Soleil de cendres 1

Le 23/01/2006
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par Imax
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Le style d'Imax tient la route et il sait poser une ambiance. On entre ici dans une espèce de banlieue australienne dégueulasse. Chaleur, poussière et ghettos pour aborigènes au programme. Evidemment ce n'est que l'intro d'un texte plus long pour le moment, c'est frustrant de n'avoir droit qu'à la mise en place, mais l'atmosphère sordide et effrayante est foutrement bien rendue.
Mais quel bled merdique. Les enculés… Je laisse le moteur en route, pousse mon siège en arrière et m’allume une clope que je savoure dans la fraîcheur de l’habitacle. L’air conditionné est l'invention qui a probablement évité à cette région de crever la bouche ouverte… Cette réflexion m’amuse pendant quelques secondes seulement. Je n’ose jeter un regard devant moi. Plus tard mon ami, plus tard… Ta gueule et fume.
L’aéroport, la baie scintillante qui s’éloigne… et puis plus rien. Nul détail où l’œil ne peut se poser, aucune montagne, aucun nuage, seulement cette masse marron énorme et sauvage, vide d’homme et d’histoire recensée. Et cette désagréable impression persistante de s’embarquer pour une nouvelle terre dont on dit poliment qu’elle est ‘’tellement authentique’’, forgé par la pauvre imagination des citadins de la côte, et dont le seul lien avec la civilisation réside dans le mince prospectus usé qu’on trouve parfois dans les agences de voyage.

Je repense à mon arrivée à Alice Springs, ville morte écrasée par le vent brûlant, entourée de cailloux menaçants. Le sourire vide et désabusé de la réceptionniste à l’office de tourisme, quelques aborigènes puant et apathiques, le litre de pisse à 3 dollars à la main. Enfoirés... Et puis viennent plusieurs centaines de kilomètres de torture en ligne droite, où la seule distraction est l’unique virage placé tous les 50 kilomètres, afin d’éviter que le conducteur ne s’endorme.

Terrassé, je finis par lever la tête et contemple enfin ma nouvelle affectation. Quelques édifices en tôles d’une laideur effroyable, une station-service poussiéreuse, des barraques aux toits très larges, et mon ‘’bureau’’, avec sa minable façade en bois affublée d'une vitrine crasseuse. Trois heures d’avion, quatre heures de bagnole, bienvenue à Barrow Creek, pire trou du cul que l’imagination ait pu produire.

Mon prédécesseur était un homme méticuleux. Un putain de maniaque. Paperasse jaunie soigneusement classée par date et par affaire, tiroirs quasi-vides, journal de mission impeccablement rempli de toutes les banalités inhérentes à notre boulot de merde. 15 Novembre ; Patrouille - direction de Tenant Creek : 16 heures, 2 cadavres d’émeus dégagés de la route. Un générateur électrique, un gros téléphone satellite, un 4x4 vieillissant. L’attirail parfait du flic bouseux.

Je transpire comme un porc. La chaleur est à crever, l’air chargé de poussière irrespirable. Cette saloperie de terre rouge agrippe les sièges, les chaussures, les mains. Elle s’infiltre partout, sature les poumons, se colle sous la paupière, s’accroche aux cheveux. Tout ce que mes doigts touchent devient irrémédiablement sale, poisseux, et ma peau a pris en quelques heures ce teint de pierre dont on ne se débarrasse jamais, même lorsque l’on a quitté l’Outback.

Mon arrivée n’est pas passée inaperçue. Le type de la station service m’observe lentement marcher le long de la piste défoncée. Un gros barbu me lance un grand sourire édenté. Une gamine passe devant moi et me regarde fixement. Elle se met à courir. Je n’ai pas le courage d’aller montrer ma gueule à ces bœufs. Pas encore. Je veux juste disparaître, me reposer, devenir invisible, oublier. De toute façon ils viendront mon ami. Merde je commence à avoir une trouille atroce. Je regagne mon bureau précipitamment, pourvu que ce con ait fait mettre une serrure. Je passe ma manche sur mon front humide, la poussière a créé une grosse trace noirâtre dégueulasse. Avant d’entrer je m’arrête, me retourne. Quelque chose a changé.

La terre entière a gonflé. La poussière s’est étendue à l’infini… Et l’horizon s’est paralysé pour quelques secondes. Les teintes ocre et si ternes du jour se sont subitement mues en une atroce combinaison de couleurs sanglantes. Les détails se sont fixés de façon irréelle. Chaque grain de sable rougeoyant, chaque morceau de rocher mutilé, chaque buisson épineux décharné hurlent sur ma face enfiévrée. Les contours sont absurdes, bien trop tranchant, nauséeux. La monstrueuse étendue prend vie, respire, se meut dans un silence assourdissant. Le désert, l'immense désert vertigineux, avale la lumière et souffle sur ma peau les derniers relents de sa gueule en feu. Mes jambes faiblissent, ma main se cramponne au mur. Et tandis que des ombres décharnées et noires s’étirent derrière-moi, je regarde à m’en crever les yeux la lente agonie du soleil, fasciné par ce spectacle féroce et grandiose.