Refrain des heures

Le 22/06/2007
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par Nico
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Y a des gens qui font des descriptions insupportables, ce n'est pas le cas de Nico. Ce texte est basé dans sa totalité sur la description et pourtant ce n'est jamais chiant. C'est un instantané de vie d'un mec visiblement au bout du rouleau (même si le texte ne s'aventure jamais dans les marécages fangeux de la psychologie), de son appart, de son bordel. Malgré quelques expressions bizarroïdes, ça passe très bien.
Les volets sont fermés. Ils n’ont pas été ouverts depuis un certain temps. La pièce est plongée dans une obscurité presque totale, les rayons du Soleil ne passent pas du tout au travers des lourds volets métalliques.
Par terre, des verres dans lesquels reste un fond de boisson en train de pourrir, du soda, du jus de fruit, de l’eau. Dans les plus anciens des ronds de moisissure verts flottent tranquillement parce qu’ils savent que leur heure est venue. Par terre, des bouteilles vides renversées, des bières, de la vodka, du Jet-27. De l’alcool bon marché au goût du jour. Par terre, des assiettes entamées et jamais finies, des pâtes emprisonnées dans un océan de sauce tomate et de gruyère devenu gelée, divers plats décongelés. Ils durcissent au fil des heures, ils s’accrochent à l’assiette, se consolident autour les couverts jetés négligemment dedans. Dans l’air, une odeur de renfermé, une odeur de décomposition, une odeur de crasse.
Sur la table, des boîtes de dvd en désordre, des disques de musique en vrac, hors de leur boîtier qui doit reposer sous un canapé ou près de la chaîne hi-fi. Sur la table, le petit mot de sa mère : « Mon chéri, je te souhaite une bonne semaine. Papa et moi serons rentrés dans une semaine. J’ai fait les courses, le frigo est plein. N’oublie pas de nourrir le chat. Bisous ». Sous la table, la gamelle du chat est presque vide, quelques croquettes attendent nerveusement leur heure. La gamelle d’eau est verte, des poils se noient.
Sur la table basse, un grand cendrier plein de cendres froides, comme un vaste champs de bataille dévasté après l'affrontement. Les mégots éteints sont recroquevillés comme des cadavres exprimant encore leur ultime souffrance, la tête dans la terre que forment les cendres. La tension se lit encore sur les corps contractés. Sur la table basse, un Ipod déchargé, plongé dans le coma. Faut-il s’acharner pour le ramener à la vie ? La pièce pue la paresse. Sur la table basse, la poussière s’accumule, le ménage n’a pas été fait. Mais dans le noir on ne voit pas la crasse. Tout est naturellement sale dans l’obscurité. Sur la table basse, la télévision est allumée, le son est faible, l’image est blafarde. A l’écran un film d’horreur des années 1980 qu’il connaît par coeur, une femme qui hurle, un couteau sanguinolent en arrière fond. Sous ce cadre de réalité pixélisée, une X-box, une PlayStation et d’autres comme les têtes de l’hydre. Au bout des câbles, les manettes sont étalées dans la pièce, les bras tentaculaires du monstre qui attire tout à lui.

Et sur le bureau, l’ordinateur.

Sur une chaise, en face de l’écran, dix-sept années de vie biologique se retrouvent dans la position du fœtus, mais assises, les jambes repliées contre la poitrine, bloquées par les bras refermés autour, la tête sur les genoux. Un halo de lumière bleue relie son corps et l’écran de l’ordinateur. Il regarde. Son visage est devenu bleu, peut-être que s’il s’en allait maintenant, cette couleur de glace ne le quitterait pas. Ses yeux sont globuleux, exorbités. Ses yeux descendent régulièrement sur l’horloge électronique - en bas à droite de l’écran - pour s’assurer que le temps passe bien.
Tout autour de l’ordinateur, les mugs de café vides disposées par le hasard presque symétriquement, ont l’air de bougies allumées à la gloire d’un dieu.
L’espace a disparu. Le garçon est comme un périphérique de l’ordinateur. Il est connecté à internet. La souris sous sa main est comme le prolongement de son système nerveux, le clavier la continuation organique de ses doigts. Il est connecté.
Il s’ennuie. Les trois cent chaînes câblées de la télévision l’ennuyaient, alors il s’était assis devant l’ordinateur. Mais les possibilités infinies d’internet l’ennuient encore plus. Régulièrement il s’étire. Régulièrement il sent son paquet de cigarettes l’appeler. Régulièrement il ferme les yeux, plonge son visage dans ses mains et se retient de pleurer. Quelque chose le travaille, quelque chose l’angoisse, quelque chose fait le vide en lui. Il a beau regarder des vidéos amusantes, consulter des sites de blagues, jamais il ne sourit. Il regarde des films sans ressentir d’émotion. Voir des naufrages et rester sec. Il se frotte les yeux, il a mal à la tête.

Son téléphone portable sonne. La sonnerie le fait sursauter, il cogne le bureau, une tasse se renverse. Le café coule sur le tapis.
-    Allô ?
-    Salut Phil ! Tu viens ce soir chez moi ? Je fais une petite soirée entre potes…
-    Ah non, désolé… J’ai promis à ma mère de l’accompagner au cinéma ce soir.
-    Ah… Bon c’est pas grave. A la prochaine, alors !
-    C’est ça. Salut.
Puis il recommence à s’ennuyer. Il ne sait pas bien ce qu’il y a. Il se sent seul mais il ne veut voir personne. Il lance de la musique qui couvre le son de la télévision. Pink Floyd, Let There Be More Light. Un petit message apparaît sur l’écran. Le film porno est téléchargé. Il ne le lance pas tout de suite. Pas tout de suite.

Sous la table, le chat regarde tristement ses croquettes dégueulasses. Comme sa litière sentait trop mauvais, il a préféré pisser contre une commode.
Sur la table, quelqu’un a marqué salope sur le mot qu’a laissé la mère.
Par terre, il s’est allongé, fatigué de n’avoir rien fait.

Dans le refrain des heures.

Il voudrait un flingue.

Pour tuer le temps.