Je plaide coupable, monsieur le juge !

Le 19/05/2006
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par Nounourz
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Nounourz nous a préparé une sorte de reality-show malsain, et comme d'habitude il s'amuse à tester ses lecteurs, à les provoquer et à les pousser dans leurs derniers retranchements. Il avoue ici qu'il a assassiné quelqu'un et parle de cette expérience plutôt sobrement, de ce qu'il en retire. On est bien loin des films américains, l'acte fut lucide, rapide, et bien peu satisfaisant...
Eh bien, voila, nous y sommes. Mon ultime fantasme, le rêve qui hantait depuis si longtemps mes nuits, mon désir inavouable, mon dessein secret, enfin abouti, réalisé, concrétisé.
Cette nuit, j’ai tué un homme, un de mes semblables. Ca peut paraître dingue d’avouer ça tout de go, sur la Toile au vu et su de tous, je le sais bien, mais ce petit soupçon de provocation rajoute un peu de piment à la sauce, et vous savez tous que plus ça pique, plus j’aime ça. De toute façon, vous allez penser que c’est un coup de bluff, un exercice de style, et au fond de vous, vous n’y croyez pas, vous ne voulez pas y croire. Et pourtant, quelque part dans un sombre recoin de Toulouse, il y a un cadavre en train de pourrir, que personne ne retrouvera avant plusieurs années.

Avait-il une famille ? Une femme qui l’attend encore, tandis qu’un plat est en train de se réchauffer dans le four, qui s’inquiète parce qu’il est en retard ? Des enfants qui voudraient entendre sa voix grave leur raconter une histoire ? Je l’ignore, je n’ai pas pris la peine de fouiller ses papiers, ce qu’était sa vie ne m’intéresse pas. Je sais bien que sa disparition - car tant que son corps n’aura pas été retrouvé, il sera porté disparu - provoquera incompréhension, douleur et larmes. Mais c’est si abstrait, tout cela ! Je ne connais pas ces gens qui s’affligeront de la perte de leur proche, donc oui : c’est cruel, c’est ignoble, inhumain. Mais je n’aurai pas à subir la conséquence de mes actes, je n’aurai pas à regarder en face la veuve ni les orphelins : ma conscience est sauve. Peut-être d’ici peu de temps croiserai-je une femme en pleurs, la sienne peut-être, peut-être pas. Devrais-je me sentir coupable devant chaque larme sur chacun des visages que je rencontrerai ? Certainement pas.

Considérons tout cela de façon strictement rationnelle, comme j’en ai l’habitude. Si je croise une personne en larmes, la probabilité pour qu’elle ait un quelconque lien avec l’homme que j’ai occis est si proche de zéro que l’on peut la considérer comme nulle, « aux incertitudes près » pour faire, comme disait mon prof de prépa, un raisonnement de chimiste. Quand on pose les problèmes de façon mathématique, on trouve souvent une solution évidente alors que l’on se croyait dans une impasse, psychologique ou émotionnelle.

Pour des raisons de bon sens, je ne décrirai pas ma victime, je ne dirai pas comment j’ai procédé, ni où j’ai caché ce qui reste de lui (notez que ce qui reste de lui peut tout a fait être son cadavre entier… ou un ou plusieurs morceaux…). Tout ce que vous avez à savoir, lecteurs trop curieux, est qu’il est mort, et que je suis son assassin.

Et si je dois vous avouer une chose, c’est que je n’en retire pas une grande fierté, contrairement à ce que l’on pourrait penser. C’est comme un amour, décevant parce que trop idéalisé : je me faisais tout un cinéma sur l’acte de tuer, sur la montée d’adrénaline, la sensation de pouvoir que j’imaginais grisante, vous pensez bien, ôter de mes propres mains la vie d’un être humain ! Durant les jours qui ont précédé le passage à l’acte, j’exultais, je jubilais tant se rapprochait le jour ou - enfin - j’allais connaître le frisson glacial des meurtriers. J’ai répété des centaines de fois, mon plan était - est - parfait, j’ai imaginé cent fois le regard de ma victime, j’étais, n’ayons pas peur des mots, dans un état second proche de l’extase.

Et comme je l’avais prévu, l’occasion s’est présentée rapidement, le plan fut mis à exécution jusque dans les moindres détails - je remercie encore l’intelligence dont j’ai fait preuve et qui m’a valu et me vaudra l’impunité - et… Tout se déroula si bien et si vite que j’en fus amèrement contrarié. Il n’y eut point de divin frisson, point d’exquise extase ; non, à avoir tant répété, mon geste fut mécanique, chaque étape fut remplie comme une formalité, et au final, je me suis retrouvé empli d’un vide émotionnel des plus frustrants.

Tout ça pour rien, ce pauvre type est mort pour que dalle. Une expérience ratée. Son regard ? de l’étonnement. Nulle trace de ce rictus de frayeur que j’imaginais, que tous nous avons vus dans tant de films. Quand la mort prend par surprise, on n’a pas le temps d’avoir peur : telle est la leçon que je tire de cette aventure. La conclusion finale, sera que l’homicide est définitivement plus grisant en imaginaire que dans la réalité, comme bien des choses d’ailleurs. Il n’y a donc pas à craindre une quelconque récidive : je n’ai aucune utilité à réitérer un acte duquel je ne retire aucun plaisir, aucune satisfaction quelle qu’elle soit. Je voulais le faire, je l’ai fait : je peux passer à autre chose.

Le plus amusant dans tout cela, est de savoir que l’on ne peut m’accuser de rien, sur la seule base de cet aveu. Il me suffit de dire que tout est factice pour invalider toute accusation. Alors, je le fais : c’était pour de rire ! tout est faux ! Et voila, bien malin qui me foutra sous les verrous pour un crime qui n’a peut-être jamais été commis (enfin, qui l’a été, mais qui ne sera jamais connu). De toute façon, vous n’y croyez pas, vous avez à peine un petit doute que votre raison balaie d’un revers de main, d’un « mais non, c’est juste un essai littéraire, Nounourz n’est pas capable d’une telle chose » qui vous rassure, et en commentaire j’aurai au choix des « je n’y ai pas cru une seule seconde » ou des « j’ai eu un moment de doute mais je pense - j’espère - que tout cela est faux » doublés de « c’est bien/mal écrit » suivant votre humeur et la crédibilité que vous aurez accordé à ce récit pourtant cent pour cent véridique. Il y aura peut-être aussi quelques zonards qui pour entretenir leur image de méchants subversifs, pourront dire quelque chose comme « ouais trop cool », genre je fais semblant d’y croire et de trouver fun de lire en direct l’aveu d’un meurtre. Mais je sais pertinemment que personne ne prendra cela réellement au sérieux, et grâce à cela, je conserverai ma liberté chérie. Et c’est tant mieux, j’avoue que j’aurais beaucoup de mal à supporter un séjour en taule, même si d’un point de vue littéraire, cette expérience pourrait être une excellente source d’inspiration.

Si par un hasard tenant du miracle on devait retrouver le corps puis ma trace, j’aurai tout le loisir de vous narrer les détails de l’élargissement de mon rectum dans une obscure cellule de la maison d’arrêt de Toulouse, mais pour être honnête, j’en doute très fortement. Mais bon, comme on ne sait jamais, je préfère prendre les devants et vous prévenir : j’apprécierais qu’on pense à m’apporter des oranges de temps à autres, mais il est de mon devoir de vous informer que je préfère quand même les mandarines.

Ah ah ! Quand j’y repense, la satisfaction, c’est maintenant que je l’éprouve, finalement ! Qui pourrait imaginer que l’on puisse tuer quelqu’un de sang froid, le dire sans faire le moindre effort de discrétion sur cet espace décidément formidable qu’est le world wide web, boire un thé puis aller se coucher sans craindre le moins du monde d’être inquiété pour cet acte pourtant dûment répréhensible par la loi ? C’est absolument énorme, et mon ego de mégalomane jubile tellement cette situation représente une preuve irréfutable de ma supériorité sur vous, lecteurs, humains ordinaires !

De ce fait, j’aurais presque envie de recommencer. En tuer d’autres, revenir vous le raconter sur ces pages, tout en sachant que vous me lirez en croyant avoir affaire à une fiction - et dans le cas le plus probable ou nul cadavre n’est retrouvé, vous le croirez jusqu’à la fin. Enfin, ceux qui me connaissent IRL n’ont rien à craindre : la première condition pour devenir une de mes victimes, est de m’être totalement inconnue, ne serait-ce que parce que la logique veut que si on enquête sur un homicide, on essaiera d’abord de trouver l’auteur du crime parmi les proches du défunt. Faudrait être con pour aller occire un proche et risquer ainsi d’être découvert stupidement…

Enfin, bon. Je crois qu’il sera inutile d’en rajouter une couche, je me suis déjà bien amusé. Bien évidemment, histoire d’aller encore plus loin dans la provoc, je compte bien poster cet aveu sur la zone, ainsi que sur tout site permettant la publication libre de textes. Ca me ferait vraiment marrer si toute la France pouvait être au courant, et que personne ne puisse rien faire contre moi. Oh, et puis je ne vois pas pourquoi je parle au conditionnel : c’est le cas, et ça me fait vraiment marrer ! Oui, bon, je sais, j’ai dit que j’allais arrêter, mais comprenez-moi, c’est si grisant de vous narguer…

Le pauvre type est mort, et c’est moi qui l’ai tué.