Sens unique

Le 04/08/2006
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par Lemon A
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
C'est l'histoire d'un type largué, mis en marge de la société à cause de son excessive consammation de stupéfiants. Sa tentative pour revenir à la normale laisse un arrière-goût d'amertume. Le texte ne rentre jamais dans la véritable introspection, pourtant il dégage de forts relents de détresse.
Depuis plusieurs heures ma cage thoracique hurle douleur. Elle me bouffe les chairs de la poitrine. Depuis plusieurs jours je peine à trouver le sommeil. Le Lexomil a rendu les armes et j'accumule le poids des nuits d’éveil. Depuis plusieurs semaines mes amis renvoient des airs contrits. Changer mon rythme, voir un médecin ou bien un psy. Depuis plusieurs mois ma famille se fait un sang d’encre. Ma mère fond en larme quand elle me voit ou quand elle pense à moi. Depuis plusieurs années je ne sers plus à rien, l’administration et l’opinion publique me chient dessus et même ceux qui me ressemblent le plus me considèrent comme un trou à merde. Et dans ma propre tête, depuis pas mal de temps, l’idée s'impose que c'est la vérité.
Aujourd’hui je décide d’arrêter. Je me rend au dispensaire d’une association humanitaire. Je patiente une heure et demi assis entre deux clandestins moldaves et une famille algérienne. Des enfants ont le teint jaune. Devenir clean, transparent comme une eau pure. Un médecin à la retraite me précède dans le cabinet : carrelage et peinture défraîchit, des couleurs acidulés ou fades, un bureau en ferraille et une table d'auscultation élimée. Le vieux médecin est assisté d’un éducateur à demi avachis sur un angle du bureau. Je me déshabille, je passe les examens nécessaires à l’établissement du bilan de santé. L’éducateur se nomme Paul. Paul doit avoir mon âge : trente ans. Il porte un jean troué et un tee-shirt sur lequel est inscrit « liberté pour le Tibet ». Paul m’interroge sur ma situation sociale, sur la couverture maladie universelle, sur mes consommations de drogues. Je prends à peu prêt toutes les défonces disponibles en magasin. Je préfère quand même les stimulants, cocaïne et ecstasy principalement, amphétamine à défaut et de l’alcool en accompagnement ; du shit et du tabac évidemment. J'utilise parfois des opiacés pour amortir les descentes, rachacha ou héro. Je ne me pique pas, je fume, je gobe ou je sniffe, plusieurs fois par semaine et beaucoup le week end. Malgré tout je pense que je ne suis pas toxicomane. L’éducateur dicte l’ordonnance au médecin : 8mg de Subutex quotidiennement pendant quatre mois. Il dit qu’on réduira les doses progressivement.

Le lendemain je me rend dans une pharmacie du centre ville. J'esquive les yeux de l’employée et j'ai les boules. Le lendemain je laisse fondre un premier comprimé de Subutex sous la langue. Ce truc me pourri toute la bouche et pèse une tonne dans les boyaux. Les jours suivants je souffre de stress et de nervosité. Je me réveille sur un matelas trempé de sueur, je prend des douches et des bains chauds. Je ne vois personne à part les cons de la télé. Le Subutex tempére un peu mon anxiété. Les semaines suivantes je poursuits le remède et la déprime. Mon dealer et mes potes de défonce se manifestent à plusieurs reprises mais je ne répond pas. Je m'enterre comme une taupe. Un matin, je ne sais pas pourquoi, j'écrase le comprimé de Subutex et je l'inhale en trait. J'ai l'impression que ca me soulage mieux de cette façon là. Alors je recommence le matin suivant et finalement je me retrouve à sniffer du Subutex tous les matins. Les semaines passent, je ne parviens pas à réduire les doses. Le vieux médecin et l'éducateur affirment qu'il faut être patient, mes amis ont d’autres chats à fouetter, ma mère m’encourage à trouver du travail. Toutes les quinzaines on me délivre une nouvelle ordonnance. L’année suivante je réalise que je suis complètement accroc au traitement. Je réagis. Pour arrêter le Subutex on me prescrit du Skénan. Ca marche fort. Je ne prend plus de Subutex, non, j'adopte le Skénan, qui s'écrase facilement. Je vis une existence de poisson mort. Aujourd'hui, hier, demain. Je ne retrouve plus ma carte vitale. Je descend dans la rue. Des crevards refourguent les médocs à l'unité : Subutex, Skenan, Rohypnol et d'autres encore. Dans pas longtemps, putain, je les réjouïrai.