Mangerbouger
Posté le 02/10/2008
par Lembaumeur
Putain de Dieu, on a bien failli réussir notre coup !
J'aurais donné n'importe quoi pour un bon vieux cassoulet. Un truc méchant, des flageolets, du confit de canard, de la graisse d'oie, des saucisses épaisses et juteuses. Et puis le tout arrosé d'un bon vin, du VRAI vin, avec de l'alcool et des sulfites. Putain de dieu. Je vendrais père et mère (paix à leur âme !) pour envoyer des pets bien odorants de ces effluves épaisses, charnues, et pas ces ersatz de prout au jus, fadasses et insonores.
Le consortium « Mangerbouger » naquit au début du siècle, le plus insidieusement qui soit. Par un habile jeu de lobbying international, ce mystérieux cartel s'est efforcé d'instiller dans la population l'idée qu'une consommation illimitée de fruits et de légumes, associée à une activité sportive régulière et journalière était la garantie d'une vie longue et heureuse. Antioxydants, Vélo d'appartement, Vitamines Abécédaires, Step, Oligo-éléments, Jogging, Omega, Sport Elec, Fibres, Fitness... La recette du bonheur, matraquée à longueur de journées, relayée sur tous les écrans de télévisions, soutenue par les gouvernements, injectée à tous les niveaux de la société. Ah ! Si c'est bon, alors, pourquoi pas ? Et tout le monde s'y met, pendant que les cours des produits maraîchers s'envolent, qu'on fait la queue pour s'inscrire dans des salles de sports dernier cri, que le Kosovo s'en va en couille et que les dictatures qui ne disent pas leurs nom s'évertuent à presser le jus, la sève, les forces encore vives de leur population opprimée, mais consentante, masochiste (vas-y fouette, fouette-moi grand fou !), peuple sodomisé sans vaseline par les grosses légumes assoiffées de pouvoir...
Ouais, bon, moi, tout ce que je voulais, c'est me taper un bon gros cassoulet.
Peu à peu, la pieuvre piteuse étendit ses tentacules gluants. Tout le monde était dans le coup. La World Vegetables Company, entreprise maraîchère mondialisée avait bouffé toute la concurrence grâce à ses pommes transgéniques maousse costaudes. Deux kilos la pomme, on avait battu des records ! Et toujours le slogan inlassablement ânonné par les médias en chaleur : Manger ! Bouger ! 5 fruits et légumes par jours ! et puis 6 et puis 7 ! Tenez, ce magnifique bouge-fesse à prix cassé en téléachat, préchi-précha ! Manger ! Bouger ! Inflation du prix des matières agricoles, on fait grimper la demande ! L'appel était relayé par quelques médecins peu scrupuleux ou carrément naïfs ! Antioxydants, Oméga 3 et 6 ! Manger ! Bouger ! On a bientôt organisé des stages gouvernementaux de nutrition (Manger !) et de sport (Bouger !) d'intérêt public payants et obligatoires pour apprendre une hygiène de vie optimale.
L'amaigrissement progressif de la population. Une population d'affamés volontaires. Une aubaine, pour tous les puissants. L'anorexie est peu à peu devenue la norme, véhiculée par la mode et tous les médias complices. La plèbe non seulement a faim mais souhaite la faim ! C'est la fin... Un autre compère s'est alors révélé : les labos pharmaceutiques, notamment le géant Sanofzer, pourvoyeurs de médications délétères (compléments alimentaires, coupe-faims, et plus tard, la pharmacopée censée soigner les nouvelles pathologies liées à la malnutrition...). La consommation de féculents et de matières grasses est devenue prohibée. Le légume roi ! Le roi-légume ! Manger !
En quelques décennies, l'immense majorité n'avait plus que la peau sur les os, silhouettes décharnées prêtes pour le grand charnier, se rendant chaque années dans les camps gouvernementaux d'effort et d'amaigrissement. Peuple docile car crevant la faim, crevant aussi de la chiasse provoquée par tous ces végétaux. Oui, les fabricants de chiottes publiques étaient aussi sur l'affaire ! Et les sociétés de nettoyage ! Ils ont tout sucé de notre sang, de notre moelle. Même notre merde s'est muée en immonde profit ! Notre merde liquide et verdâtre, le ferme et bel étron devenu fiction.
Je bossais dans une société de ce type chargée de tous les gogues publics de la capitale. J'avais tout du brave employé modèle : docile, obéissant, servile, serpillière, mur sur lequel on pouvait pisser tranquillement... Une fiotte, comme tous mes compatriotes. D'une bonne constitution, j'arrivais à garder une certaine forme, même avec les régimes alimentaires imposés. Ce job était pour moi et je l'obtins sans difficulté. Un poste a temps plein, ça n'a pas de prix de nos jours, où le taux de chômage atteint les 50%. De toutes manières, la plupart des actifs sont trop affaiblis pour travailler. Je passais donc mes journées à nettoyer les éclaboussures chiasseuses des gens, dans ces innombrables rangées émaillées de cuvettes. Ça puait. Une odeur rance, une odeur de mort. Et moi, je rêvais de cassoulet. J'étais assez âgé pour me souvenir de ce que ça signifiait.
C'est là que j'ai été contacté par la Résistance Alimentaire. Ce groupement armé se battait au quotidien pour sortir la population du joug de la faim, mais comment sauver quelqu'un malgré lui ? Les gens, aveuglés, apeurés, se vidant en permanence de leur douzaine de fruits et légumes ingurgités par jours, rendus dépendants, fascinés par la maigreur, hypnotisés par la télé immersive. Je me suis quand même engagé, pour essayer de sortir de ce pétrin. On faisait quelques actions d'éclats, vite étouffées par le pouvoir en place. Distributions de tracts, collage d'affiches, distribution de pâtes alimentaires dérobées dans un entrepôt militaire... J'avais personnellement plastiqué quelques toilettes dont j'avais la charge. Mais on jouait serré. La surveillance était maximale, à cause du terrorisme dont on entendait constamment parler depuis trente ans.
On se réunissait mensuellement pour décider des orientations du mouvement, des appuis à l'étranger, des futures actions. C'est là que ces fils de pute nous ont chopé. Une brigade sanitaire au complet a fait irruption au milieu de notre petite sauterie... L'avenir s'annonce bien sombre pour ceux qui n'ont pas réussit à fuir. Une rééducation complète dans les camps de classe 2, d'où personne ne revient intègre. Trahison ! Trahison ! C'est la débâcle... Notre misérable petit mouvement s'est éteint dans l'œuf, laissant la place à toute l'horreur d'un monde où la faim est la loi. Un monde sans cassoulet, pendant que je savoure le mien avec un plaisir sans remord.
Posté le 02/10/2008
par Lembaumeur
Putain de Dieu, on a bien failli réussir notre coup !
J'aurais donné n'importe quoi pour un bon vieux cassoulet. Un truc méchant, des flageolets, du confit de canard, de la graisse d'oie, des saucisses épaisses et juteuses. Et puis le tout arrosé d'un bon vin, du VRAI vin, avec de l'alcool et des sulfites. Putain de dieu. Je vendrais père et mère (paix à leur âme !) pour envoyer des pets bien odorants de ces effluves épaisses, charnues, et pas ces ersatz de prout au jus, fadasses et insonores.
Le consortium « Mangerbouger » naquit au début du siècle, le plus insidieusement qui soit. Par un habile jeu de lobbying international, ce mystérieux cartel s'est efforcé d'instiller dans la population l'idée qu'une consommation illimitée de fruits et de légumes, associée à une activité sportive régulière et journalière était la garantie d'une vie longue et heureuse. Antioxydants, Vélo d'appartement, Vitamines Abécédaires, Step, Oligo-éléments, Jogging, Omega, Sport Elec, Fibres, Fitness... La recette du bonheur, matraquée à longueur de journées, relayée sur tous les écrans de télévisions, soutenue par les gouvernements, injectée à tous les niveaux de la société. Ah ! Si c'est bon, alors, pourquoi pas ? Et tout le monde s'y met, pendant que les cours des produits maraîchers s'envolent, qu'on fait la queue pour s'inscrire dans des salles de sports dernier cri, que le Kosovo s'en va en couille et que les dictatures qui ne disent pas leurs nom s'évertuent à presser le jus, la sève, les forces encore vives de leur population opprimée, mais consentante, masochiste (vas-y fouette, fouette-moi grand fou !), peuple sodomisé sans vaseline par les grosses légumes assoiffées de pouvoir...
Ouais, bon, moi, tout ce que je voulais, c'est me taper un bon gros cassoulet.
Peu à peu, la pieuvre piteuse étendit ses tentacules gluants. Tout le monde était dans le coup. La World Vegetables Company, entreprise maraîchère mondialisée avait bouffé toute la concurrence grâce à ses pommes transgéniques maousse costaudes. Deux kilos la pomme, on avait battu des records ! Et toujours le slogan inlassablement ânonné par les médias en chaleur : Manger ! Bouger ! 5 fruits et légumes par jours ! et puis 6 et puis 7 ! Tenez, ce magnifique bouge-fesse à prix cassé en téléachat, préchi-précha ! Manger ! Bouger ! Inflation du prix des matières agricoles, on fait grimper la demande ! L'appel était relayé par quelques médecins peu scrupuleux ou carrément naïfs ! Antioxydants, Oméga 3 et 6 ! Manger ! Bouger ! On a bientôt organisé des stages gouvernementaux de nutrition (Manger !) et de sport (Bouger !) d'intérêt public payants et obligatoires pour apprendre une hygiène de vie optimale.
L'amaigrissement progressif de la population. Une population d'affamés volontaires. Une aubaine, pour tous les puissants. L'anorexie est peu à peu devenue la norme, véhiculée par la mode et tous les médias complices. La plèbe non seulement a faim mais souhaite la faim ! C'est la fin... Un autre compère s'est alors révélé : les labos pharmaceutiques, notamment le géant Sanofzer, pourvoyeurs de médications délétères (compléments alimentaires, coupe-faims, et plus tard, la pharmacopée censée soigner les nouvelles pathologies liées à la malnutrition...). La consommation de féculents et de matières grasses est devenue prohibée. Le légume roi ! Le roi-légume ! Manger !
En quelques décennies, l'immense majorité n'avait plus que la peau sur les os, silhouettes décharnées prêtes pour le grand charnier, se rendant chaque années dans les camps gouvernementaux d'effort et d'amaigrissement. Peuple docile car crevant la faim, crevant aussi de la chiasse provoquée par tous ces végétaux. Oui, les fabricants de chiottes publiques étaient aussi sur l'affaire ! Et les sociétés de nettoyage ! Ils ont tout sucé de notre sang, de notre moelle. Même notre merde s'est muée en immonde profit ! Notre merde liquide et verdâtre, le ferme et bel étron devenu fiction.
Je bossais dans une société de ce type chargée de tous les gogues publics de la capitale. J'avais tout du brave employé modèle : docile, obéissant, servile, serpillière, mur sur lequel on pouvait pisser tranquillement... Une fiotte, comme tous mes compatriotes. D'une bonne constitution, j'arrivais à garder une certaine forme, même avec les régimes alimentaires imposés. Ce job était pour moi et je l'obtins sans difficulté. Un poste a temps plein, ça n'a pas de prix de nos jours, où le taux de chômage atteint les 50%. De toutes manières, la plupart des actifs sont trop affaiblis pour travailler. Je passais donc mes journées à nettoyer les éclaboussures chiasseuses des gens, dans ces innombrables rangées émaillées de cuvettes. Ça puait. Une odeur rance, une odeur de mort. Et moi, je rêvais de cassoulet. J'étais assez âgé pour me souvenir de ce que ça signifiait.
C'est là que j'ai été contacté par la Résistance Alimentaire. Ce groupement armé se battait au quotidien pour sortir la population du joug de la faim, mais comment sauver quelqu'un malgré lui ? Les gens, aveuglés, apeurés, se vidant en permanence de leur douzaine de fruits et légumes ingurgités par jours, rendus dépendants, fascinés par la maigreur, hypnotisés par la télé immersive. Je me suis quand même engagé, pour essayer de sortir de ce pétrin. On faisait quelques actions d'éclats, vite étouffées par le pouvoir en place. Distributions de tracts, collage d'affiches, distribution de pâtes alimentaires dérobées dans un entrepôt militaire... J'avais personnellement plastiqué quelques toilettes dont j'avais la charge. Mais on jouait serré. La surveillance était maximale, à cause du terrorisme dont on entendait constamment parler depuis trente ans.
On se réunissait mensuellement pour décider des orientations du mouvement, des appuis à l'étranger, des futures actions. C'est là que ces fils de pute nous ont chopé. Une brigade sanitaire au complet a fait irruption au milieu de notre petite sauterie... L'avenir s'annonce bien sombre pour ceux qui n'ont pas réussit à fuir. Une rééducation complète dans les camps de classe 2, d'où personne ne revient intègre. Trahison ! Trahison ! C'est la débâcle... Notre misérable petit mouvement s'est éteint dans l'œuf, laissant la place à toute l'horreur d'un monde où la faim est la loi. Un monde sans cassoulet, pendant que je savoure le mien avec un plaisir sans remord.