Dual Edit 4 : ses femmes, ses chiennes

Le 15/03/2008
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par Aelez
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Rubriques / Dual Edit
Bizarre, les textes de cette rubrique ne cessent de diminuer de taille. Nos auteurs ont choisi la concision, c'est pas un mal. Cette fois, le style subit un sérieux lifting et devient plus lisible, sans être bas-de-gamme. Le texte en devient plus ordinaire, mais plus accessible. Et c'est de la bonne came, rien à dire. Reste que l'action aurait pu être plus détaillée, ça ne m'aurait pas dérangé.
"Le plagiat est nécessaire. Le progrès l'implique. Il serre de près la phrase d'un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par une idée juste." (Comte de Lautréamont, Poésies II)

Dual edit : le principe
Dual edit 1 : le chien de Dieu
Dual edit 2 : la voix de ceux
Dual edit 3 : crains et révère
J’allais partir. J’allais le faire, j’ai encore perdu mon temps avec Eve. Hülye kurva. Je lui dois les trois quarts des merdes qui me sont arrivées depuis que je suis ici. J’avais presque atteint la sortie de l’impasse quand il est apparu au coin. Il m’a regardée, de ses yeux habités par les diables, puis il a marqué un temps d’arrêt, redressé ses épaules au port déjà parfait, laissé tomber sa main dans la poche plaquée de sa veste gansée de noir, et il a repris sa marche droit vers moi.
C’était déjà fini. Parce que personne n’échappe au maître.

J’étais agitée de tremblements frénétiques. Impossibles à réprimer, causés par les bulles de peur acides qui éclataient contre les parois de mon estomac, retombant en bruine brûlante dans mon bas ventre.
Il s’approchait de moi à pas mesurés, inébranlable, la main toujours nonchalamment oubliée dans le velours. Sûr du halo auratique qui flottait dans son sillage, certain qu’il en jouirait cette fois comme toute les autres fois. Parce que personne n’échappe au Maître.

Eve. Celle là à qui je devrai mon ultime expiration, Evelyne Gondrand - seule pute Française du quartier chinois, hostile et abhorrée rivale - me regardait avec une sorte de compassion effrayée, en oubliant même de tirer sur sa gauloise. Scène plus que déroutante devant laquelle mon esprit - peut-être mu par une curiosité morbide - a réintégré mon corps. Et j’ai vu ce qu’il s’y passait.
Je sentais ses doigts caresser chaque veine de mon cou tandis qu’il soufflait dans mes cheveux des mots que je ne percevais pas. Mes yeux aveugles s’écarquillaient comme pour capter les dernières ondes de lumière grise, tant et si bien que j’entendais mes orbites craquer.
Alors je suis partie comme j’étais revenue, et d’en haut, j’ai regardé mon corps s’effondrer sur les pavés crasseux.

Il a fait un pas en arrière, les yeux fixés sur ma dépouille inerte. Il a sorti la main de sa poche. Son poing était serré. Il a déplié chacun de ses doigts un à un, a pianoté quelques notes dans l’air épais de l’impasse en faisant cliqueter chevalières et fins anneaux d’or. Je l’avais contrarié. Il serait moins galant avec la suivante.

Nous étions trois dans la ruelle - avant ma mort, s’entend. Eve et Nora se disputaient maintenant les faveurs du maître, au moins dans son esprit à lui. Concrètement, Nora l’exprimait en reculant millimètre par millimètre vers le préau, et Eve en se liquéfiant littéralement sur place, les traits déformés par la terreur.
C’est celle qui fut l’objet de son choix. En deux secondes, il était sur elle. Tout se passa très vite : de livide, elle passa à l’écarlate, alors que ses yeux vides s’embrasaient d’une volonté de destruction stérile. Elle se débattait en vain, mais en y mettant tellement d’énergie qu’il dut lui immobiliser les bras avant de la plaquer au mur mérulé. Une fois, puis deux, puis trois. Entre chaque coup, il enfouissait son visage dans le creux osseux de sa gorge. Quatre, cinq. Elle continuait à glapir des injonctions indiscernables. Six. Quand son dos heurta le béton pour la septième fois, le silence se fit. Et elle abandonna ce corps qu’il prétendait posséder, préférant le trépas à la ruine, murant définitivement les portes de son âme avant que le démon s’y insinue.

Je riais. Je riais aux éclats en contemplant sa carcasse froide. « Ta gueule, me dit-elle, c’est fini. » On a regardé la rue en bas, ensemble. « Y’a plus rien ici, elle a continué, j’y vais, tu viens ? » « Attend. » Je lui désignais Nora. Elle courrait vers une improbable issue, dérapant sur le sol humide. La main du maître coula à nouveau dans sa poche, puis en ressortit fleurie d’un Walther neuf millimètres. Il tira. Le seul bruit qu’on entendit fut celui, sourd, du crâne sur les pavés.

« On peut y aller, maintenant. » Et nous partîmes, toutes les trois, moins affectées que nous aurions dû. Parce que nous avions échappé au maître.