volonté, pour affiner son plan.
Son plan : trouver le pire des pires. L’approcher. L’amadouer. Passer avec lui la pire journée des pires journées de pollueur et de beauf, de con fini. Filmer, photographier, enregistrer les allocutions et les rots du con au dictaphone, noter ses bons mots, garder tous les témoignages sociologiques possibles. A titre de preuves et de justifications de son acte, pour la postérité.
Puis le brûler proprement et bien visiblement.
Et qu’on en parle, bordel !

L’avantage, avec des bars de motard, c’est qu’on trouve vite des pistes, pour un projet comme ça.
Dans un coin tendu de toiles camo type « tempête du désert », quatre ou cinq obèses en bon chemin papotaient chasse. Au comptoir, le YMCA en casquette de cuir traditionnelle titillait son verre de whisky on the rocks en zyeutant le barman. A l’endroit le plus sombre, trois skinheads se taisaient, bras croisés pour faire ressortir les biceps qu’ils n’avaient pas et pour cacher les points rouge sombre des piqûres à l’intérieur de leurs coudes. Au milieu, les habitués du degré zéro, jean et tête d’alcoolo débutant, avec la proportion légale d’étudiants baveux qui rient trop fort.

Et tout à coup, dans un grand vent de lumière, le vainqueur qui entre.

Le camouflage, il l’avait aux jambes, avec des poches à revendre. En haut, débardeur taché de sueur sur la poitrine. Casquette « Man » usée. Rangos à faire baver les chauves muets. Un bon vrai bide à bière, de ceux qui avancent bien par-dessus la ceinture, de ceux qui se portent avec fierté, de ceux qu’on ne voit pas de dos. Cheveux mi-longs et entièrement gras, gras à vomir.
Il avance au comptoir. Il braille « salut les tarlouzes ! ». Ca fait rire tout le monde (sauf les skinheads), preuve qu’il est de la famille. Il est déjà bourré. Et il commande une Budweiser en cannette d’un demi.
C’est lui.

Faire connaissance avec un pochtron, c’est vite fait. Après trois Bud, il te tombe dans les bras en disant qu’entre vous, c’est à la vie, à la mort, que tu es comme son frère, que d’ailleurs il n’a pas de frère, que même que si tu lui demandais sa femme il te la donnerait, ha ha ha, ha ha ha.
Après le bar, deuxième bar, avec des billards, histoire de frotter son ventre sur du velours en maniant des queues d’un mètre vingt en bois d’arbre, satisfaction qui semble plaire assez au gros con.
Après le flot de vomi sur le billard du second bar qui a un peu énervé le gérant, troisième bar, bien glauque, avec des danseuses à poil, juste ce qu’il faut pour finir en beauté cette première prise de contact.
Ils rentrent seuls, bien entendu.
Jean conduit la Toyota Celica du gros con, bien entendu aussi. C’est demain qu’il doit mourir, le gros con, pas ce soir bêtement et inutilement sur la route.
Adresse notée, rendez-vous pris avec son nouveau « frère de sang » pour le lendemain : il y a un meeting de tracteur-pulling dans la campagne pas très loin. Dieu est grand. Sa Providence est incroyable.

Matinée du lendemain : passage à la FNAC, achat d’un dictaphone de qualité, d’un caméscope numérique, d’un appareil photo à 5 mégapixels, faut de la qualité pour une telle occasion. Le vendeur assure que même pour filmer un feu de près, ça passe, en réglant bien. Petit carnet à anneaux, pour le crayon ça va, ils ont gagné un Bic au Route 66 la veille, dans un concours, en criant les premiers le titre d’une chanson d’ACDC.

Midi. Pâtes au poivre, café noir.



*******



Treize heures. Deuxième acte.

Il arrive devant le pavillon du gros con. Beau gros pavillon avec un jardin constitué exclusivement de pelouse, pas d’herbe, de pelouse, taillée au millimètre, forcément, avec un tracteur comme celui qui trône sous son auvent à côté de la maison...
Dans l’allée bétonnée du garage, la Celica rouge métallisée, surbaissée, pneus extra-larges, jantes alu à boulons titane, spoilers avant et arrière au ras du sol, autocollant « The Winner Touch » sur la vitre arrière fumée, prise d’air au capot, système son 400 watts qui tient tout le coffre, de toutes façons c’est pas pour partir en vacances, pour ça y a la BM.
Garage ouvert sur la moto et la BM. Un peu râpée sur le côté droit, la moto, parce qu’il est tombé, cette semaine, en revenant d’une manif de deux-roues contre les limitations de vitesse, même qu’il a failli mourir, mais c’était à cause du casque intégral qu’on l’oblige à porter, ça empêche de voir derrière soi, putain de gouvernement.

Et le gros vainqueur, dans le gazon, qui dort.

Il est mignon quand il dort.
Une cannette de 50 centilitres à la main qui déborde sur son ventre, une tong tombée par terre, l’autre suspendue aux champignons de son gros orteil. Petit filet de bave sur la joue gauche.
Le berger allemand n’est pas content. Forcément, il est enchaîné devant la Celica toute la journée, alors quand un inconnu arrive, il a envie de jouer avec sa tête pour se détendre un peu. Il réveille le gros con en aboyant comme un hooligan.

- Ooooh toi ici, mon frère !
- Eh oui [gros trou du cul tu vas crâmer], une promesse, c’est sacré !
- Ah viens mon ami, prends une bière pour te rafraîchir, et on y va !
- Ouais, faut pas rater le début, c’est là qu’il y a des accidents [espèce de porc je déteste ta vie] !
- Hé hé hé on est pareils, hein ! Eh, la dernière fois tu sais qu’y en a un qui est mort ?
- Noooon !?! [et t’as joui dans ton short ?]
- ‘Tain c’était génial.

Bière obligatoire, caresse au capot de la Celica, coup de pied au chien en passant, doigt d’honneur au voisin qui est un sale con d’intello de merde, le gros con de Jean accomplit son rituel quotidien, et ils s’en vont tous les deux dans leurs sièges baquet à sangles.

Tracteur-pulling.
Indescriptible.
Accident, un camion se renverse sur le dos et son conducteur, hélicoptère médical, le gros con s’excite à côté de Jean.
Pub Corona, distribution gratuite de binouzes, le gros con s’exalte.
Pom Pom Girls, le gros con ouvre grand ses yeux lourds et chassieux.
Démonstration de tirage de poids lourd avec les dents, puis avec les cheveux, un Suédois titré Homme Le Plus Fort Du Monde 1999, le gros con se dit que c’est facile, avec ces harnais, et le dit, et rigole comme un porc glaireux.
Grande finale du tracteur-pulling. Explosion de trois moteurs, flammes, un conducteur en feu qui crie « Mon Dieu », Pom Pom Girls pour laisser partir l’ambulance, retour des finalistes, vrombissements, quinze secondes de course, victoire d’un des deux, c’est fini, et heavy metal à blindes dans la sono.
Corona bis.

Quelle bonne après-midi.
Avec toutes les citations enregistrées, « la Corona c’est pour les pédés mais ça fait des rots parfumés au citron, j’aime bien », « oh la Pom Pom, prends plutôt mon bâton à moi wahaha », « crame, putain, crame », « bof c’est de la gonflette j’suis sûr il se dope », « putain ces camionneurs quand même y zont la classe », « eh écoute, brôôôpbooonjouuuuuhrrrhhhôps wahahahahahaha », avec tout ce qu’il avait noté de la nuit précédente, avec le film de l’après-midi, les photos du pavillon, de la Celica, il avait son dossier.
Fin du deuxième acte. On rentre.



*******



Dernier acte.

Après quatre Corona gratuites (resquillage en règle) et six Bud achetées d’avance et bues au tracteur-pulling, le gros con est déjà bien mûr. Reste à l’achever avec la vodka-surprise coupée à l’essence, que Jean a apportée et gardée dans son coffre, dans une glacière. Puis à l’asperger de l’essence pure qu’il a dans son jerrican de 20 litres, à côté de la glacière, à allumer, et à filmer tranquillement.

Quand le gros con voit la Smirnoff, il commence à pleurer d’émotion, à chaudes larmes, qui humectent les paquets blancs au coin de ses yeux.
Bourré comme il est, il boit son essence sans sourciller, il la trouve même bonne, la meilleure qu’il est jamais bu, même si « c’est pas de la vodka de pédé, putain ».
Tant qu’à faire, Jean refait un tour dans la maison, pendant que le gros con s’installe dans sa chaise de jardin en bois de teck de forêt protégée, et rigole tout seul.
Photos des posters de Jean-Claude Vandamme, photo émue des posters tachés de Pamela Anderson en maillot rouge pas assez serré, photo du contenu du réfrigérateur, bières et pizzas périmées, photos de loin des toilettes de célibataire alcoolique.
Jean commence à avoir envie de vomir.
Il descend une vraie vodka sans essence au bar américain du salon, tout seul, et emporte la bouteille avec lui. Il descend à la cave.
Vodka.
La motoooo ! La moto. Il avait failli oublier la moto.
Tiens, et du matériel de chasse, là.

- Wô copain !
- Wé Jean, qu’est-ce qu’y a mon frère !
- Mais t’es chasseur !
- Hééhéhéhéhé ouais mon vieux ! T’as vu cette arme ?
- Pétard. [le con.]
- Et attends, j’va te montrer un truc.
Il arrive en titubant vraiment beaucoup. Il s’approche du fond du garage, il fouille dans le vrac, et sort une caisse en bois longue et plate.
- Regarde ça, mec.
Un fusil automatique. Parfaitement interdit, parfaitement dangereux.
- Un kilomètre cinq de précision, deux et plus de portée, huit tirs à la seconde en automatique, j’ai même des balles dum-dum et des explosives que même les Ruskovs y zont du mal à en trouver encore des comme ça. Pas pour les fiottes, ça. Un jour, j’me les farcirai tous. Ces enfoirés de cons.

Bieeen.
Vodka.
Il est temps. Epilogue.

- Tiens, trinque avec moi, mon pote !, dit Jean, crie Jean même, parce que la vodka, c’est fort, quand on a l’habitude de la verveine.
- Ouais, on est pareils, hein, on les butera tous, ces enculés de cons, un jour !
- Ouais, on va les cramer ! Et tu sais quoi ? Ce soir !
Vodka.
- Oh ?
- Wééééé !

Vodka.

Faut de la musique.
Qu’est ce qu’il a, comme musique. Un truc qui bouge. Jean marche jusqu’à la Celica en essayant de respecter les variations du champ de gravité et les virages répétés de la ligne droite jusque là-bas.
Eeeet voilà, Bloodhound Gang, très bien ça. Ah ha. Trop cons, ceux-là.
Et hop, Fire Water Burn ! A donf ! 400 watts dans ta gueule ! Coffre ouvert !

Oh, le gros con est en train de vomir par terre dans la cave. Sûrement l’essence à la vodka qui brûle un peu les muqueuses. Normal.

Vodka.

Jean retrouve le chemin de la cave virage par virage, avec son jerrican à la main.
Et la motoooo ! Il a oublié de parler de la moto ! Maintenant le gros con, par terre,il est plus du tout en état de lui en parler, d’ailleurs il a la langue toute rouge déjà, et il la sort en gémissant, c’est joli, sur le gris du ciment.
Il gémit juste : « on est pareiiiiiils ».
Ouais.
Vodka.
Vite, le brûler, avant la fin de la chanson.

Vodka.

The roof, the roof, the roof is on fire.

Et hop, le bidon d’essence sur le gros con.
Où sont les allumettes.
Vodka.
Ah les voilà.

Oh, une idée !
La moto !

Vodka !

Contact !

The roof, the roof, the roof is on fire !
The roof, the roof, the roof is on fire !
The roof, the roof, the roof is on fire !
We don’t need no water, let the mother fucker...



BUUUUUUUUUUURN !!!



*******



Monsieur Machinchose en a légèrement assez d’entendre cette musique de malade mental. Il sort de sa véranda pour aller expliquer à son voisin ce qu’il en pense, et lui rappeler les fondamentaux de la vie en société.

Lorsqu’il arrive devant la Toyota Celica, il entend « wouch » et sent un souffle bousculer la mèche qui lui reste sur le crâne.

« The roof, the roof, the roof is on fire
We don’t need no water, let the motherfucker buuurn ! »

Son voisin brûle dans sa cave, tandis qu’un inconnu, assis sur sa moto, vient de mettre le feu à ce qui devait être une flaque d’essence, en patinant dedans jusqu’à ce que les pneus brûlent.

L’inconnu hurle la chanson d’une voix acide et aiguë, de plus en plus aiguë, jusqu’à ce que la douleur de l’explosion de son globe oculaire gauche le force à arrêter et à hurler proprement comme un brûlé vif.



*******



Allez tous cramer, bande de cons.
Et moi aussi je me brûle avec vous.
Tas de cons.