Banalité souterraine

Le 10/02/2008
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par Strange
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Après trois ans d'absence, Strange revient avec un brand new style alléchant. A savoir un genre de Glaüx-light, avec insultes (sans caps-lock) et vocabulaire soutenu à la clé. Le tout appliqué à de la vie quotidienne pourrie, le récit d'une agression particulièrement humiliante. Ca passe bien, sombre et réaliste, avec cette touche de hargne qui fait les bons textes.
Ce qu’elle est grande, cette station, et il n’en fini plus ce couloir. Il y a foule malgré l’heure tardive, et je croise la dernière cargaison du RER.
Elle est sinistre cette file indienne, toute fatiguée et usée qu’elle paraît, ça transpire la frustration dans les rangs. Ah, c’est l’heure de mon inspection. Je ne risque rien avec ces types qui rentrent du travail, ils ne font que baver, il leur manque l’énergie pour passer à l’acte. Un, deux, trois, oh tu es bien vilain toi, quatre, quatre appétits concupiscents, quatre œillades obscènes, quatre vits à l’étroit dans leur costume, quatre porcs qui se retournent.

Un verre, qu’il me demande, mon pauvre ami regarde toi, tu as l’âge d’être mon père, non merci monsieur, je lui réponds. Les vieux non plus ne me font pas peur, pour peu qu’ils ne soient pas saouls. Je dirais presque qu’ils m’attendrissent, et je leur réponds avec la déférence d’une gamine envers un aïeul. Ca les vexe un peu, je crois. Cinq.

J’aperçois un groupe de jeunes branleurs tandis que je m’approche de l’escalator. Il n’y a rien de pire que les groupes, si ce n’est les groupes saouls. Cela fait quelque temps que je ne sors plus armée. J’ai donné mon couteau à un ami qui en avait davantage besoin que moi, mon cutter a péri sous la rouille, et ma bombe lacrymogène s’est mystérieusement volatilisée. Je sais que ces protections sont autant d’armes à retourner contre moi, mais quitte à en arriver là, je veux y arriver morte.

Le groupe m’a repérée, ces singes m’appellent, mais je ne m’arrête pas. En quelques instants, je passe du statut de charmante demoiselle à celui de grosse pute. Salope, je te parle, qu’il me crache, arrête toi sale pute, ajoute l’autre, et ils me rattrapent. Pouffiasse. Salope. Pute. Ils m’arrêtent, je joue les gentilles connes, je ne vous avais pas entendus, j’ai mes écouteurs sur les oreilles, regardez. La gentille conne, ça je sais bien faire, mais ça ne fait que retarder le moment où ils s’indigneront, quoi ? Tu n’écartes pas les cuisses devant ma toute puissance, pute ? Je te baise moi, tu te prends pour qui ? On va te montrer nous, tu vas voir comment on va te montrer.

Pouffiasse. Salope. Pute. La peur me tord le ventre, c’est comme un détonateur, j’implose et je suis nausée, je suis dégoût. Velues leurs mains, grasses et velues, poisseuses d’honorer leurs bites maculées, elles transpirent la crasse des hommes, des porcs. Ils me menacent de leurs schlagues pleines de foutre, ils veulent m’infecter, avec leur écume ils veulent me salir. Ils me contaminent déjà avec leurs injures, ils vomissent sur ma dignité, ils sont en train d’anéantir ma grandeur avec leurs visages bouffis par leur désir de bêtes, et ils me regardent, ils suintent sur moi avec leurs yeux impropres. Je suis résignée, il est trop tard, je suis déjà souillée. Faites ce que vous voulez de moi, porcs, roulez moi dans votre fange, je ne suis rien, j’abdique, je capitule, je vous abandonne mon honneur. Pouffiasse. Salope. Pute. Je suis bien trop silencieuse pour vous, il faudrait que je cogne, que je m’agite et que je fasse étalage de ma faiblesse pour contenter vos egos de couards, à plusieurs vous bousculez, vous brusquez et crachez. Je vous connais par cœur, vous êtes tous semblables, verrats. Oh vous ne ferez pas grand-chose ce soir là, vous ne parvenez pas à bander sans les larmes, sans les cris, sans la pornographie, je ne suis pas divertissante.

Vous partez, vous me laissez dans la traînée de vos dernières injures, on lui a fait son compte, que vous pensez, elle n’oubliera pas, cette traînée. Vous êtes tous semblables.

Cinq et un groupe, ce soir.