Lewis : Oui, j'ai été élevé violon. Violon de laboratoire.
J'ai suivi un régime spécial, pour devenir violon, rester violon, et ne pas grossir violon.
J'ai eu un médecin de violon, médecin à violon, sorte de plante grimpante autour du violon.
Et moi je grimpais violon. Seulement voilà. Quand j'ai eu dix-huit ans, tout le monde a disparu :
papa, maman, le docteur. Violon je suis resté tout seul, dans mon étui, comme un con.
Angélique : Violon de naissance.
Lewis : Non ! … Mes parents n’étaient pas des violons. Mais maman aimait, elle, le violon. Ma mère. Mon père, lui, fabriquait des poêles à charbon, en fonte, pas petites séries de huit ou six, près de Bar-le-Duc, dans une petite usine qu’il dirigeait tout seul.
Mort en faillite.
Angélique : Moi mon alto je l’ai acheté toute seule.
Lewis : Je suis resté tout seul à Bar-le-Duc, avec mon violon. Personne ne voulait croire que je jouais du violon. Maman seule était au courant, et elle avait disparu : une fugue, double ou triple, on ne sait plus, depuis le temps qu’elle dure, sa fugue.
Jamais revue.
Angélique : Mais moi je tiens mon alto toute seule.
Lewis : Mais moi, la musique tout seul, je n’y pensais même plus !
« Toute seule ! » C’est là que tu dérailles ! « Musique ! »
« Tout seul ! »
Tout seul ! Et d’ailleurs pas plus moi que personne, je ne me croyais violoniste.
Le désert ! Il m’aurait fallu comme une révélation. Moi, je n’y pensais même plus, je cherchais, ailleurs, partout, ce que j’allais devenir.
Je me regardais dans la glace, le manche de mon violon à la main et je me disais : pourquoi pas champion de tennis.
Mais ma mère n’était pas née mère de champion de tennis.
Angélique : C’est avec ta maman que tu fais de la musique.
Lewis : Oh ! Un jour, j’ai rencontré Viviane, elle jouait de la flûte traversière !
Comme quand quelqu’un a une tache de cambouis sur le nez, tache qu’il ignorait, Viviane m’a dit : « Je vous demande pardon, monsieur, mais je crois bien que vous avez un don pour le violon. » « Un don. »
Ça ne s’essuie pas comme une tache avec son mouchoir.
Et comment ! J’étais doué. Doué de tout ce qu’il faut à un grand violoniste. M’amuse pas.
J’aimerai bien préférer un autre métier qui m’amuse un peu. Mais je ne préfère rien.
La belote m’ennuie ; Tout m’ennuie.
Je ne sais pas pour qui je joue si bien du violon, Angélique, mais je peux vous dire que ce n’est pas pour moi.