Serial edit 21 : le pacte

Le 08/06/2008
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par nihil
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Rubriques / Serial Edit
Voilà un remix d'un extrait de Faust, celui où le héros accepte de pactiser avec le diable. C'est assez proche de l'original, même le style reste pompeux à souhait. Mais le fond a été remis au goût du jour : les tourments de Faust sont devenus une sorte de manifeste de notre génération larvaire. Le héros, comme tant d'autres, ne supporte plus son quotidien et aspire à vivre à fond, et expérimenter pleinement la jouissance comme la souffrance.
Texte de référence et principe :

- Extrait du Faust, de Goethe
- Quoi que je puisse faire de ma vie, je n'en ressentirais pas moins sa déplorable vacuité et la futilité de chacune de mes entreprises. Le constat est amer mais lucide. C'est la plus élémentaire logique qui guide mon raisonnement, non pas quelque émotion qui viendrait le fausser. Je suis trop vieux pour m'émerveiller de ce qui m'est inconnu, trop jeune pour accepter de me laisser couler. Mais qu'est-ce que la vie peut encore m'offrir ?
Je suis en manque d'absolu, c'est là le drame de mon existence et l'infernal refrain que je ne cesse d'entendre. Les jours, les mois défilent sans que j'ai rien fait dont je puisse me targuer. J'entrevois déjà les pentes du gouffre, et je n'ai encore rien fait qui vaille d'être mentionné. J'ai suivi des rails que nous tous suivons, est-ce là tout ce que je pourrai coucher sur papier une fois mon heure dernière arrivée ? Chaque fois que je me lève, ma marge de manœuvre s'amincit et les plaisirs que je connais sont plus insipides. Et lorsque je me couche, ce n'est pas pour goûter quelque repos, mais pour ressasser encore cette même conclusion : mon existence est une pâle copie de ce qu'elle devrait être. Je ne la supporte plus, je préfère me hâter vers la mort qui m'appelle, car elle ne peut être qu'un soulagement.

- Est-ce là tout ce que tu souhaites ?

- Je ne souhaite rien d'autre que brûler d'un coup toutes les forces qu'il me reste encore, me jeter dans la bataille comme s'il n'y avait plus de lendemain. Connaître l'extase aveuglante ou bien la souffrance brûlante plutôt que mes succédanés d'émotions ternes. Ascète ébloui en pleine béatitude par quelque vision sacrée, guerrier empli de fureur sanglante ou hédoniste ivre de stupre et de volupté, que sais-je… Tout plutôt que ce que je suis : un pauvre pion dans une case, environné de mille pions dans mille autres cases. Je voudrais être un fou mais je ne puis m'arracher ma raison. Je ne souhaite que vivre pleinement pour la première fois, puis m'éteindre sans inquiétude.

- J'ai là ce qu'il te faut, tu le sais.

- J'ai pris en haine tout ce que cette existence compte de faux-semblants, tout ce qu'elle donne à voir de doux et de paisible là où n'y que platitude et ennui profond. Vivre, faire carrière, se marier, assurer sa descendance. Cet atroce renoncement, cette amputation volontaire qu'on veut présenter comme un accomplissement digne de louanges. Maudits soient les faibles et leurs illusions de pérennité, leur oisiveté et leur confort misérable. Moi je ne veux pas attendre et goûter sereinement des joies simples, je veux tout, tout de suite !

- C'est toi-même qui a occulté ce monde et ce qu'il renferme de beau, toi qui l'a écrasé sous les coups de ton amertume. Mais la beauté n'est pas éteinte, elle n'est que cachée sous les décombres d'une routine asphyxiante. Ecoute-moi bien. Il est une substance brune qui peut la révéler dans toute sa gloire. Elle t'arrachera à ta solitude empreinte de tourment. En sa compagnie, tu te sentiras dieu parmi les hommes, et humain parmi les vers. Tu connaîtras une félicité plus pure que ce que tu peux même imaginer, tu seras transporté en esprit dans des univers de sérénité limpide, dont la délicatesse n'affadit en rien l'intensité. Sans même bouger, tu vivras plus d'expériences fabuleuses que les plus chevronnés des aventuriers. L'apaisement qu'elle procure n'a rien de commun avec l'obscure tiédeur des bêtes de somme qui nous entourent, il est tout au contraire unique et sans partage. C'est la jouissance inconcevable promise par les femmes, le paradis céleste vanté aux dévots, une lumière dans la nuit. Tout l'amour de dieu condensé en une subtile et unique liqueur. Avec elle, tu ne connaîtras plus de lendemains.

- Eh bien, dis ton prix.

- Nous aurons bien le temps d'en reparler.

- Non. J'ai appris à connaître le monde, et je sais que chaque bienfait a sa contrepartie. Personne ne fait par seule charité ce qui est utile aux autres. Je ne crains pas de supporter le poids que supposent tes promesses. Parle franchement et pose tes conditions.

- Soit. Sache que ces largesses te seront octroyées en contrepartie de ta totale soumission à la reine brune. Elle sera pour toi une maîtresse magnanime mais impérieuse. Une fois attaché à son service, tu ne pourras renoncer et devra te plier à ses ordres, admettre ses caprices. Elle se fera parfois rare, parfois décevante comme seuls peuvent l'être les plaisirs les plus fous. Tu l'aimeras et elle te fuira. Tu feras peut-être beaucoup de choses contre ta volonté, juste pour la retrouver une nouvelle fois. Tu connaîtras le doute et la peur, le manque atroce. Chaque moment de réconfort se paiera d'autant de détresse. C'est là le prix de l'héroïne.

- Qu'elle mette en pièces ce monde d'insectes terrorisés, qu'elle me permette de voir au-delà de mon horizon bouché, qu'elle me fasse oublier la faiblesse humaine et ses compromis, et je lui obéirai servilement, et avec gratitude encore.

- Alors prends ce sachet. Deux lignes, une pour chaque narine, et tu entreverras l'ampleur des délices qui t'attendent. Tu toucheras du doigt un monde neuf, reconstruit, que les autres ont depuis longtemps oublié. Ce n'est qu'une petite quantité, mais je reviendrai te voir bientôt, pour t'aider à nouveau. Pour aujourd'hui, ce service sera gratuit.