Soleil de cendres 2

Le 05/03/2006
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par Imax
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Le premier Soleil de cendres avait fait forte impression. Là encore on est dans le domaîne de l'atmosphérique, le texte est un puzzle de sensations confuses et étranges. C'est volontairement lent, pénible, ça use les nerfs. Le cadre du désert australien est terriblement bien dépeint. L'ambiance vaut le détour, c'est sûr, par contre l'histoire se traine bien trop pour qu'on garde un souvenir impérissable.
J’ai dormi une éternité… Et pourtant je ressens une fatigue intense. Le genre de sommeil lourd dont on s’extirpe avec peine l’après-midi, la gueule encore vitrifiée par l’alcool. J’ai revu la grande ville fière aux gratte-ciels étincelants, les gosses qui jouent sur Freshwater, les surfeurs du North Shore, les backpackers de Bondi. Des bribes d’images dont je n'ai habituellement rien à foutre, si chaudes et rassurantes.
Malgré l’azur, il fait froid. Atrocement froid. L’air est glacial, le soleil hivernal, le vent polaire. Je serre mes bras contre moi, m’assois sur les pierres chaudes, marche le plus vite possible au milieu de la foule dense… mais les frissons reprirent subitement, d'abord par spasmes, puis inlassables et périodiques. Pas assez violents pour me tirer de mes rêves stupides, mais juste ce qu’il faut pour les gâcher. J'ouvre les yeux avec peine. Sept heures du matin. J’ai les muscles douloureux et une toux caverneuse. J’ai dû choper une jolie petite crève. Je jette un œil par la fenêtre, il est toujours bien là. Calme, immobile, figé par l’air devenu brûlant. Saloperie d’endroit de merde.

La porte émet un glapissement strident. Un type blanc et malingre est affalé sur le comptoir, la tête collée contre un petit ventilateur. Ses doigts font tourner rapidement une pièce de 20 cents. Il se redresse immédiatement à mon approche.

- ‘Salut. Je cherche quelque couvertures…’ Ma requête m’apparaît tellement stupide que je rajoute un ‘pour la nuit’’, de circonstance.

La pièce virevolte, manque la paume tendue pour la rattraper et roule sous une chaise. L’homme se baisse pour la ramasser et la range dans sa poche. Sa face horriblement ridée et ses cheveux blancs contrastent avec la souplesse apparente de ses gestes.

- ‘’Tu remplaces Mateoda hein ?’’

Le son strident de sa voix m’étonne. Je lui donne vingt-cinq ans, pas plus.

- ‘’J’t’ai vu hier.
- Ha…
- Non rien. J’t’ai vu c’est tout…’’

Un regard vide qui me fixe une éternité. Sans âme. Des yeux gris et résignés. Je décèle en lui un esprit profondément idiot mais il me sera utile. Il a envie de parler. Il me tend un torchon crasseux. De sa chemise collante dépasse un poignet qui semble brûlé. La chair est violacée par endroit, l’aspect légèrement purulent mais plutôt sec. A moins que ce ne soit des espèces de tâches. Accident, maladie génétique. J’en sais trop rien. Son regard croisa le mien.

- ‘C’est une allergie’…
Il prononça ce dernier mot difficilement.

...

Le vent s’est levé, et je ne peux retenir la porte de la station-service qui claque brusquement. Une bourrasque me dessèche instantanément la bouche. Mes yeux brûlent ; la lumière irradie d’un blanc insupportable. Le désert est plus morne que jamais. Au loin quelques nuages de sable balayent des parcelles jaunes fatiguées. Le sable calciné, hier si flamboyant, est devenu maussade et terne, sa sécheresse pauvre et pitoyable. Je savoure cette demie victoire.

Cela fait presque un mois que Mateoda a disparu. Les bouseux du coin se sont évidemment bien gardés d'alerter quiconque. Mon territoire d’investigation ressemble à une blague. Un œil sur la carte révèle quelques pistes improbables, le tout dans un rayon de 4000 kilomètres carré. Un bon quart se situe dans des zones rayées. La légende me fait rire : Parcs nationaux aborigènes, défense d’entrer sans autorisation expresse du Département de Conservation. Comme si quelqu’un contrôlait les entrées et venues de ces endroits merdiques. La suite du dossier est maigre. Des témoignages inintéressants, quelques avis de recherche, un dessin griffonné par cet abruti de Mateoda et surtout des points de passages que j’ai noté sur la carte. Ca fait un joli cercle. Tu t’es bien déplacé mon connard hein. A tout hasard je jette un œil aux gribouillis pour y trouver une quelconque concordance. Des traits, quelques formes géométriques… Bien sûr que non, ça ne marche jamais. Tu t’es pris pour Harry Bosch ? Un rapport indique qu'il a été vu pour la dernière fois dans une ferme à 300 bornes d’ici. Il me faudra faire une visite de routine. Bien sûr que cela ne servira à rien, je le sais très bien. Avec un coup de chance je peux me débarrasser de ce supplice avant le coucher du soleil. Calfeutré dans mon bureau, la simple idée de sortir me terrorise. Pourtant il le faudra bien. Une peur insidieuse m’envahit, me brise le bide. L’inspecteur Bosch n’a jamais la trouille lui.

Il fallait bien que ça arrive. Une mauvaise direction, une piste qui me semblait en bon état. Oh bien sûr j’ai retrouvé mon chemin après seulement 300 kilomètres en trop. J’ai eu de la chance. Tu le savais abruti, on te l'a dit et répété. Dans le bush tout le monde y a déjà goûté ; on s’engage sur une longue ligne droite interminable, si rectiligne que l’horizon semble en être la seule limite. On roule à une vitesse ahurissante pour lutter contre le sommeil, contre la chaleur qui vous colle aux sièges, contre l’ennui. On se dit que c’est un bon raccourci et puis on connaît bien le terrain, c’est sûr, on se rappelle précisément de ces bouts de cailloux empilés, on y est même déjà passé il y a quelque mois. A moins que ce ne soit vers la droite. Ou après ce panneau. On s’enfonce de plus en plus loin, de plus en plus vite, sur un chemin sans fin. La piste semble fiable et soudainement la trace disparaît. Happée par le désert, subitement évanouie. A mille kilomètres de la station-service la plus proche. Une dune s’est déplacée ? A moins que le vent n’ait soufflé trop fort à cet endroit ? Parfois des gens s’entêtent et continuent à travers le bush, s’imaginant rouler tout droit. Certains tombent en panne d’essence au milieu de régions où personne n’est jamais passé. D’autres bloquent leurs roues dans une dune et crèvent de soif. Les plus chanceux finissent par revenir sans s’en rendre compte à leur point de départ. Parfois je m'arrête pour regarder les carcasses de voiture, rongées par le vent, échouées parmi les sables. J'aime les contempler le soir, les voir brûler dans le soleil rougeoyant. En observant les plaques d'immatriculations rouillées et les modèles j'ai compris que certaines sont là depuis plus de trente ans.

Mon détour m'a fait perdre cinq heures. Je lève la tête: la nuit en a profité pour s'avancer, immuable et silencieuse. Tu m'auras pas comme ça salope . Ma bagnole servira de refuge. Mon coeur bat tandis que je pense au terrible sommeil qui sera le mien, où résonneront dans les ténèbres des pas étouffés dans le sable, des frôlements sur ma porte, des claquements contre les vitres. J’entend les dingos rôder ce soir… les grands lézards sortent de terre. Avec sa noirceur inhumaine, la nuit engloutira les nuages et la terre. Elle me prendra délicatement à la gorge, ses doigts glacials autour de mon cou, la paume de sa main squelettique sur mon front. Elle me chuchotera sûrement quelques cauchemars à l'oreille. Et je remonterai toujours plus haut ma couverture contre les yeux, frissonnant à nouveau de froid et terreur, le ciel couvrant ma face de cendres noires, la vermine grouillant sous mon siège.

...

Je me suis assis sur une pierre rongée par le sable, regardant avec anxiété le ciel noircir. J'attend l'heure tandis que le soleil sanglant meurt lentement à l'horizon. Le vent chaud est subitement tombé. Les quelques rapaces du jour ne volent plus, les sables se sont figés. Le silence est insoutenable. Des mouvements me tirent de ma contemplation... je me redresse lentement. Grand, couleur ébène, le mouvement puissant, il ondule avec force et grâce. La tête est plate, le regard démoniaque. Le grand serpent noir se meut silencieusement sur le sable rouge… Ses gestes sont balancés, l’apparence est fauve. Je reste figé, hypnotisé par cette vision presque miraculeuse. Le corps souple du reptile fend la terre, trace de fines arabesques, descend puis remonte au grès des amas de sable. Il est sur moi, se redresse et me fixe avec ses yeux inhumains et froids. Le vent s’est levé pour célébrer le ‘serpent féroce’’ des aborigènes, reconnaissable entre milles. Je tente de me rappeler la jolie formation à laquelle on a tous eu droit l’année dernière ; oxyuranus scutellatus ; ne pas courir, rester très calme, aucuns gestes brusques… Et affluent dans mon crâne les souvenirs de quelques articles de presse stupide ; les show à la télévision de Steve, le chasseur de reptile. Les photos des corps boursouflés de quelques gamins mordus. Leurs jambes bleues. La panique.

Le Taipan est le serpent terrestre le plus venimeux de la planète, son poison incroyablement concentré lui permet de terrasser un cheval en 5 minutes - Morsure mortelle dans 90% des cas.

Mon cœur va rompre, mes bras, mes jambes, mon corps entier est tétanisé. La peur me broie le crâne, m'écrase dans son étau implacable. Je vais crever. La peau de la bête coule sur les sables rouges, miroite atrocement, se plie selon un rituel précis et clinique. Son cou s'est rétracté, son corps mou s'est redressé. Ses yeux sans pupilles se sont posés sur moi.

Le Taipan attaque de manière répétée, et inflige généralement 3 ou 4 morsures à sa victime en un quart de secondes, ce qui rend les traitements anti-venin peu efficaces.

Je tremble violemment, mes jambes vacillent, implorent la terre molle. Les secondes s’égrènent dans une lenteur insupportable. Putain je vais crever. Je voudrais plonger dans un gouffre sombre, courir jusqu’à ce que mon cœur explose, n’être jamais venu, n’être jamais né. Je pense stupidement à l’instant où il me mordra de manière fulgurante, froidement, avec précision. On dit que le serpent attaque toujours par surprise. Ses longs crochets pénètreront ma peau, m'injecteront le poison dans les veines chaudes. Tue-moi saloperie. Comme un condamné j'attends le coup de lame, la douleur d'acier. Souviens toi pauvre imbécile, pense à tes actions misérable. Il est temps de payer. Mes poumons se comprimeront, mes muscles se contracteront, je ramperai comme un minable. Ma carcasse séchera vite au soleil. Un dingo viendra peut-être la lécher. Le vent polira mes os, ils deviendront blancs et purs, flottant dans les sables. Monstrueuse vision, presque sublime. Peut être… peut être même qu’un journal en parlera ? Je ferme les yeux. Le soleil tape sur mes tempes, je transpire horriblement, respire avec difficulté. Je sens qu’il me frôle, passe silencieusement entre mes jambes…. je réprime une envie subite de hurler.

Sa taille (jusqu’à 5 mètres) et sa souplesse lui permettent d’atteindre n’importe quel partie du corps, y compris le visage.