Masoch

Le 07/05/2008
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par Mano
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Thèmes / Obscur / Tranches de vie
Faire passer en douce ses poèmes de merde en intro et conclusion d'un vrai texte, c'est vil. Sale pute. Bref. C'est pas tous les jours qu'on a droit à un texte réaliste sur la guerre, qui évite avec brio les débordements sanglants et/ou sentimentaux. Ici, au milieu de la Croatie des années 90, c'est le pathétique et la confusion qui dominent. C'est un vrai bordel, personne comprend rien et tout le monde est bourré. Comparé aux bouses sur le même thème, c'est une vraie bouffée d'oxygène.
Sous mes yeux,
Le sperme du soldat serbe souille
Les recoins secrets de corps prisonniers.

Sous mes yeux,
Le sperme du soldat serbe s'avale
Seule nourriture d'estomacs percés, affamés.

Sous mes yeux,
Le sperme du soldat serbe s'infiltre,
Se mélangeant aux sangs, les purifiants !?

Sous mes yeux,
Le sperme du soldat serbe s'échappe
Des fentes poisseuses des gisants.

Sous mes yeux,
Le sperme du soldat serbe serpente
Entre les amas broyées, de chairs abandonnées.

Sous mes yeux,
Le sperme du soldat serbe se répand,
Se voulant tout puissant, insulte à mes idées.

Sous mes yeux,
Biens ouverts
Devant la télé.

°°°
31 octobre 1991

Nous nous éloignions de Petrinja, un village croate à moitié détruit qui surplombait la ligne de front avec les Serbes dans une petite Yugo rouge. Le chauffeur était un journaliste espagnol d'une quarantaine d'années qui portait une moustache fournie et sombre, de longs cheveux bouclés, des lunettes à montures dorées et des longs doigts fins de dentiste. A sa droite était assise une photographe italienne dans sa trentaine, une cigarette qui n'avait pas de fin glissée entre les lèvres et deux sacs et quatre appareils photos en orbite tout autour d'elle.

Nous étions deux sur la petite banquette arrière : Mark, un "je n'ai jamais su quoi" anglais de vingt huit ans aux cheveux blonds et rasés, possédant un Bomber kaki et des bottes de combats ainsi qu'une solide expertise en matière militaire et moi, un jeune "je veux être" français de vingt et un ans. Si vous aviez ajouté un allemand nous aurions été un échantillon représentatif presque parfait de la Communauté Européenne. Un fait joyeusement commenté par les soldats croates que nous rencontrions, tellement satisfaits de voir des gens d'endroits si importants intéressés par leur combat.

Je voulais aider. Il fallait que je comprenne, peut-être que je me batte, au moins que je me sente proche de ses jeunes croates jeté dans la guerre du jour au lendemain. J'étais arrivé quelques jours plus tôt de Paris à Zagreb dans un semi remorque Mercedes, sans visa autres que mon sourire et ma bonne volonté. Et voilà que j'étais là, une soixantaine de kilomètres au sud de Zagreb, un univers au loin de mon appartement parisien. En très peu d'heures je venais de voir mes premiers cadavres, d'être en dessous de mes premières bombes et d'entendre mes premiers tirs d'armes automatiques. Les jeunes martyres croates que j'avais cru voir à la télévision s'avéraient être de rudes paysans avec de gros ventres d'hommes murs, des uniformes dépareillés et de solides odeurs de transpiration et haleines d'alcool. Néanmoins, j'essayais d'être rude moi même, les encourageants, leur disant que j'organiserais une exposition à la Sorbonne à mon retour afin de changer les mentalités françaises qui étaient pro-Serbes par tradition. Ils riaient beaucoup.

Nous étions tous silencieux dans la petite voiture, le moteur accompagnant nos pensées.

J'étais de retour sur le pont flottant du génie que nous avions traversé lentement par deux fois ; sous la silhouette échevelée de l'ancien pont métallique détruit par une attaque de Mig ; devant les deux canons anti-aériens datant de la Seconde Guerre Mondiale sous leurs filets camouflés et protégés par des sacs de sables à calligraphies chinoises.

De retour au village et au chemin de poussière qui le traversait ; aux cochons errants ; à la grange fumante des obus du matin ; aux maisons en bois désertées et à celle qu'ils appelaient celle du Serbe. La seule ayant eu des murs en parpaings, maintenant ouverte au vent, éventrée, ses meubles éparpillés tout autour.

De retour aux hommes et à leurs visages mal rasés et comment la photographe italienne leur avait demandé de prendre la pose pour elle :

-"Ayez l'air en colère ! Faites semblant de tirer ! Sautez dans la tranchée !"

Et comment ils s'étaient exécutés sans une seule question, probablement trop contents de voir une femme pour dire un mot. De retour à la Kalachnikov sombre et éraflée qu'ils avaient mis entre mes mains et combien elle était lourde et froide ; comment je leur avait rendu, l’abandonnant d’un simple « je ne veux pas » en même temps que tous mes rêves de soldat.

De retour au mur invisible de l'odeur de la mort. Une des maisons avait un cadavre à l'intérieur, un cadavre vieux de quatre jours, et je ne pouvais croire à quel point l'odeur était épaisse. Je pouvais la sentir sur ma peau, la qualité de l'air différait d'un pas à un autre. Aéré et frais d’un côté, saturé et doucereux de chair en décomposition de l’autre. Oui, doucereux !

De retour aux soldats quittant le village pour le front dans des camions bâchés verts avec l'inscription Agro-coop Zagreb inscrite sur leurs portes à l'intérieur d'une fleur rose et à la manière dont un petit tourbillon de poussière a continué à tourner sur lui même un instant alors que le dernier camion venait de disparaître dans le premier virage, en bas dans les bois.

Mes trois compagnons discutaient du chemin à prendre pour rentrer à Zagreb quand soudain, juste en face de nous, à côté d'une petite maison blanche, il y eut un tank. Pas un tank comme le peu que j'avais vu avant, un tank artisanal ! Quelque chose entre une boite de conserve carrée et un Combi Voklswagen, avec une tourelle munie d'une mitrailleuse lourde sur le toit et des dents de requins peintes à l'avant. Une illustration parfaite du dérisoire de la situation des Croates. J'ai demandé au journaliste espagnol de s'arrêter. D'abord il n'a pas voulu, pressé de rentrer à l'Hôtel Continental, mais comme la photographe italienne était de mon avis il a changé le sien.

Près du tank se trouvait une BMW camouflée à la main avec quatre hommes à l'intérieur. Etant le seul du groupe à posséder une accréditation officielle du gouvernement croate, j'étais celui qui étais chargé des premiers contacts avec les soldats que nous rencontrions. Dans mon mauvais anglais je leur ai expliqué que nous voulions prendre des photos. Ils étaient jeunes, mon âge, avec des uniformes flambants neufs. Dans leur mauvais anglais ils ont répondu "no problem". Ils sont sortis de leur voiture, mes compagnons de la leur.

Nous avons commencé à nous serrer les mains, des mots maladroits et des sourires timides avançant à nos lèvres. C'étaient des étudiants envoyés sur le front pour la première fois. La photographe italienne était déjà en action, j'ai décidé de l'imiter. Une voix forte est sortie de la maison. Un petit homme en habit de combat faisait de grand signes dans ma direction, en hurlant comme de colère. Je ne pouvait comprendre un seul mot de ce qu'il disait mais je lui ai fait signe en retour d'un pouce vers le haut :

-"It's O.K. ! Photo ! Photo ! It's O.K. !"

Apparemment, ça ne l'était pas. Il a balancé au loin le bol et la fourchette qu'il avait dans la main puis s'est rapidement avancé vers moi sans s'arrêter un instant de crier. J'ai baissé mon appareil photo. J'ai sorti mon accréditation de mon blouson de cuir, la dépliant avec confiance avant de la lui tendre. Il l'a attrapée, froissée en boule et jetée sans même un regard, ses yeux bleus accrochés dans les miens. Acier. Puis il a agrippé l'appareil photo, l'alcool et l'oignon qui s’échappaient de sa bouche me frappants droit dans le nez. Je l'ai repoussé fermement du plat de ma main et ses doigts ont glissé, laissant des marques huileuses sur le boîtier noir. Il m'a regardé l'air un peu perdu. Ils me regardaient tous l'air un peu perdu.

J'ai récupéré l'accréditation sur le sol et fais marche arrière. J'étais en colère. Je n'avais pas eu le temps de photographier le tank et je ne l'aurais pas fait s'il ne le voulait pas. Les autres impressions sur la pellicules n'étaient pas les siennes. J'étais un ami. Les Serbes étaient les ennemis, pas moi ! La photographe italienne fut la première à réagir, me demandant si j'allais bien. Il a commencé à lui crier de dessus. Sans un mot elle a ouvert son appareil et a lentement déroulé la pellicule devant lui. Je ne le croyais pas, comment pouvait-elle faire cela ? N'était-elle pas journaliste, une pro ?

Tout le monde s'est mis à parler en même temps et j'ai profité de l'instant pour me faufiler dans la voiture en espérant qu'il m'oublierait. Mais il a ouvert la portière et a essayé de m'extraire du siège arrière. Je l'ai regardé droit dans les yeux, lui ordonnant d'arrêter. Il a reculé. Je suis sorti de la voiture. J'ai expliqué en quelques mots d’anglais aux étudiants que je ne donnerais pas ma pellicule car je n'avais pris aucune photo de l'endroit. Ils étaient compréhensifs mais impuissants. Le gros homme était leur sergent et il était irascible quand saoul. Soudain, il a trottiné de retour vers de la maison sans arrêter de vociférer en me désignant du doigt.

Ce n'était pas une Kalachnikov qu'il tenait lorsqu'il est revenu mais une espèce de tromblon dont il a enfoncé le canon évasé dans mon ventre. Froid dur du métal, claquement sec et vibrations de l'armement du chien dans mes boyaux. Silence. J'ai doucement ouvert le boîtier de mon appareil, clic du plastique, et lui ai donné le film sans un geste de plus. Après tout est allé vite. Ralenti des images. Le journaliste espagnol m'a raccompagné à la voiture, Mark et la demoiselle italienne étaient déjà assis, et nous sommes partis. J'ai tourné la tête, la vitre arrière un cadre, dedans un des jeunes soldats en train de jeter furieusement son casque au sol et les trois autres en train d'entourer le sergent dans de grands mouvements de mains vides. Lui, le fusil baissé, ses yeux dans les miens, souriait.

Nous n'avons pas dit un mot pendant un long moment. La première à parler fût la photographe italienne. Elle me demandait mon adresse à Paris pour m'envoyer les photos car le film qu'elle avait déroulé était vierge. C'était une pro, une vraie. J'ai poliment refusé et elle n'a pas insisté. Puis, j'ai commencé à trembler. Trois jours plus tard je suis rentré en France en réalisant, pour ma plus grande surprise, que les trains n’avaient jamais cessé de fonctionner.

Mes amis mon accueillis en héros. Tant de fêtes, d’alcool et d’appartements parisiens ! Et là-bas, tout ce que je n’ai pas été.

°°°

Lettre occidentale à une jeune charogne bosniaque

Ecran. Je ne vois plus que les appâts rances,
Les atours faisandés de tes chairs avariées,
Flasque, morne, je t'imagine sucrée.
Comme je t'aime, je t'entre,
Puante.

Je me colle à tes plaies,
Tes blessures, tes chairs mâchées,
Tant et si bien que tu disparais
Sous moi, mon étreinte,
Ma puissance.

Moi, superbe, riche, développé,
Encore en vie, je t'ignorais,
Devant toi, morte, je pâlie,
Charnier,
Charnier de mes envies.