279 degrés

Le 21/02/2006
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par DirtyDog
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
On sent qu'on vient de tomber sur un bon texte dès l'intro, efficace et accrocheuse. Le reste est à l'avenant, ce mélange de tranche de vie et d'introspection relate l'itinéraire d'une jeune lambda vers la désocialisation qu'on a tous un jour connue, sauf que là, ça va loin... DirtyDog ne cherche pas à nous en foutre plein la poire ni à nous éblouir. Son texte est calme, posé, mais diablement efficace.
Une vie bien remplie et pas tellement de temps pour dormir, voilà comment c’était.
Je me souviens, j’arrivais à tout faire : le boulot, la fête et le reste. Surtout la fête d’ailleurs... Si on me faisait l’honneur de m’inviter, je refusais pas, jamais. Je faisais la fête pratiquement tous les soirs de la semaine. Beaucoup de travail, de rencontres, d’alcool, de rires : je faisais ce qu’il fallait et je profitais de la vie. Je me reposais seulement quand physiquement c’était nécessaire, le reste du temps tout allait très vite. Je faisais plein de choses, je voyais plein de gens, et, quelque part, je crois bien que j’aimais ça. Ma transformation n’en est qu’encore plus curieuse.
Un soir, alors que je lisais un bon bouquin, mon téléphone s’est mis à sonner. Des potes. Une fête. J’ai répondu : « Pas ce soir les gars ». C’était la première fois que je refusais une fête, ils pensaient que je plaisantais. Quand ils ont compris que ce n’était pas le cas, ils m’ont demandé la raison. Il leur fallait une excuse valable. J’en avais pas vraiment, c’est juste que j’avais pas envie de sortir. Je voulais rester tranquille et finir mon bouquin, voilà tout. Alors ils ont insisté et m’ont expliqué que la soirée s’annonçait superbe, avec du monde, de l’alcool à volonté et tout ce qu’il faut. « Je vous crois, mais vous vous fatiguez pour rien. Je viendrai pas ce soir, comptez pas sur moi. Allez, ciao ».

Pour une fois je passais donc une soirée sans alcool, sans musique consensuelle de merde, sans discussion superficielle. Pour une fois je vivais le lendemain un réveil sans gueule de bois carabinée, sans bilan morbide de mes conneries de la veille... Ca me changeait, c’était reposant. J’ai trouvé ça bien.

Le boulot était toujours aussi chiant, mais au moins pas de gueule de bois, pas de mal de tronche et pas d’envie de dégueuler. Je me sentais plus reposé, moins différent des autres gars du boulot. J’ai commencé à penser qu’après tout, ce serait peut-être pas si con d’avoir une vie plus stable.

Je me suis mis à refuser de plus en plus de fêtes, et quand j’y allais, c’était souvent à reculons… Je veux dire, j’étais plus dans le même état d’esprit. Obligé de piccoler encore plus vite et encore plus qu’avant pour supporter la présence de tous ces gens et pour arrêter de me demander pourquoi je rentre pas chez moi lire un bon bouquin.

De moins en moins de fêtes, donc, et de moins en moins de sorties. J’avais pas envie, et je voyais pas de raison de me forcer. Au début, les gens continuaient à m’appeler de temps en temps, ils me tenaient au courant, prenaient de mes nouvelles, tout ça. Puis très vite ils m’ont oublié, plus personne ne m’appelait. Bah, je m’en foutais un peu. A la limite c’était peut-être mieux comme ça. De toutes façons ça me faisait chier de répondre au téléphone, il me dérangeait la plupart du temps. Qu’on m’oublie, je trouvais pas ça grave.

Petit à petit je suis devenu un véritable ermite urbain. Je ne sortais plus de chez moi, et si l’interphone sonnait, je bronchais pas. En fait, ça me venait même pas à l’idée d’ouvrir ma porte. Ils finiraient bien par se lasser de sonner, par comprendre que je suis pas là... Foutez-moi la paix. Rien à foutre de rien. Rien à foutre du boulot. Je restais chez moi et je ne voyais personne. Je passais mes journées devant la télé ou devant l’ordinateur, de temps en temps je lisais un bouquin… J’étais tranquille, plus de stress.

Les seuls moments où je sortais de ma caverne, c’était pour faire les courses. Ca me faisait bien chier d’ailleurs : les gens qui te regardent, l’attente devant la caisse, le risque de tomber sur quelqu’un qui te connais et qui viendrait te parler... Pour éviter ça, un jour, j’ai pris en une seule fois une grande quantité de conserves, comme si j’allais passer les six prochains mois dans un abri anti-atomique. De quoi tenir un bon bout de temps sans avoir besoin de refaire les courses : parfait.

Une fois je me suis carrément réveillé sans aucune envie. Hors de question de sortir, ça c’était évident, mais j’avais pas non plus envie de regarder la télé, de lire ou de n’importe quoi d’autre. Alors je suis resté allongé dans mon lit et j’ai regardé le plafond. Un bon moment.

Pourtant j’en avais des choses à faire. Fallait que je m’occupe de la facture d’électricité, fallait que je fasse la vaisselle, fallait que je vérifie ma boite aux lettres et un paquet d’autres conneries... Mais je m’en foutais de tout ça. J’ai continué à regarder le plafond, en restant allongé. Un jour ils ont finit par me couper le courant. Tant pis. Puis ils m’ont jeté de chez moi, j’avais trop de loyers impayés depuis trop longtemps. J’ai pris mon sac à dos, j’y ai mis quelques bouteilles d’alcool et je me suis tiré sans faire d’histoires. L’huissier et ses amis musclés n’ont même pas eu à s’énerver. Plus d’appart : tant pis. Pas la peine de se battre pour rien.

J’ai marché. J’ai trouvé un parc, je me suis assis dans l’herbe, j’ai sortit une bouteille de whisky de mon sac à dos et j’ai commencé à boire, boire, boire. Derrière la grille du parc, j’ai cru apercevoir d’anciens potes, des personnes avec qui je faisais la fête autrefois. Ils avaient l’air relativement heureux, ils discutaient en souriant. Je les ai observé jusqu’à ce qu’ils sortent de mon champ de vision.

Alors j’ai pris une nouvelle gorgée de whisky, une grande. Puis j’ai baissé la tête, et quelques secondes plus tard je me suis mis à vomir sur l’herbe du parc. Quand ensuite j’ai relevé ma sale tête, dans le parc, tout le monde me regardait avec dégoût, du retraité assis sur un banc au petit enfant qui joue en passant par la mère de famille et la saloperie de couple qui s’embrasse dans un coin. J’étais mal à l’aise. Pour ne plus subir ces regards abominables, je me suis levé, j’ai pris mon sac à dos et je suis repartit dans la rue.

J’ai trouvé un peu de monnaie dans la poche de mon blouson. Alors je suis allé dans un cybercafé et j’ai écris cette histoire, mon histoire. Voilà où j’en suis, et quand je sortirais de ce cybercafé, tout ce qu’il me restera c’est trois euros, un sac à dos, et deux bouteilles de vin.

Maintenant je vais probablement m’acheter un sandwich avec les trois euros, le manger et finir le vin. Ensuite, faudra que je me débrouille pour redevenir un mec à peu près normal, sinon ça va mal finir.