Un soir, tous les soirs

Le 01/12/2005
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par Womble
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Pour sa première contribution, Womble fait assez fort. Son texte fait penser à Bret Easton Ellis pour la satyre désabusée d'une jeune génération dorée, qui noie son ennui dans la fête et la drogue. Rien de très novateur donc, mais c'est très bien écrit et bien vu, et le texte sans trop tomber dans les clichés bas-de-gamme réserve quelques coups au bide. Très bon.
La nuit. La nuit et le froid. Les réverbères étalent implacablement leurs lumières blafardes sur les trottoirs et les murs de la ville endormie.
J’enfile ma jupe par-dessus mes bas. Je réajuste le porte-jarretelles. Ceinture, fine en cuir cloutée. Top « FCUK » noir à col déchiré. Escarpins. Une Vodka sèche. Passage par la salle de bain. Maquillage. Retour sur la Vodka. Je dissimule mon visage sous ma nouvelle mèche platine et mes lunettes de soleil qui couvrent mes pommettes jusqu’aux sourcils.
Mon sac est sur le lit défait. Cigarettes, deux paquets. Briquet, de toute manière on me les allumera. Argent, 400€ devraient suffire. Je reprends 50 pour le taxi. Papiers, gloss, shit. Tout y est.
Je me penche dans l’escalier. Ma mère est dans le salon, elle regarde la télé. Je sors discrètement. La porte claque derrière moi. Tant pis. La voiture est déjà dans la rue. Thomas, Aurélien, un autre type que je ne connais pas qui embrasse langoureusement une pouf’ en mini-jupe plissée avec bottines et top « Dior ». Cette conne n’a même pas de bas.
Les lumières défilent derrière les vitres teintées de la BMW. Thomas conduit toujours trop vite. Je lui dis :
- « M’en fout. Réponds-t-il distraitement. Les amendes c’est comme la caisse et l’essence, c’est mon daron qui crache. »
Aurélien depuis la banquette arrière me tend le joint qu’il avait pris des mains de Thomas. Je tire à plein poumon, retient ma respiration un instant puis recrache lentement la fumée qui obscurcit l’intérieur de la voiture. Derrière les deux autres se bécottent toujours, la fille est visiblement partie pour un tour gratuit des amygdales de son copain.
- « Putain, tu fais chier à fumer comme un phoque, j’y vois rien. » Thomas.
- « Oh ta gueule, comme si t’étais pas content d’en profiter. »
- « Non mais vous faites chier. Vous avez envie de sodomiser un camion ce soir ? »
- « Je suis pas contre, s’il me prend après » Aurélien, gay comme jamais.
Rires, que ne partage pas Thomas. Les deux du fond recommencent à s‘embrasser. La fille a glissé sa main dans le pantalon du mec.
Thomas fait la gueule. Ca m’énerve, il va me foutre en l’air ma soirée. Je lui dis.
- « Bordel Thomas commence pas, c’est chiant »
- « Laisse, il est vénère parce qu’il a plus de Cé » Lance Aurélien, mi-figue, mi-raisin.
- « S’il ne s’agit que de ça… » Laisse-je glisser.
- « Quoi, t’as un plan ? » Me dis Thomas, en se tournant vers moi au mépris de la route qui défile de plus en plus vite devant lui.
Je me renfonce dans le siége. Les avenues se succèdent derrière la vitre teintée de la voiture. Je ne reconnais plus les noms. A la taille des artères, au monde dans la rue, on se rapproche.
Je me sens bien, une douce chaleur m’enveloppe. La musique « 2 Million ways - C Mos» forme un tampon qui isole mon cerveau de toute pensée négative.
Ne pas penser négativement. Ce sera une bonne soirée. Meilleure que la dernière. Le plan ne foirera pas. Le Dj sera bon. Les chiottes ne seront pas blindées. Aucun looser ne me draguera. Bien sûr ils voudront tous le faire. Mais il ne me dragueront pas, ils ne m’approcheront pas. Ils ont trop peur de mon image.
- « Hey ! Je t’ai demandé si t’avais un plan. Fais pas la perso, t’es bien contente quand je t’assure, non ? »
Il n’a pas apprécié que je ne réponde pas à sa question. Le con a déjà dû s’enfiler deux Xanax, ou une bonne dose d’alcool, ou les deux. Ses Ray-Ban dissimulent mal ses yeux cernés. Ca doit faire un bout de temps qu’il est en rade, il a vraiment l’air à cran.
- « Ouais, j’ai un plan »
- « Combien ? » Thomas, mâchoires serrées regarde devant lui. C’est à dire la route. Ses doigts jouent nerveusement sur le levier de vitesse.
- « Deux meujs, au moins. Peut-être plus. »
Il ne répond rien. Son visage semble moins crispé. Ses doigts ont cessé de jouer et se saisissent du paquet de cigarettes sur la plage avant. Il en colle une dans sa bouche et la main gauche toujours sur le volant, regardant le briquet qu’il tient dans sa main droite, il l’allume, tire une latte distraitement et se penche légèrement en avant, tournant la tête de trois-quarts vers moi avec une petite moue des lèvres au coin desquelles est fiché sa cigarette. Posture James Dean, un classique de Thomas. Je soupire, manipule distraitement mon portable que j’ai extirpé de mon sac. Pas de nouveaux messages. Connards de dealers. Je remets la chanson précédente et monte encore le volume de la chaîne. Je sors un joint déjà roulé de l’étui à cigarette où je ne range que mes joints et me l’allume. Même schéma.
Longue bouffée. Apnée. Expiration.
Nouveau nuage de fumée dans la voiture déjà très embrumée. Thomas ne dit rien. Il a recommencé à regarder la route. Il a ralenti. Il cherche un endroit où se garer.

On est arrivé. La file s’allonge devant la boîte. Des loosers surtout, cols relevés, Westons. Les filles ont toutes sortis leurs bottines-jupes. Rien que du griffé. Rien que du dépassé. Du bétail à boîte, dressé pour obéir aux dogues qui gardent l’entrée. Je remarque tout de même une ou deux jolies filles et un mec, un grand brun que je crois reconnaître.
Thomas passe le long de la file comme si elle n’existait pas. Dans la pénombre il est méconnaissable et je vois le vigile le guetter comme une proie appétissante. Son œil reflète déjà le plaisir animal qu’il prendra à voir la déception briser son assurance de jeune coq.
Le dogue s’apprête à ouvrir sa gueule quand Thomas passe sous l’éclairage de l’entrée. Signe du vigile. Derrière lui, nous rentrons.
Justice inique, le bras du vigile s’abat juste derrière Aurélien, qui ferme la marche, et bloque les trois filles qui ont essayé de nous suivre. Piaillements derrière nous. La voie en forme de grondement menaçant du vigile les réduits au silence.

Vestiaire. Pas de vestiaire, c’est pour le bétail.
Intérieur de la boîte. Il fait moite. L’odeur de la cigarette se mêle à celle de l’alcool et de la sueur de ces corps pressés les uns contre les autres. Les hauts-parleurs produisent un hurlement indistinct « Avalon - Juliet » en remix je crois. Le sol est maculé d’un mélange d’alcool renversé, de cendres de cigarette, de papiers diverses et de tout ce que les semelles ont pu rapporter de la rue.
Je regarde autour de moi. Toutes les tables sont occupées. J’allume une cigarette et me tourne vers Thomas.
- « Je veux une table »
Il me regarde, l’incompréhension se lit sur son visage. Je vois sa bouche former une interrogation que je ne distingue pas. La musique.
- « JE VEUX UNE TABLE » Je hurle.
Il me regarde et je crois lire comme un éclair de frustration dans ses yeux. Je sais qu’il est à mes pieds. Je tiens ses couilles. Sans moi, il n’y aura personne pour les lui vider ce soir. Et ce n’est pas dans cette boîte qu’il trouvera une pouf’ prête à lui faire ce que je lui fais. Il se penche vers moi.
- « Je vais au bar. Trouve ton plan. » Il crie.
Je le vois s’éloigner. Je me retourne vers la piste de danse. La fille et le mec qui nous accompagnaient ont disparu. Aurélien danse contre un mec qui lui tient les fesses. Ses yeux fermés, la tête levée vers le plafond, indiscernable, de la boîte, en pleine extase. Je sais qu’il pense déjà au mec en train de le pénétrer.
Les lasers strient de lignes lumineuses la pénombre vaporeuse de la boîte. Les parois mouvantes qu’érigent les basses semblent plus palpables que la marée de corps qui s’agitent en une houle pressée sur la piste.
Je circule entre les tables. Des T-Shirts griffés collés par la sueur à même des peaux soigneusement bronzés se pressent les uns contre les autres autour de minuscules ronds de métal. Les têtes sont proches. Lèvres, oreilles, lèvres, verre, lèvres, lèvres. Des bouches rient, réduites au silence par la musique. Je sens des mains effleurer mon cul. Impossible de trouver ce connard de dealer.

Je retrouve la piste de danse. Je distingue Aurélien. Il embrasse voluptueusement son cavalier. Peut-être plus le même. J’entrevois que celui-ci lui palpe maintenant l’entrejambe. Aurélien apprécie et se ressert contre lui.
Cigarette. Je me dirige vers les toilettes. Directement dans celle des hommes. Deux mecs prennent l’air outrés tandis que je les regarde se soulager contre la paroi en marbre des pissotières. Je les ignore. Toujours pas de dealer. Je commence à perdre patience. Je passe chez les filles. Trois pouf’, deux blondes et une brune se remaquillent. Une des deux blondes se touche nerveusement la narine. Penchée vers le miroir, elle semble guetter un signe. Il doit y avoir de la Cé dans le coin, à moins que ce ne soit la sienne. Je suis sur le point de lui demander où elle l’a trouvé quand Eric sort d’une cabine, précédé d’une rousse de taille moyenne, visiblement défoncée.
- « Éric » La musique est moins forte, plus indistinct, je peux presque parler normalement.
- « Vient » Il me sourit. Je suis une régulière.
Il m’entraîne dans une cabine sort un petit flacon où il plonge une petite cuillère qu’il me tend.
- « De la végétale »
Je place la cuillère sous ma narine droite, me bouche l’autre. Renifle un grand coup. La cocaïne me pique la narine.
- « Bien. Tu peux m’en filer trois ? »
- « 250...Parce que c’est toi »
Je lui file son fric, dépose un baiser sur ses lèvres et sort de sa cabine. Mon cœur accélère, le rush. Un bon plan. Je sors des toilettes. J’ai chaud, je me sens bien. Mes mouvements sont parfaits. Mon corps ne dégage que grâce et beauté. Je sens le troupeau me regarder. Ils n’osent pas m’approcher. Ils me désirent mais ils ne peuvent m’avoir. Je les domine.
Je ne les regarde pas. Je me dirige vers le carré VIP. Le vigile m’empêche de passer. Je lui cri que je rejoint quelqu’un. Je regarde par-dessus son épaule. Pas de signe de Thomas, ni d’Aurélien, ni des deux autres. Je me retourne. Ils sont à une table avec deux autres filles. Des poufs peroxydées habillées presque pareil. Méprisable. Ce looser n’est pas rentré au carré et, en plus, il drague ces connes. Mais qu’est-ce que je fous avec lui.
Je m’approche de la table. Il me remarque. Inconsciemment, ses yeux ont accroché d’abord mon cul, puis mes seins, avant qu’il ne regarde mon visage et ne me reconnaisse. Ses yeux n’expriment aucune culpabilité, juste un vague désir. Il semble anxieux. D’un signe de tête je confirme ce qu’il attendait. Il se lève, s’excuse en bredouillant quelques mots que personne n’entend. Je regarde la piste de danse en tirant distraitement sur ma cigarette. Tout va bien je suis sous coke. Les deux pouf’ nous regardent médusées, c’est tant mieux.
Thomas traverse la boîte presque au pas de course. Je le suis tranquillement, ignorant tout ce qui m’entoure. Une jolie brune qui passe laisse traîner sa main sur ma cuisse. C’est une des filles que j’ai remarqué à l’entrée. Je sens un léger frisson me parcourir. Ca fait longtemps.
Thomas revient vers moi et m’entraîne, cette fois-ci moins vite, vers les toilettes. Les hommes. Thomas écarte violemment le panneau, se dirige vers la première cabine et tambourine dessus. Un borborygme indistinct s’en échappe. Les autres cabines sont aussi occupées. Au moment où Thomas me dit.
- « Les Filles »
Un couple de mec sort de la cabine « Ca va, y‘a pas l‘feu » . L’un des deux referme la boucle de sa ceinture. L’autre, fait jouer sa mâchoire et sort de sa poche un chewing-gum mentholé qu’il gobe aussitôt.
Thomas les bouscule sans ménagement et m’entraîne dans la cabine. Il verrouille la porte.
- « T’as combien ? »
- « Deux grammes. » Je mens.
Il sort de sa poche un petit miroir et sa carte de crédit tandis que je lui tends le sachet. Il les pose sur la chasse d’eau. La lunette des WC a été arraché. Il trace quatre traits. Sort une paille, qu’il devait tenir toute prête pour l’occasion et s’enfile deux traits. Il se redresse, relève la tête et renifle bruyamment. Je me penche. Deux traits. Je me pince les narines.
A nouveau le rush. Je n’ai pas eu le temps de redescendre, j’ai l’impression de partir d’autant plus loin. Les contours se font flous. Le sang bat à mes tempes. Je ressens mon corps avec une extraordinaire précision. Je sens l’énergie qui le parcoure. La vague électrique qui me secoue. Je suis bien.
Thomas se penche de nouveaux. Il reprend le sachet, trace quatre traits. S’en prend deux, se relève. Je me penche par-dessus la cuvette. Prend la paille, un trait dans la narine droite. Toujours dans la même position, je prends un instant pour respirer.
Thomas est derrière moi. Presque collé contre moi à cause de l’exiguïté de la cabine. Je sens son bassin contre mes fesses. Ses mains remontent le long de mes cuisses. Je sais ce qu’il veut. Je ne bouge pas. Au fond de la cuvette un liquide brunâtre et grumeleux, un type qui a dû vomir. Pour éviter un haut le cœur, je me ressaisis de la paille et m’enfile le trait restant. Thomas a baissé mon string.
- « Putain, pas ici » J’ai pensé à haute voix.
Il n’entend rien. Ou il ne veut pas entendre.
- « Fais pas comme si t’en profitais pas » Le con m’imite.
Il a déboutonné sa braguette. Je sens son sexe entre mes cuisses. Le nez toujours à dix centimètres du miroir j’essaie de tracer un mini-trait avec les restes. Je met la paille dans mon nez. Il me pénètre brutalement, fait quatre aller-retour puis ressort. A cause de la secousse la paille m’a éraflé le nez. Je vois du sang, mon sang, maculer en petites gouttelettes rubis le miroir.
Son sexe remonte entre mes fesses. Je sens ses doigts qui s’activent, préparent le terrain. Hypnotisée, je regarde le miroir. Du sang, mon sang. Son gland se presse contre mon anus. Il me tient par les hanches. Résistance. Il pousse encore. Ma tête s’écrase contre le miroir.
- « Thomas ! »
Je n’ai pas crié. Cette fois-ci il n’entend rien.
Mes mains cherchent à prendre appui contre le mur. Encore une secousse. Ma tête heurte à nouveau la chasse d’eau. Mon nez, j’ai mal au nez. Je sens son gland qui commence à me pénétrer. Sans douceur il pousse son sexe à l’intérieur de mon système digestif. Ma main gauche se pose sur le mur. J’arrive à relever la tête. Toujours en appui, je recule un peu. Lui aussi. Je gémis. J’ai le nez qui coule.
Machinalement ma main droite passe sous ma narine. Je la regarde, une trace de sang brillant recouvre partiellement mon index. Mon nez coule. Je vois mon index, en dessous la cuvette et son contenu.
Thomas me pilonne comme une machine. Il me fait mal mais il ne s’en rend pas compte. Moi non plus. Il veut finir.
Le bras gauche tendu contre le mur, j’ai du mal à me tenir à mesure que Thomas accélère la cadence. Je vois le liquide brunâtre au fond de la cuvette. Ca sent le vomi, ça sent la merde, l’alcool, quelque chose d’indéfinissable et de foncièrement pourri.
Thomas accélère encore. Je ne peux plus tenir. Ma main glisse. Mon corps s’effondre et tandis que ma tête heurte le rebord de la cuvette je vois les graffiti inscrit sur le mur à coté. Thomas ne se rend compte de rien. Mon crâne rencontre la faïence et ma tête commence à glisser, je lis un mot sur le mur.
Auschwitz
Mes yeux se ferment.